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EAN : 9782721007018
570 pages
Editions des Femmes (19/09/2019)
4.43/5   14 notes
Résumé :
Dans cet ouvrage pionnier, fondateur des Recherches matriarcales modernes, Heide Goettner-Abendroth propose une nouvelle approche méthodologique du concept de matriarcat, revisitant ainsi l’histoire de l’humanité tout entière.
Dans un aller-retour permanent entre le terrain et la théorie, elle offre une vue d’ensemble des sociétés matriarcales dans le monde, faisant apparaître que celles-ci ont non seulement précédé le système patriarcal, apparu seulement ver... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Ce volume encyclopédique se propose ni plus ni moins comme la fondation d'un nouveau paradigme, avec son propre cadre méthodologique et sa propre théorie structurale des sociétés : les Recherches matriarcales modernes. La multiplication des exemples de sociétés matriarcales sur les quatre continents : celles qui subsistent, bien qu'elles soient cantonnées dans les contrées les plus reculées et à l'abri de la modernité et de la colonisation à la fois « externe » (celles des peuples limitrophes qui sont patriarcaux) et « interne » (celle des hommes acquis au patriarcat envers les femmes de leur propre peuple), celles qui sont en voie de disparition par patriarcalisation, celles anciennes dont ne restent du matriarcat que des reliques archéologiques matérielles, culturelles ou religieuses-mythologiques plus ou moins enfouies, tous ces exemples portent à croire que le matriarcat fut jadis une sorte d'universel. Cette théorie est naturellement (encore) assez hérétique, d'autant plus que l'autrice conteste l'hypothèse d'Engels selon laquelle le matriarcat aurait été la structure de la société pré-agraire et antérieure à l'instauration de la propriété privée. Au contraire, il apparaît ici que, si la division genrée du travail est presque toujours présente également dans les sociétés matriarcales, les femmes s'y réservent parfois l'agriculture, parfois le commerce, parfois même l'élevage : par conséquent une organisation matérielle de l'économie spécifique ne semble pas déterminante sur la question du matriarcat ou du patriarcat. Si les sociétés matriarcales sont présentées dans cet ouvrage comme généralement plus égalitaires et plus pacifiques que celles que nous connaissons, cette règle n'est pas non plus absolue, et, sous la contrainte du patriarcat prédateur, certaines des celles-là se sont très bien adaptées à une résistance belliqueuse (cf. les Amazones), ou bien à la migration (cf. les Touaregs), ou bien à une certaine forme d'hybridation syncrétique (plus ou moins pérenne) comportant des éléments de pouvoir, de croyance et d'héritage patriarcaux et matriarcaux.
Pourtant, malgré ces éventuelles hybridations, certaines caractéristiques fondamentales sont nécessaires au matriarcat, et elles sont de nature absolument matérielle : la concentration de la richesse aux mains de la matriarche et sa redistribution par ses soins ; une telle organisation économique se joint au matrilignage, et presque invariablement à la matrilocalité (par la possession féminine du logement).
Si de telles conditions nécessaires sont matérielles, il n'en reste pas moins que la structure symbolique et spirituelle-religieuse de la société matriarcale est récurrente : elle s'articule autour du culte des ancêtres et de la croyance en la métempsychose, de sorte que le rôle du père dans la reproduction est réduit au minimum (ou carrément dénié) et que la femme, capable de ranimer les ancêtres par la procréation, assume la place prépondérante ; il s'ensuit aussi la diffusion presque généralisée du chamanisme, une grande liberté sexuelle proportionnelle à l'importance accordée à l'enfantement. Enfin, au niveau politique, les sociétés matriarcales sont caractérisées par une organisation par clans, avec des alliances par les mariages, souvent assez endogames par unions croisées entre cousins.
