Acheté juste après une rencontre-débat philosophique avec Charles Pépin qui nous a chaudement recommandé ce livre, j'ai commencé à lire « Notre France » dans le train de banlieue qui me ramenait chez moi, pleine de crainte que ce titre , volontairement franchouillard et limite frontiste, ne me fasse cataloguer un peu vite, malgré un sous-titre programmatiquement bien différent…
Je viens de le terminer 24h après : c'est un essai philosophico-politique comme j'aimerais en lire plus souvent ! Un vrai régal, d'écriture, de pertinence et même d'émotion- il n'est pas interdit de convaincre et de persuader !
Face aux déclinistes, aux prophètes de malheur, comme Zemmour , aux vieux ronchons aigris comme Finkielkraut, à la démission et la démobilisation de la gauche actuelle, face à l'entreprise de récupération par la peur d'une droite décomplexée qui ne se gêne plus pour chasser ouvertement sur les terres de l'extrême-droite, (je vous laisse mettre des noms, c'est facile !) - Raphaël Glucksmann convoque nos mythes et nos valeurs, les exhume de notre passé, depuis leur acte fondateur, montre la filiation qu'ils ont entre eux, au cours des siècles, et jusqu'à des événements très récents (le livre vient de sortir, et tout notre passé récent y est déjà inscrit), et les érige en rempart contre l'àquoibonisme des uns, la peur des autres, et le doute de beaucoup.
Je ne veux pas déflorer cette brillante démonstration, qui démonte comme un Lego les syllogismes (vicieux) des déclinistes de tout poil... pour mieux reconstruire notre « maison-France » à partir de ses trois actes fondateurs :
- l'Édit de Louis X le 3 juillet 1315 proclamant le droit du sol contre celui du sang, qui « francise » en même temps qu'elle « affranchit » toute personne qui met le pied sur notre sol, en faisant un « Franc »- un Français- et un « franc » - un homme libre- du même coup,
- l'Édit De Saint -Germain-en-Laye du 17 janvier 1562, inspiré par l'immense Michel de l'Hospital, qui légalise la coexistence sur le sol français de différentes religions en les soumettant toutes à la puissance publique,
- et enfin l'Édit de Villers-Cotterêts du 15 août 1539 qui instaure le français comme langue identitaire,et non comme langue impérialiste- les parlers sont extrêmement divers à cette époque, sans compter la présence du latin (et donc de Rome) dans tous les actes officiels; Cet Édit est plutôt une "injonction performative" (tout est encore à faire) et le moteur volontariste d'une identité nationale qui reste à faire.
Les tenants d'une France « fille aînée de l'Eglise », forgée dans un droit du sang aristocratique, issue du « terroir » (lequel ?) , et pleine "d'ancêtres Gaulois", distribuant à qui mieux mieux les imparfaits du subjonctif, n'ont qu'à aller raccrocher leurs braies et leurs talonnettes aux fourches caudines de leur vraie inculture ou de leur mauvaise foi !!
Mais Glucksmann fait bien plus que réfuter les syllogismes réactionnaires qui font florès en ce moment : il convoque, dans notre littérature, y compris la plus populaire et la plus ancienne, les deux grands mythes qui se partagent notre « francité » depuis toujours : celui de Renart, qui jette le trouble, s'agite, conteste, défend, proteste, et celui de Tartuffe, qui veut l'ordre et le pouvoir, qui traque, pourchasse, dénonce, surveille…
Ces deux-là ne cessent, sous des visages toujours différents, de s'affronter depuis toujours. On ne peut réduire la France à l'un ou à l'autre : ils sont sans cesse en guerre, et c'est ce conflit qui fait les soubresauts, les régressions et les progrès de notre nation.
Car l'affrontement, le débat, le conflit sont consubstantiels à notre « nature française », nous qui faisons de l'épreuve de philosophie au bac une sorte de passeport pour la citoyenneté, d'estampillage national de notre goût pour la discussion !
