Je l'ai déjà dit lors d'une précédente présentation de livre, j'ai un "grand palmarès" de lecteur sur la littérature dite concentrationnaire.
Mais cette littérature est une oeuvre monumentale de témoignage(s).
Or, ce qui fait la singularité du livre de
Valentine Goby, c'est que -
Kinderzimmer - est une oeuvre de fiction. D'où ma longue prudence, qui explique, en partie, pourquoi j'ai attendu sept longues années avant de me lancer dans la lecture de ce roman.
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Kinderzimmer - ou la chambre des enfants ou la pouponnière ( une antichambre de l'enfer sur terre), appartient à ces nombreux mystères liés à l'existence, à la finalité du camp de concentration de Ravensbrück, camp où se retrouvaient, en majorité, des déportées politiques venues de toute l'Europe ( URSS ou Russie comprise), qui avaient pour vocation d'être des esclaves travaillant jusqu'à épuisement (mort) pour le "Grand Reich " allemand, et à propos duquel on ne possède quasiment pas d'archives.
Un de ces mystères est l'ouverture très discrète de cette "pouponnière" en septembre 1944... au moment même où les nazis commencent à gazer en masse des déportées dont ce n'était pas jusque-là la destinée initiale.
À travers un formidable travail d'historienne, pour ce qui est du contexte, rendu avec un réalisme très dur mais d'une éthique de vérité scrupuleuse,
Valentine Goby ( c'est là qu'intervient la fiction) crée et fait vivre des personnages "plus vrais que vrais".
Une jeune femme, Mila, déportée politique française, va passer de vendeuse dans un magasin de musique, oeuvrant, grâce à des partitions "réécrites", pour la Résistance, d'héroïne ordinaire à héroïne extra-ordinaire, parce qu'elle est enceinte, qu'au début elle l'ignore, puis le nie et le cache, et parce que arrivée au terme de sa grossesse, elle et ses camarades vont découvrir l'existence, ignorée de toutes (ou presque), de cette -
Kinderzimmer -... minuscule lieu de vie au milieu d'un gigantesque lieu de mort... et que toutes ensemble, elles vont se battre pour que le souffle de cette vie ou de ces vies ne s'éteigne pas. ( L'espérance de vie des nourrissons ne dépassait pas trois mois). Acte de résistance, acte de solidarité ; il s'agissait moins de sauver des individus que de préserver l'espèce. Certaines mères avaient jusqu'à 20 enfants, et plus parfois (les mères en vie "adoptaient" les enfants des mères décédées...).
Valentine Goby raconte qu'un des trois enfants français né à Ravensbrück... a été surnommé "l'enfant international"...
Révélation et symboles éminemment interpellants.
Un livre fort qui questionne sur les camps bien sûr, mais sur l'humain, son courage, sa capacité à se dépasser, sur la solidarité (omniprésente dans cette histoire), sur la vie et le sens qu'on peut lui donner, sur l'amour, et sur l'internationalité de l'espèce humaine.
Une dernière petite précision concernant l'écriture. J'ai évoqué le réalisme, il y a aussi l'émotion restituée par une narration au présent de l'auteure, pour se dégager du piège qu'eût été une écriture "de témoignage".
J'aurais eu des regrets de passer à côté d'un si bon travail d'écriture sur un tel sujet.