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Critique de Antyryia



A l'origine, Hansel et Gretel était un conte des frères Grimm.
Tout comme dans le petit poucet, quand menace la famine, leur horrible belle-mère demande à son mari d'aller perdre ses enfants dans la forêt. Ca fera toujours deux bouches de moins à nourrir. Mais Hansel retrouvera leur chemin à l'aide de petits cailloux semés tout du long.
En revanche, les miettes de pain, mangées par les oiseaux, ne leur permettront pas de retrouver leur route la seconde fois.
Perdus, ils finiront par tomber sur une maison en pain d'épice et pourront se sustenter et se régaler avec toutes ces sucreries.
Mais cette demeure construite pour attirer les enfants est habitée par une sorcière qui fera de Gretel sa servante, et qui engraissera Hansel comme une oie avant de pouvoir le jeter au four pour le manger.
Mais les deux complices ne se laisseront pas faire. Gretel usera de nombreux subterfuges, profitant de la mauvaise vue de leur geôlière, et c'est la sorcière qui finira brûlée.
Oui, une gentille petite histoire sur le cannibalisme, la pédo-anthropophagie.
Un conte où on dévore des enfants ? Pas de quoi en faire tout un plat !

Les contes interdits sont une série de livres d'auteurs québécois reprenant les contes de notre enfance dans une version plus moderne, plus adulte, et surtout plus horrifique.
Il y en a douze à ce jour : Raiponce côtoie ainsi le petit chaperon rouge, Peter Pan les trois petits cochons et la reine des neiges Hansel et Gretel.
Et si ces romans ne font pas particulièrement dans la dentelle et ne brillent généralement pas par la qualité de leur écriture, leur prix abordable, leurs couvertures magnifiques et leurs thématique intrigante ( comment transposer La petite sirène dans le monde réel contemporain ? ) leur assurent un certain succès.

Ainsi, tout en respectant l'étymologie des prénoms d'origine, Hansel et Gretel seront rebaptisés Jeannot et Margot dans la version d'Yvan Godbout ( également auteur d'un des volumes de la série Cobayes ).
Jeannot et Margot vivent dans la misère la plus totale avec leurs parents : Leur douce mère Alice, attentionnée et protectrice. Et leur affreux beau-père Gaston, stéréotype du gros dégueulasse, brutal, incarnation du mal.
Violeur d'enfants.
"Le chaos s'installe sur le lit aux draps blancs souillés par l'ignominie."

Les deux jumeaux mettront tout en oeuvre pour secourir leur mère, qui elle même a voulu intervenir en comprenant à quel point son compagnon était le plus ignoble des porcs.
Après cette première partie illustrant la cruauté du beau-père, l'amour maternel, le lien qui unit Alice à Jeannot et Margot qui est aussi un lien télépathique, les deux enfants de huit ans ne se retrouveront pas perdus dans la forêt.
Mais livrés à eux mêmes. Dans la maison de la sorcière. Rassurante de l'extérieur ( une église ), elle s'avère être l'antre d'adorateurs de Satan. Parmi lesquels la vieille Ursula et son fils Samaël, et un rottweiler jouant le rôle de Cerbère.

Après une première partie terrible, également marquée par de nombreuses allusions à d'autres personnages de contes ( le petit poucet, le prince charmant, Alice aux pays des merveille, la petite fille aux allumettes ), on sombre dans le grand n'importe quoi avec la préparation d'un rituel risible pour faire revenir l'antéchrist. Hansel et Gretel devient alors une réécriture assez grotesque du conte original, à base de sacrifices humains et de nouvelles relations sexuelles contre nature.

Mais peu importe l'histoire, peu importe la qualité du roman.
Tout ça est secondaire.
Puisque ce livre, devenu pour l'instant en tout cas exclu de toute commercialisation, ayant fait l'objet d'une saisie chez l'éditeur ( AdA ), est devenu tristement célèbre au Québec. Et ce sont surtout ces raisons qui m'ont poussé à braver l'interdiction et à me faire ma propre opinion avant de réagir au scandale médiatique provoqué par la parodie malsaine d'Yvan Godbout.