Par le repérage des traits communs entre tous ces peuples, présentés d'abord dans une sorte de périple qui pourrait avoir été un parcours migratoire allant d'ouest en est et de sud en nord en partant de l'Inde septentrionale jusqu'aux Amériques, pour revenir ensuite vers l'Inde du Sud et se conclure enfin dans le continent africain (cf. table), on est tenté d'accepter l'intégralité des arguments même lorsqu'ils sont contradictoires ou au moins discordants avec ce que l'on a pu lire chez des paléoanthropologues comme Pascal Picq et Alain Testard, des spécialistes du chamanisme comme Mircea Eliade, et s'étonner qu'il ne soit pas fait mention, parmi les sociétés matriarcales historiques, des Amazones d'Eurasie entrées en contact avec les Grecs dans l'Antiquité... Une certaine image idéalisée du sujet traité, notamment sur le caractère égalitaire, pacifique, consensuel, capable d'équilibrages environnementaux (notamment par le contrôle de la démographie) de toutes ces sociétés matriarcales peut faire surgir le doute, la perplexité, sans que l'on soit capable, dans la foison d'information ethnologiques, historiques, mythologiques, archéologiques, etc. sur tant de peuples, peu connus pour la plupart, de repérer les éventuels maillons faibles de l'argumentation.
Pour ma part, à ce stade de mes connaissances et de ma réflexion, je suis enclin à croire que, dans la variabilité typique de formes culturelles de l'humain, il y ait eu une équiprobabilité entre la solution matriarcale et patriarcale, sauf que cette dernière, favorisée historiquement par le potentiel de croissance démographique polygynique et sans doute aussi par une plus forte tendance à la hiérarchie inégalitaire, a eu un avantage sur le matriarcat dans les situations de guerre et d'édification étatique fondée sur le pouvoir. Naturellement, la quasi disparition des sociétés matriarcales dans le monde, au moins en termes quantitatifs, encore plus que notre propre biais sexiste, nous rend aujourd'hui (encore) particulièrement incapables de repérer les rares traces du matriarcat lorsqu'il est presque éteint ou invisibilisé. La question des origines est particulièrement complexe, ses preuves ambiguës : personnellement, je crois que de même que l'on s'est trop longtemps posée la question (somme toute futile) sur la nature humaine, bonne ou dépravée, de même la question sur la plus grande proximité caractérielle de Sapiens vis-à-vis des bonobos ou bien des chimpanzés n'est pas encore solvable, et pas vraiment de bon aloi... Alors, déplorer un malheureux passage du matriarcat au patriarcat risque de nous faire tomber dans une sorte d'analogie avec la Chute biblique de l'humanité, métaphore complètement patriarcale d'une religion qui l'est tout autant, pour le coup...
Néanmoins, cette idéalisation du sujet d'étude n'est vraiment qu'une bagatelle, un péché mignon presque inévitable devant la tentative de créer un nouveau paradigme disciplinaire qui se doit de se positionner en opposition absolue avec un paradigme très certainement biaisé par l'idéologie patriarcale qui domine incontestablement l'ensemble des sciences humaines, et surtout ses mythes des origines – comme on l'a souvent reproché à Freud et à Lévi-Strauss. Sachons donc faire confiance à une recherche naissante, qui va certainement donner dorénavant d'autres fruits plus riches, plus nuancés, plus attentifs surtout à la diversité des sociétés matriarcales plutôt qu'à leurs points communs, mis en relief par les sous-chap. intitulés « Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite) » à la fin de chaque chap. Dans cette optique, je pense qu'il a manqué une annexe récapitulative, peut-être sous forme de tableau, jointe à une carte du monde, de l'ensemble des sociétés matriarcales traitées, de leur datation et/ou situation actuelle, de leur importance démographique, de leurs traits distinctifs et singularités.



