Maintenant,elle avait pris conscience qu’elle ne passait pas inaperçue parce qu’elle était belle et séduisante. L’intérêt qu’elle lisait dans les regards qui se fixaient et insistaient après l’avoir effleurée, l’avait transformée à son insu. Elle
devenait plus femme et, instinctivement, plus coquette. Sa démarche s'affinait,
son corps s'assouplissait sur sa taille plus flexible.
A la maison il y a toujours du monde, nous sommes en vue, des hommes de tous les âges, des jeunes, des vieux, des veufs. En plus, nous irons certainement chez le Régent.Là aussi, il y a de tout. Il se trouvera certainement un homme ou plusieurs qui s’enflammeront pour toi. Tu es belle comme les amours, tu as des yeux à damner un saint, et mon frère et moi sommes là pour faire valoir ta beauté, ta douceur, tes qualités et tes malheurs. Ça plaît, tu sais, la pauvre orpheline cloîtrée de force, sans défense et sans famille.
Il y avait aussi les hommes.Qu’elle soit dans les quartiers riches, aux beaux étalages ou au Pont-Neuf, jeunes ou vieux, ils rôdaient autour d’elle comme des guêpes attirées par un beau fruit. Ils l’apostrophaient avec des mots toujours les mêmes, poliment ou grossièrement, lui parlant du temps ou lui proposant de boire une chope. Elle ne répondait jamais.
Le rêve devenait rassurant. Elle n'était plus seule, l’homme au billet, l’homme providentiel, la protégeait et tout allait s’accomplir. Elle se voyait heureuse, vengée, aussi lumineuse qu’il lui était apparu, et son bonheur était si grand, si doux, si réconfortant dans sa plénitude, qu’un sourire d’ange se dessina sur son visage endormi.
On savait que le Vatican les avait blâmés et pourtant les dragonnades continuaient. On tuait, on pillait, on violait, on convertissait le couteau sous la gorge en traînant les gens dans les églises. On enlevait aussi les enfants. Une loi inique avait été votée.