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Critique de domi_troizarsouilles


Ça faisait déjà un moment que j'avais ce livre dans ma WL, et plus récemment dans ma PAL grâce à une offre Kindle (il faut bien le dire, quand ça permet d'avoir de potentiels bons livres à prix intéressant !), mais il y serait resté sans doute encore longtemps si deux challenges ne m'avaient pas donné l'occasion de le sortir : ce challenge de voyages qui mettait la Russie à l'honneur ce mois-ci, et un challenge plus inattendu, qui n'a aucune exigence quant au choix des livres (puisqu'il s'agit surtout d'accumuler les pages lues, quel que soit le livre), mais celui-ci était proposé en LC, c'était l'occasion ou jamais !

On est donc en 2033… et rien que la date est déjà flippante ! En effet, même si le livre a été écrit en 2002 (et publié pour la première fois en russe en 2005), l'auteur avait quand même placé son histoire dans un futur plutôt proche. Et désormais, soit une vingtaine d'années plus tard, on peut dire que c'est « demain » ! Bref, Moscou, année 2033. Une guerre nucléaire a ravagé la terre entière ; les derniers survivants humains de la ville se sont réfugiés dans les diverses stations du métro à l'abri des radiations, et se sont réorganisés en une société qui rappelle ce qui existait avant, avec notamment des « frontières » entre les différentes stations du métro. Certaines d'entre elles sont regroupées au sein d'une ligue ou l'autre, d'autres restent isolées ; certaines ont adopté l'une ou l'autre philosophie (politique ou religieuse notamment), qui la plupart du temps excluent et/ou condamnent ceux qui n'y adhèrent pas. Les voyages d'une station à l'autre sont assez rares, ce sont surtout les colporteurs qui vont de l'une à l'autre, à leurs risques et périls. Il faut un passeport pour aller d'une station à l'autre, et tout se paie en cartouches (de kalachnikov). Tous survivent tant bien que mal en récupérant l'eau qui s'infiltre, et en cultivant une nouvelle espèce de champignons, tandis que les protéines sont fournies par des porcs et quelques rares volailles dont ils ont réussi à organiser un élevage ici ou là… ou bien les rats omniprésents. Quelques « stalkers », lourdement couverts et armés, osent de-ci de-là des excursions à la surface, à la recherche de tout ce qui pourrait encore servir dans cette nouvelle société souterraine ; mais cette surface est complètement irradiée et de nouvelles formes de vie toutes plus hostiles les unes que les autres s'y sont développées.

Artyom était tout enfant lorsque la guerre a éclaté. Réfugié avec sa mère dans une des premières stations réaménagées par les survivants, il s'est vu sauvé in extremis par un soldat d'une autre station, lorsque la leur a été envahie par les rats, qui ont emporté sa mère dont il ne gardera jamais plus qu'un souvenir flou. C'est donc là, adopté informellement par ce soldat qu'il respecte énormément mais qu'il ne parviendra jamais à appeler « papa », dans cette station de VDKNh, qu'il a grandi, qu'il s'est fait des amis, qu'il a appris à lire aussi, etc.
Jusqu'au jour où Hunter, un stalker ami de son père adoptif, de passage dans leur station, lui confie un message qu'il doit absolument aller porter à un certain Melnik, sous prétexte que cela pourrait sauver tout ce qui reste de cette humanité souterraine, tandis que Hunter lui-même doit partir pour une autre mission. En effet, la station VDKNh subit les incursions de plus en plus régulières des « Noirs », des êtres épouvantables peut-être humains, ou alors ce sont des morts-vivants, en tout cas des mutants venant de la surface, qui veulent vraisemblablement envahir le dernier refuge des hommes. Il faut trouver coûte que coûte un moyen quelconque de stopper cette invasion.

Je note dès à présent que j'ai été extrêmement choquée quand j'ai vu la première occurrence du terme « les Noirs », qui revient ensuite de façon récurrente – on sait pourtant que je ne suis, en général, pas forcément partisane du politiquement correct, mais ici c'était tout à coup très rude ! En effet, ces « Noirs » apparaissent d'emblée comme très négatifs… sans qu'on saisisse à ce moment-là qu'il ne s'agit absolument pas d'êtres humains, et que ce n'est donc pas un terme raciste, mais le doute est bien présent pendant plusieurs lignes ! On ne comprend que plus tard, qu'il s'agit donc de ces êtres morts-vivants qui cherchent à s'introduire dans le métro, cauchemar pour les humains, et qu'il faut repousser à tout prix ; c'est néanmoins un choix de traduction absolument désastreux. Je ne sais ce qu'il en est dans l'original, ni si l'utilisation de « Noirs » pour désigner une entité a priori maléfique est aussi tristement connotée en russe qu'en français, mais franchement !? Il aurait été pourtant tellement simple d'utiliser une expression en deux mots comme « monstres noirs » ou « démons noirs » - toutes deux apparaissent brièvement en fin du livre, sont tout aussi expressives, voire davantage même, et sont beaucoup plus acceptables.

Mais revenons à notre histoire : sur l'injonction de Hunter et en cachette de son père adoptif, Artyom se met donc en route… et on entre dans un schéma très classique de roman-quête initiatique, où un jeune homme (Artyom a une petite vingtaine), déjà suffisamment âgé pour faire partie des gardes de sa station, mais encore très ignorant des choses de la vie et du « monde » en général, potentiellement identifié comme « différent » de ses semblables par ce fameux stalker qui l'a tant impressionné, se voit confier une mission pour sauver son monde. Il s'emploie alors à remplir cette mission en se lançant dans cet improbable road movie dans les couloirs du métro moscovite, malgré de très nombreux obstacles. Tout au long de sa route, il croise (et partage plus d'une fois un bout de chemin avec) toute une série de personnages également en cheminement pour des raisons variables, et découvre ainsi les différentes philosophies évoquées plus haut ; de la sorte, il mûrit, se fortifie et apprend peu à peu à se faire sa propre opinion.