Table :

Remarques sur le matriarcat
Introduction générale. Philosophie et méthodologie des Recherches matriarcales modernes.

Chap. 1. Histoire critique des points de vue sur le matriarcat
1.1. Les pionniers
1.2. La discussion marxiste
1.3. Anthropologie et ethnologie
1.4. La préhistoire
1.5. Les recherches sur la religion
1.6. Les traditions orales
1.7. L'archéologie
1.8. Les Recherches matriarcales féministes et autochtones

Partie I. Les sociétés matriarcales autochtones en Asie orientale, en Indonésie et en Océanie

Chap. 2. le matriarcat dans le nord-est de l'Inde
2.1. Les Khasi : la terre et le peuple
2.2. La structure sociale
2.3. Les formes politiques
2.4. La croyance et la cérémonie sacrée
2.5. La situation actuelle
2.6. Comprendre la structure des sociétés matriarcales

Chap. 3. Les cultes matriarcaux au Népal
3.1. Les Newar de la vallée de Katmandou
3.2. le culte de la déesse Kali
3.3. Pashupatinath : le culte de la mort et de la vie
3.4. Kumari, la déesse vivante
3.5. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 4. Les anciens royaumes de reine et le mariage par groupes au Tibet
4.1. Les cultures agraire et pastorale
4.2. La religion bön
4.3. Les anciens royaumes de reine tibétains
4.4. La polyandrie en tant que mariage bien organisé par groupe
4.5. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 5. Peuples matriarcaux des montagnes en Chine
5.1. Les peuples autochtones en Chine
5.2. Les Mosuo dans le sud-ouest de la Chine
5.3. le peuple Chiang dans le nord-ouest de la Chine
5.4. Yao, Miao et autres peuples autochtones
5.5. Les peuples de la culture Yue dans le sud-est de la Chine
5.6. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 6. Femmes chamanes en Corée
6.1. Les cultures mégalithiques d'Asie orientale et de la ceinture du Pacifique
6.2. Les femmes dans l'histoire de la Corée
6.3. Les femmes chamanes contemporaines
6.4. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 7. Les îles du Japon : les cultures des femmes du sud et du nord
7.1. La religion shintô du Japon
7.2. Soeur et frère dans les îles Ryukyu
7.3. Mythologie matriarcale
7.4. Les Aïnu dans le Japon septentrional
7.5. La conception du monde paléolithique
7.6. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 8. « Alam Minangkabau » : le monde des Minangkabau en Indonésie
8.1. Les formes culturelles matriarcales en Indonésie
8.2. Culture et ordre social des Minangkabau
8.3. « Darek » et « Rantau » : deux façons d'éviter le patriarcat
8.4. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 9. Formes matriarcales en Mélanésie
9.1. Les habitants des îles Trobriand
9.2. Les esprits-enfants des Trobriandais
9.3. le cercle de la Kula et la chefferie dans les îles Trobriand
9.4. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 10. Cultures de l'océan Pacifique
10.1. Bateaux, étoiles et pierres
10.1. Les femmes dans la société polynésienne
10.3. le clan de Pélé
10.4. Les chefs guerriers en Océanie
10.5 Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Partie II. Les sociétés matriarcales autochtones dans les Amériques, en Inde et en Afrique

Chap. 11. Cultures matriarcales en Amérique du Sud
11.1. Les Arawak
11.2. Les Amazones d'Amazonie
11.3. La voie maritime vers l'Amérique du Sud
11.4. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 12. La propagation du matriarcat vers l'Amérique centrale
12.1. Les Kuna, le « Peuple d'or »
12.2. Croyances et cérémonies religieuses kuna
12.3. Les femmes belles et puissantes de Juchitán
12.4. le cycle de vie des femmes de Juchitán
12.5. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 13. Amérique du Nord : peuples matriarcaux d'immigrants venus du sud
13.1. Les Hopi, le « Peuple pacifique »
13.2. Fêtes du cycle de vie et cérémonies agraires
13.3. Les divinités et la mythologie des peuples Pueblo
13.4. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 14. Amérique du Nord : au croisement des cultures du sud et du nord
14.1. Histoire de Iroquois
14.2. La naissance de la Confédération iroquoise
14.3. La Constitution et les structures politiques
14.4. La société iroquoise
14.5. L'économie iroquoise
14.6. Les sociétés de médecine et la mythologie iroquoises
14.7 Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 15. le matriarcat en Inde du Sud
15.1. le matriarcat au sein du système de castes
15.2. Les Nayar, femmes et hommes
15.3. Nayar, Pulayan, Parayan
15.4. L'organisation sociale des Nayar
15.5. Fêtes et religion des Nayar
15.6. Brahmanes patriarcaux et Nayar matriarcaux : des relations tendues
15.7. La disparition des structures matriarcales nayar
15.8. Les peuples expulsés : Adivasi et Sinté-Roms
15.9. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 16. Ancien matriarcat en Afrique centrale
16.1. Les Bantous
16.2. Les ingérables femmes bemba
16.3. La religion bemba
16.4. L'organisation sociale duelle des Luapula
16.5. Les peuples nomades patriarcaux et matriarcaux
16.6. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 17. Reine-Roi, la double souveraineté matriarcale en Afrique de l'Ouest
17.1. L'histoire des Akan
17.2. La reine mère et la plus ancienne forme des royaumes akan
17.3. Les rois akan matriarcaux
17.4. La religion akan et la fonction sacrée de la reine mère et du roi
17.5. Développement des tendances patriarcales dans les royaumes de reine-roi akan
17.6. Les Ashanti
17.7. Extension de la double souveraineté matriarcale reine-roi en Afrique subsaharienne
17.8. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Chap. 18. Peuples pasteurs matriarcaux en Afrique du Nord
18.1. La Targuie : la femme maîtresse de la tente chez les Touaregs
18.2. le pouvoir économique et social des Touaregs
18.3. L'organisation politique des Touaregs
18.4. L'histoire : l'exode dans le désert
18.5. L'ancienne religion berbère
18.6. Comprendre la structure des sociétés matriarcales (suite)