Voilà ce que prévoit la loi canadienne :
- « tout écrit […] qui préconise ou conseille une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans qui constituerait une infraction à la présente loi »;
- et « tout écrit dont la caractéristique dominante est la description, dans un but sexuel, d'une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans qui constituerait une infraction à la présente loi ».
Une enseignante sainte-nitouche a été tellement choquée par les passages où Gaston était coupable de pédophilie dans des scènes pas excessivement détaillées mais pas non plus uniquement suggérées qu'elle a porté plainte en 2018. Ca n'était pas la première.
Le 14 mars dernier, l'auteur et le directeur général des éditions AdA ( Nycolas Doucet ) ont été arrêtés. Ils sont accusés de production et de distribution de pornographie juvénile.
Les stocks de l'infâme roman ont été retirés des commerces, saisis chez l'éditeur.
Les deux hommes comparaîtront ce mois-ci devant le tribunal.
S'ils sont déclarés coupables, alors je pourrais être accusé de détenir du matériel de pornographie juvénile puisque j'ai ce livre dans ma bibliothèque. C'est d'une aberration !
Et pendant ce temps, les véritables prédateurs sexuels sont toujours dans la nature, des enfants bel et bien réels vivent ce cauchemar au quotidien sous leur propre toit.

Oui, l'horrible beau-père est bien coupable de sodomie sur le personnage de Jeannot. Il a également souillé Margot, procédant à un ignoble chantage si les gamins de neuf ans refusaient de se laisser faire.
Oui, il y a dans Hansel et Gretel des scènes de pédophilie qui soulèvent le coeur et l'estomac. Dire qu'elles sont dérangeantes serait un euphémisme.
Et oui, conformément à la ligne directrice de la collection, le conte est revisité de la façon la plus horrible qui soit, mais en misant sur le malsain davantage que sur l'hémoglobine.
"Il préfèrerait être prisonnier d'une cage pleine de vipères pour l'éternité plutôt que de sentir à nouveau le membre durci d'un homme forcer le passage de son corps d'enfant."
Alors quoi ? Je conçois que ça puisse mettre très mal à l'aise certains lecteurs ( c'est aussi le but recherché, il faut aussi admettre une forme de complaisance et de surenchère, mais pas de gratuité ), mais on fait quoi alors ? On fait comme si la pédophilie n'existait pas ?
On en fait un sujet proscrit en littérature ? On choisit soigneusement ses mots pour ne pas trop choquer les lecteurs et la censure ? Ou on fait l'autruche en en faisant uniquement un vague concept et quelque chose qui n'arrive de toute façon que dans les autres familles ?

Pour reprendre ce que dit la loi canadienne, Hansel et Gretel ne préconise absolument pas d'avoir une relation sexuelle avec un mineur. Et les descriptions de ces scènes chocs n'ont pas un but sexuel. Elles sont là pour provoquer un dégoût, et certainement pas une érection. Ce que fait Gaston est tout bonnement ignoble, et le personnage antipathique au possible est décrit comme un monstre, une sous-merde.
"S'approchant de Margot, celui qui ne mérite pas d'être considéré comme un homme retire son caleçon."
Mais des Gaston, il y en a dans la vraie vie. Ce qu'ils font aux gosses n'a pas à être édulcoré. Plus ça l'est et plus ça pourrait paraître comme à la limite de l'anodin pour certaines familles.
La France est toujours en pleine affaire Christian Quesada, et je ne parle pas des scandales étouffés par l'église catholique qui devrait peut-être un jour se résoudre à laisser ses hommes d'église se marier pour éviter certains débordements inacceptables.
J'ai lu un article il y a deux semaines sur une gamine de 13 ans abusée, que personne ne voulait croire, et qui a du enregistrer son père en train de lui demander de garder leur petit secret pour enfin être prise au sérieux.
Deux de mes connaissances ont été violées par un membre de leur famille dans leur petite enfance. Elles ont parlé à leurs parents de ce qu'on les avait obligé à faire. Même constat des deux côtés : Les géniteurs leur ont donné une claque et les ont accusé de mentir. C'est tellement plus pratique ! Et qui vit ensuite pendant des années avec un traumatisme enfoui, laissant pourtant des traces ?
Donc au Canada aussi la pédophilie est tabou ? On ne veut surtout pas savoir ? Et si un auteur ose, au lieu d'une claque on le met en prison ?

