L'anguille

La nouvelle ? Tiens, c’est vrai, il avait oublié. Il se rappelle le prof de français leur annonçant sa venue. La semaine dernière. Ce ne serait pas n’importe quelle élève, il avait dit gravement. Ce serait une élève différente. Une fille « en situation de handicap ». Le prof avait chuchoté ces mots comme s’ils étaient dangereux. Ou précieux. Ou grossiers. Ou fragiles, on ne savait pas trop. Des mots spéciaux en tout cas, pour une fille spéciale. Handicapée, quoi, avait traduit intérieurement Halis. Le prof avait dit ensuite que c’était une chance pour la classe. Halis n’avait pas bien compris pourquoi.

Pour l’instant, ils ne se connaissent pas. Ils ne se sont même pas croisés à la boulangerie ou à l’arrêt de bus. Mais ça ne va plus tarder. Moi, la romancière, j’ai décidé de les faire se rencontrer demain, et ça m'excite drôlement. (p.7)

M.Vignon avait raison se dit Halis , les yeux posés sur l 'horizon, quand en janvier il annonçait la venue d'une fille différente, affirmant que ce serait une chance. Camille est une chance. Ma mère avait raison se dit Camille, fixant une île au loin, quand en janvier , elle parlait de cette ville, ce collège inconnu comme une promesse d'aventure. Déménager, c'était une chance.

-Des fois, être noir, c’est un handicap.
Toutes les têtes se tournent vers lui. Abdoulaye fixe son cahier
-Qu’est-ce que tu veux dire, Abdoulaye? demande le prof.
-On n’est pas considéré pareil que les autres. Comme s’il nous manquait des choses. Pas des bras, ou des yeux, ou des parties du corps. Certains pensent qu’on n’est pas aussi intelligents, aussi bien que les Blancs, et du coup c’est plus dur de trouver du travail. Ou de louer un appartement. Parce qu’on est noirs.
-Moi, ma mère, ajoute Maryline, elle dit que son patron ne veut pas qu’elle devienne chef au bureau parce que c’est une femme. Il pense qu’elle est moins capable qu’un homme. Qu’elle a moins de cerveau. Est-ce que c’est un handicap, d’être une femme?
-Ben t’imagines, ajoute Léna, si tu es noir ET que tu es une femme...

Il faudra que tu acceptes le regard des gens !

Camille ressemble au tulle, à la dentelle, à la résille, ces tissus faits d'ajouts qu'utilisent ses parents pour les vêtements de mariage, de deuil, de cérémonie, et que portent les danseuses au bas de leurs tutus... les vides font partie du tissu, le rendent beau et délicat. Ils ne sont pas des trous à réparer. Camille est une sorte de dentelle humaine, de tulle, de résille avec ses ajours à l'endroit des bras. Il n'y a rien à combler, elle est entière telle qu'elle est.

- Pardon... monsieur Georges... a dit qu'il voulait que je vous parle de handicap. Mais je ne suis pas handicapée. Je suis différente. On est tous différents, les cheveux, les yeux, la taille, la voix, disons que je suis un peu plus différente. Par exemple, j'ai des pieds qui me servent de mains. Mes mains ne sont pas au même endroit que vos mains, mais comme vous je me lave les cheveux avec, je m'habille, je me fais des tartines de beurre saupoudrées de cacao...
Halis n'en croit pas ses oreilles. Des tartines de beurre au cacao ? Elle aussi ! Une vague de chaleur lui traverse le corps.

Il songe à cette expression pour dire la tristesse : avoir le cœur gros. Il a le cœur gros de quitter Camille. Et ça lui sape le moral, que " gros " veuille aussi dire " triste ".

"Il y a une chose tres...differente entre ici et Faejevol. En plus de la campagne,de l'accent des gens,de temps qu'il fait, tout ça. La bas personnes ne me dévisageait." Camille fixe le lino au sol,ses lignes bleues et blanches,elle suit leur trajectoire bien droite,s'y acroche comme à une corde d'alpiniste,pour ne pas flancher,"je suis née sens bras. A cause d' un medicament que ma mère a pris quand elle etait enceinte,et voila ils n'ont jamais poussé. Ma mère a su que je n'aurais pas de bras elle l'avait vu à l'écografie, les docteurs etait prevenus à l'ôpital et ma famille aussi on m'attendais sans bras , alors je n'ai surpris personnes." Camille parvient à lever les yeux. Rencontre ceux d'Halis "le bg" des rires fusent

Il obéit en robot, complètement pris au dépourvu. Il tente de tasser l'épaisse chevelure de Camille sous le bonnet, des mèches rebelles dépassent de partout, elle a un air de feu follet. il tire l'élastique des lunettes, les place sur ses yeux.



DZ