En empruntant le livre à la bibliothèque, j'ai demandé l'exemplaire anglais de 1939, en pensant que ce serait une première édition. En fait non : l'édition précise que le livre a été réimprimé sept fois en juillet, deux fois en août, et deux fois en septembre 1939. C'est un détail, mais qui montre le succès du livre à l'époque, et qui illustre aussi le fait que, lorsque Godden a écrit ce roman, c'était pour un lectorat qui (comme elle) ne pouvait pas savoir à quel point la présence anglaise en Inde allait changer au cours des dix années suivantes.
Le roman se déroule en effet en Inde, dans les montagnes du district de Darjeeling, à une période (1938) qui n'est précisée qu'indirectement. Une poignée de soeurs d'un ordre religieux anglo-catholique sont envoyées fonder une école et un hôpital dans un village très reculé, que des frères missionnaires ont déjà abandonné sans donner d'explication. le roman est l'histoire des quelques mois qu'y passent ces soeurs, et de leurs efforts physiques et surtout mentaux pour faire face aux maladies, à l'isolation, à l'éloignement, aux souvenirs et aux désirs qui refont surface.
Lire le livre aujourd'hui, c'est se demander comment l'arrière-plan du roman, avec ses questions de genre, de race et de foi, était compris par les premiers lecteurs – qui étaient probablement plutôt des premières lectrices. Mais je crois que ce qui intéresse surtout Godden (qui a vécu entre le nord-est de l'Inde et l'Angleterre pendant la première moitié de sa vie), c'est de regarder comment sa petite communauté, malgré tout son courage et sa détermination, se fendille et craque au fil de ces quelques mois passés sous les sommets himalayens.
Bien qu'il se rapproche le plus souvent du point de vue de Soeur Clodagh, qui dirige le petit groupe, le livre est entièrement écrit au passé et à la troisième personne. Pourtant, il m'a paru très immédiat et vivant, certainement aidé par la véridicité des descriptions des effets de la montagne, de l'altitude et des saisons sur la petite communauté. Est-ce qu'il se passe beaucoup de choses ? D'une certaine manière, non – les développements sont exacerbés par la tension intérieure des soeurs. Celle-ci est révélée non seulement par leurs actions, mais aussi par cette manière intéressante qu'a
Rumer Godden de faire entrer des regards extérieurs (une personne, une lettre…) sur les protagonistes de son histoire et, par ces regards extérieurs, d'introduire un élément déstabilisateur dans l'équilibre de plus en plus précaire qui règne parmi les soeurs ainsi que dans leurs relations avec les habitants des villages alentours.
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