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Critique de sebthoja


Oser plonger pour retourner à l'eau, la grande matrice. S'il veut survivre, il devra nager. S'il veut devenir un homme, ce sera un poisson. Depuis ses vingt-deux ans, François n'a plus de bras, jusqu'aux moignons. L'image de la murène, animal hideux aux mouvements gracieux, nichée dans des profondeurs insoupçonnées, pleines d'une humanité révélée, justifie le titre de roman éblouissant.

Une étreinte oubliée : celle de Nine dans ses bras. le choc de l'accident lui fera perdre une partie de sa mémoire, notamment celle, tactile, qu'il ne retrouvera jamais. de son coma, il se réveillera amputé.
«  La caresse brûlante de l'arc électrique qui traverse la chair, enflamme les tissus, projette le corps à plusieurs mètres  ». de son accident et de sa lente guérison, aucun détail ne nous sera épargné. Mais le plus dur reste à venir, car comment vivre sans pouvoir attraper un objet, s'habiller, manger, marcher droit ? Comment vivre sans ne pouvoir plus pisser seul ? Comment vivre sans ne plus jamais rien pouvoir toucher de ses mains ?

Nous sommes en 1956. A cette date, la prise en charge des grands brûlés et des handicaps qui peuvent en découler n'en est encore qu'à ses balbutiements. Cantonnés aux mutilés de guerre, les handicapés civils sont ignorés. C'est cette histoire que nous propose de suivre Valentine Goby dans ce roman particulièrement émouvant.
Cependant, vous n'y trouverez rien de voyeuriste, juste la description minutieuse, quasi clinique, d'un être humain désemparé :«  six litres de sang très rouge irriguent parfaitement son corps de vingt-deux ans, pulsent à travers cent mille kilomètres de vaisseaux  ».

De son infirmière dévouée, Nadine, à l'attention sensible et salvatrice ; de sa mère anglaise qu'il appelle Mum, à laquelle les médecins n'auront qu'un seul conseil : «  aimez-le sans relâche  », vous n'y trouverez rien de pathétique. Juste la lente reconstruction d'un homme à l'«  anatomie lacunaire  ». Ses membres atrophiés le feront entrer dans une nouvelle espèce d'humanité. le deuil de son corps d'homo sapiens sera sa seule porte de sortie.

Valentine Goby connaît l'art du kintsugi, cette méthode ancestrale d'origine japonaise consistant à réparer des vases brisés pour en créer de nouveaux. François trouvera sa résurrection dans l'eau. Puisant dans cette force aquatique, François nous amènera sur des terrains et des concepts qui n'existent pas encore, dans cette France d'après-guerre - jeux paralympiques, handisport -, posant habilement la question sociale du handicap et de sa reconnaissance personnifiée par la renaissance d'un homme :
«  C'est un combat, et le premier champ de bataille est celui de nos corps  ».

Passionnée par la mémoire et sa transmission, Valentine Goby nous offre dans ce treizième roman, un récit de mutilation étincelant d'humanité, car «  seules les fêlures laissent passer la lumière  ».

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