J'ai retrouvé avec délices tous mes héros : Montaigne, Rabelais, Descartes, Beaumarchais, Voltaire, Hugo, Zola, et tant d'autres, convoqués avec talent et passion, dans des exemples toujours vivants, toujours convaincants…
J'y ai puisé des forces nouvelles : non, il ne faut pas laisser parler, sans leur répondre, Eric Zemmour ou Alain Finkielkraut, il ne faut pas balayer d'un revers de manche ce débat, au prétexte que nous sommes, depuis janvier 2015, les orphelins apeurés de Charlie, notre Voltaire à nous, et que le doute, le découragement ou même un commencement de renoncement s'empare de nous, traitreusement.
Il faut leur répondre, mais la plus belle réponse serait celle -imaginaire , hélas- du discours qu'aurait pu prononcer au Panthéon, François Hollande s'il avait eu les c…le courage, (pardon, ma francité parle un peu fort !) , de choisir comme « panthéonisables » trois héros emblématiques parmi les vingt-trois « étrangers, et nos frères pourtant » de l'Affiche Rouge : Olga Bancic, Marcel Rajman et Missak Manouchian…
Ce discours-là, Raphaël Glucksmann n'a pas craint de le faire( pages 76 à 104) : j'avoue qu'il m'a fait pleurer, de joie, d'émotion …et aussi de honte, sûrement.
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Un excellent ouvrage qui nous replonge dans nos tumultueuses racines et qui démonte les nombreux "c'était mieux avant". Très instructif, fourmillant de milles anecdotes, il nous permet de prendre du recul vis-à-vis de la France d'aujourd'hui et nous rappelle que l'histoire de notre pays n'a pas été un long fleuve tranquille. Au contraire ! de siècle en siècle, nous nous sommes construits au fil de luttes, de révolutions... et ce que nous sommes (cosmopolite, droit de l'hommiste, ouvert, enthousiaste...) s'est fait grâce à des combats idéologiques.
Ce livre donne envie de s'investir en tant que citoyen, c'est salutaire en cette grise période !
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Les plus belles pages de la littérature française racontent l'éveil à un monde en ruines d'une conscience privée de boussole. Qu'y a-t-il de commun entre le romantisme désabusé de Musset, la colère révolutionnaire de Nizan et le rationalisme cartésien ? Cette expérience de la forêt qui reproduit l'acte de naissance renardien de notre identité. Notre littérature est une plongée sans cesse répétée dans notre trouble originel.
Nous sommes le 3 juillet 1315. Louis X proclame dans un édit royal que "le sol de France affranchit celui qui le touche". (...)Peu importe d'où il vient, peu nous chaut si dans son pays de provenance la servitude fait loi ou non, sans égard ni regard pour son génome, l'étranger en"touchant"notre terre, est automatiquement "affranchi". Il devient "franc", nom qui désigne à la fois un peuple et une "condition" juridico-politique (la "condition" d'être libre), pas un lignage ou un groupe sanguin. La grande aventure française du droit du sol vient d'être lancée.
(Tartuffe) porte une idéologie, développe une vision claire de l'obscurité des choses, propose une explication cohérente des incohérences du monde. Il offre des réponses. Il est efficace. Il nous hante tout autant que Renart. Il est son meilleur ennemi, la part de nous-mêmes qui entre en réaction face au "trouble" dans lequel nous évoluons, la part réactionnaire - au sens étymologique du terme- de notre être.
Michel de l'Hospital, "le plus grand homme de France" selon Voltaire, appelle, pour éviter le pire, à remplacer la politique des religions, qui mène à la guerre civile, par la religion du politique, condition de la paix sociale.Son plaidoyer va bien au-delà d'une simple exhortation à la tolérance et à la coexistence religieuse, il appelle à libérer la politique de ses chaînes théologiques, à soumettre les dogmes religieux aux lois civiles et à la raison d'Etat.
Des fanatiques ont déclenché une guerre, sur notre sol et partout ailleurs, contre l'état de droit, les valeurs humanistes, la tolérance. Faut-il, pour gagner cette guerre, saborder soi-même l'état de droit, les valeurs humanistes et la tolérance ? Ne faut-il pas au contraire les défendre, soutenir davantage nos alliés dans le "monde musulman " et cesser nos compromissions avec les sponsors de l'idéologie fondamentaliste qui alimente le terrorisme, bref être cohérent avec ce que nous pretendons être plutôt que cesser d'être ce que nous sommes?
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Au programme :
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Invité : Raphaël Glucksmann, député européen
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