Les sociétés occidentales d'après-guerre avaient plus ou moins forgé un "homo democraticus" mesuré dans ses succès et soutenu par la collectivité dans ses déboires. Il laisse désormais place à un individu qui voit dans chacun de ses dollars une confirmation de son génie et dans la misère de son concitoyen la preuve de sa fainéantise. Un individu libéré du souci de l'autre et du commun.
Pourquoi s'étonner des secousses populistes lorsque nos dirigeants s'alignent à ce point sur les intérêts des plus fortunés d'entre nous ? Pourquoi s'étonner du mépris grandissant pour l'autorité publique lorsqu'elle abandonne l'idée de réorganiser la société de façon plus juste, renonce à exercer le pouvoir que nous lui avions confié et se contente d'être une mise en scène d'elle-même ?
Emmanuel Macron n'est que le dernier avatar de l'aveuglement des élites occidentales sur les causes de la crise que traversent nos démocraties. (...) Ne pas saisir les implications pour la démocratie de l'atomisation sociale, de l'explosion des inégalités, du délitement des liens civiques rend impossible toute résistance efficace à la déferlante populiste. Un lifting ne changera rien : une véritable révolution mentale et philosophique est nécessaire.
Moins le pouvoir est grand, plus il doit se montrer et se dire.
Contrôler les chômeurs apparaît comme essentiel. Lutter contre les systèmes ingénieux mis en place par les plus fortunés pour échapper à l'impôt semble moins urgent. (...) Pareil déséquilibre s'explique facilement : nos dirigeants fréquentent tout simplement plus de gens assujettis à l'ISF que de bénéficiaires du RSA. Lancer une croisade contre la fraude fiscale prendrait de front leur cercle de connaissances (et de leurs donateurs) alors que stigmatiser les pauvres ne leur coûte socialement rien.
Pareille interpénétration des hautes sphères économiques et politiques, voilà ce que Machiavel nomme "corruption". Sous sa plume, le terme désigne (...) la captation de l'espace commun par des groupes particuliers, la mise sous tutelle du pouvoir public par des puissances privées, l'intérêt de quelques uns devenant l'intérêt général. Autrement dit : la dégénérescence progressive de la démocratie en oligarchie.
Il ne peut y avoir de démocratie stable sans capacité d'appréhender l'autre comme un alter ego : un système politique dans lequel chacun codécide de l'avenir de tous suppose que nous nous reconnaissions comme des égaux par-delà nos différences sociales et culturelles. L'empathie est un préalable éthique à la citoyenneté.Tout despotisme oeuvre à son éradication pour atomiser et soumettre. En reproduisant une telle logique, la société de solitude contemporaine ne met-elle pas en cause la possibilité même de la démocratie ?
Il n'y a pas de continuité harmonieuse entre l'homme privé et le citoyen. Au contraire, le passage de l'un à l'autre suppose une rupture nette, "un changement prodigieux", violent, à l'image de celui provoqué en Brutus par le suicide de Lucrèce. L'homme privé, en devenant citoyen, bascule dans une autre sphère, dans laquelle il appartient à la chose commune avant de s'appartenir à lui-même.
Qu'est-ce que la gouvernance? C'est le gouvernement sans la politique.
Pareille interpénétration des hautes sphères économiques et politiques, voilà ce que Machiavel nomme "corruption". Sous sa plume, le terme désigne, par delà tel ou tel délit clairement identifiable et répréhensible par la loi, la captation de l'espace commun par des groupes particuliers, la mise sous tutelle du pouvoir public par des puissances privées, l'intérêt de quelques uns devenant l'intérêt général. Autrement dit : la dégradation progressive de la démocratie en oligarchie.
Il ne peut y avoir de démocratie stable sans capacité d'appréhender l'autre comme un alter-ego. Un système politique dans lequel chacun codécide de l'avenir suppose que nous nous reconnaissions comme des égaux par-delà nos différences sociales et culturelles. L'empathie est un préalable éthique à la citoyenneté.