Mais forme classique d'une quête initiatique ne veut pas dire facilité, car l'auteur a d'emblée placé la barre très haut, en s'imposant des limites spatiales très strictes : le métro moscovite. Or, rien ne ressemble plus à un couloir de métro qu'un autre couloir de métro ; et si les stations sont différentes l'une de l'autre, on est de toute façon dans un monde post-apo où la lumière a plus ou moins disparu, dès lors là aussi : rien ne ressemble plus à une station de métro à peine éclairée, qu'une autre station de métro aux ombres tout aussi vacillantes sous de vagues lueurs qui permettent à peine de voir devant soi. C'est d'autant plus saisissant quand on sait à quoi peut ressembler le métro de Moscou aujourd'hui ! Je n'y ai jamais été moi-même, mais il suffit de taper « métro de Moscou » dans un moteur de recherche et choisir le mode Images, et waouh ! on en prend plein la vue ! Ce n'est pas pour rien que Le Routard l'appelle « le plus beau métro du monde »…

C'est donc dans ce contexte très restreint, un véritable huis-clos en quelque sorte, que l'auteur parvient à écrire malgré tout un véritable road movie (comme dit plus haut), en déployant des trésors d'inventivité qui rendent unique chaque couloir ou chaque station, avec ses particularités… et dangers propres.
Dans chaque station par où il passe, Artyom est confronté à l'une ou l'autre idéologie plus ou moins marquée… et l'auteur s'en donne à coeur joie pour tourner en dérision toutes ces approches politico-religieuses que notre société contemporaine connaît : on a par exemple la société très organisée d'un IVe Reich, un groupuscule cosmopolite d'inspiration communiste à la Che Guevarra, une communauté relieuse sectaire, etc. Tous sont très réalistes, et on sent la diatribe contre ces différentes idéologies, avec parfois, cependant, ce qui ressemble presque à une certaine tendresse (pour Che Guevarra notamment). Les différents compagnons de voyage d'Artyom sont par ailleurs tous très typés et très vite proches d'Artyom et dès lors du lecteur, mais à peine s'est-on attaché à eux (du moins aux sympathiques !), et paf ils disparaissent de la compagnie du jeune homme, d'une façon ou d'une autre.
Enfin, dans les couloirs surtout (ou dans les rares chapitres où Artyom se transforme en stalker à la surface) on quitte très souvent un monde purement science-fictionnel pour entrer dans des passages qui relèvent de la pure horreur, dans la mesure où l'auteur y exploite des phénomènes surnaturels (et, quand ils sont expliqués, c'est de façon pas vraiment convaincante), suscitant une angoisse bien pire que dans les thrillers auxquels je suis bien davantage habituée, car on insiste ici sur l'étrange, sur les transformations post-apo liées aux radiations, et ça vrille jusqu'au plus profond !

Cet extraordinaire exercice de style, admirable d'un point de vue littéraire, n'en entraîne pas moins quelques longueurs : après quelques chapitres, je me suis quelque peu lassée de voir encore et toujours le même schéma. Un couloir = un danger, le compagnon de voyage disparaît en arrivant à la station (ou à peu près), Artyom vit l'une ou l'autre aventure parfois dramatique, il est de plus en plus dépouillé (de son arme, de son passeport, etc.), mais on sait d'avance qu'il va toujours s'en sortir – sinon il n'y aura plus d'histoire ! – et poursuivre, pour retomber dans le même schéma dès qu'il a quitté la station pour aller vers la suivante. Dès lors, son premier passage en surface (très tardif dans la narration, de mémoire on est déjà aux 70% du livre) donne tout à coup comme une bouffée d'air, tout vicié qu'il soit… et c'est aussi l'un des passages les plus horrifiques, mais on a vraiment envie de respirer à pleins poumons !
Mais ce qui m'a gênée plus encore que ces longueurs, et ça c'est de façon permanente, c'est que Artyom, qui est bel et bien notre personnage principal, est aussi, typiquement, un anti-héros. Au début, il est certes encore « novice » et se laisse donc porter par les événements bien davantage qu'il n'agit ; mais cette attitude, malgré son évolution intérieure, ne changera quasi jamais. du début à la fin il se laisse porter par les événements, il suit les ordres ou les idées des autres, se pose des questions certes (et même de plus en plus), mais ne s'impose jamais, de quelque façon que ce soit. Et bon, moi j'aime les vrais héros… du coup cette approche du personnage m'a déçue, d'autant plus qu'elle n'évolue pas en fonction de la maturité nouvelle du jeune homme.

Je termine donc ce livre avec un avis partagé, entre l'admiration pour l'exercice littéraire extraordinaire, une certaine satisfaction d'avoir trouvé un roman qui n'hésite pas à remettre en cause toutes les dérives (idéologiques) de notre société sans langue de bois, mais un mouvement de recul face à certains choix de traduction, le regret d'avoir trouvé quelques longueurs, et la déception toute personnelle d'avoir un personnage principal qui aurait pu être attachant mais qui s'enlise dans un rôle de anti-héros.
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