Et Patrick Senécal aussi devra comparaître devant la justice pour son chapitre se déroulant en Gaspésie ? Ce moment charnière du roman durant lequel Maxime Lavoie perd définitivement toute foi en l'humanité et sans lequel son chef d'oeuvre le vide n'aurait plus aucun sens ?
L'auteur d'Aliss a d'ailleurs déclaré au sujet de cette affaire :"Mettre un roman sur le même pied qu'un criminel qui consomme du matériel pédophile est aberrant."
Je ne peux qu'être d'accord avec lui.
Et Christophe Siébert, dont l'oeuvre pullule de scènes incestueuses, faut-il l'interner ? Parce qu'il décrit un peu trop dans les détails les rapports charnels entre une mère et son jeune adolescent - tueur en série en devenir - dans Nuit noire ?
Ou l'ascension de l'horreur dans sa nouvelle étouffante "Je ne voulais pas mourir", dans laquelle les attouchements d'un père de plus en plus gourmand, de plus en plus odieux, vont progressivement plonger sa fille dans la terreur de ce qui l'attend chaque soir tandis que sa mère ferme les yeux. Etait-ce la peine de donner des détails de ce que cette victime a subi des années durant ? Je le pense. Cette escalade de violence physique autant que psychologique va provoquer la fugue de cette adolescente complétement démolie et sans repères. Qui finira par se suicider. le lecteur devient voyeur contre sa volonté, mais croyez-moi, il n'en n'éprouve aucun plaisir. Bien au contraire un malaise parce qu'on lui met le visage dans la fange humaine en lui disant "Tu vois, la pédophilie, c'est ça. Ca n'est pas juste une vague déviance, c'est répugnant et ça détruit des vies."

Alors même si l'éditeur aurait peut-être du mentionner "Pour un public averti" comme il l'a fait pour ses quatre dernières publications, parce qu'Hansel et Gretel n'a en effet pas à se retrouver entre toutes les mains, il ne faut quand même pas tout mélanger. Yvan Godbout est un romancier, il n'a pas mis de photos d'enfants nus sur le Darkweb, il n'en n'a pas non plus regardées, et il n'a jamais violé personne.
Il n'a pas écrit un livre de cul s'adressant aux pédophiles dans une collection réservée aux adultes perturbés.
Je ne m'insurge pas contre la liberté d'expression parce qu'il faut tout de même certaines limites à celle-ci quand elle bafoue la vie privée d'autrui, et parce qu'il n'est pas question de voir un jour chez mon marchand de journaux des magazines X avec des enfants nus en couverture aux côtés d'autres revues déjà très discutables.
Mais ça n'est pas la problématique ici.

Nul n'est censé ignorer la loi.
Quand un panneau indique que la limite de vitesse autorisée est de 30 km/h, même si on pourrait rouler à 70 sans danger, on respecte la limite autorisée aussi idiote soit-elle.
Mais avouez que la législation canadienne est très floue. Qu'organiser un autodafé de ce roman au nom d'une censure bien pensante nous ramènerait à de sombres heures de notre histoire.
Hansel et Gretel est une histoire qui n'a pour but que de divertir ( et de mettre mal à l'aise ) son lecteur sans promouvoir la moindre religion ou idée politique. Et encore moins la pédophilie.
La justice est en train de mettre une étiquette "Pédophile" sur l'écrivain québécois, qui risque de lui coller à la peau même s'il est finalement jugé innocent.
Ce que je trouve honteux, même si tous ne seront pas de mon avis.

Si Yvan Godbout venait à habiter votre quartier, je suis convaincu que vous l'accepteriez bien plus volontiers que Marc Dutroux.
Et qu'il ne représenterait pas la moindre menace pour vos enfants.


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