Glossaire
Bibliographie
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"On peut lire ce livre par simple intérêt scientifique. On peut le dévorer pour ce qu'il est aussi, un merveilleux recueil de contes et d'aventures bigarrées dans l'Histoire et la condition humaine. On peut en outre y trouver quelque chose qui pourrait ressembler à une boîte à outil pour contrer les désastres à venir. Car ces sociétés sont égalitaires, harmonieuses, soucieuses de tous leurs membres, respectueuses de toute vie. Elles connaissent intimement et célèbrent la nature dont elles font partie. Elles ne connaissent pas le bien ni le mal, mais leur appréhension du monde est fondée sur des dualités complémentaires. C'est pourquoi la polarité sexuelle est à la fois reconnue et intégrée, au lieu d'être réglée comme dans les patriarcats par l'élimination sociale, la violence et l'assujettissement de l'autre sexe. Etudier les matriarcats (ce livre étonnant en étudie en détail plus de vingt et en aborde plus de cinquante de façon brillamment illustrative, avec des synthèses en fin de chapitre aidant à cerner les caractéristiques spécifiques des matriarcats) permet aussi, par reflet, de définir les patriarcats, et surtout ce que Heide Goettner-Abendroth appelle, dans le même entretien, « super patriarcat » : « ce mélange de néo-libéralisme, de militarisme et d'exploitation commerciale de la nature » qui a « une vocation suicidaire »."
Les petits papiers de Lonnie (Extrait) in DM
Lien : https://doublemarge.com/les-..
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Ah super, un livre qui va nous montrer ces horribles sociétés matriarcales où les femmes arrachent les couilles des hommes avec leurs dents, comment elles réduisent en esclavages, aux champs et sexuels, ces pauvres hommes sans défense…

Ou pas du tout en fait. Mais pas du tout en fait.
Cet ouvrage nous propose de découvrir des sociétés matriarcales à travers le monde et d'essayer de donne une définition de ce qu'est le matriarcat. En effet, ces sociétés minoritaires ne sont pas des patriarcats inversés. Au contraire, bien que ce soit les femmes qui soient centrales (et non pas dominatrices) ces sociétés proposent des relations bien plus égalitaires que le monde patriarcal qui repose principalement sur la domination et l'oppression.

Dans une première partie, l'autrice revint sur l'historique des recherches sur les sociétés matriarcales et les biais qui ont pu orienter certains résultats. Parce qu'on s'en doute, les hommes anthropo/ethno n'ont pas toujours eu l'esprit assez ouvert pour reconnaître le « pouvoir » des femmes dans certaines sociétés, cherchant toujours à trouver « l'homme » de pouvoir. Sans oublier que nombre de chercheurs étudiaient les hommes, les femmes étant négligeables dans une société. D'ailleurs, il me semble que dans Tristes Tropiques, Strauss raconte que les hommes du village où il se trouve partent laissant le village vide. À l'exception de lui… et des femmes et des enfants (tu la vois l'invisibilisation des femmes ?)
Ensuite, l'autrice propose une méthodologie pour tenter de définir le matriarcat à partir de nombreuses recherches.


La grande majorité de l'ouvrage se compose de chapitre où les diverses sociétés matriarcales sont présentes. Bien que reteints (il est évident qu'on ne peut pas présenter toute une population en si peu de page), les exemples nous amènent à découvrir les points importants de ces sociétés.


J'avoue que cet ouvrage m'a beaucoup plus. Déjà, il me permet de découvrir des populations que je ne connaissais pas, mais aussi parce qu'il propose un nouveau point de vue sur certaines populations.

Bien sûr, je garde un regard critique sur l'ensemble du livre. L'autrice est aussi dans une démarche engagée, donc il est possible que des résultats de ces travaux puissent partir d'un biais. Néanmoins, je pense que ce livre et l'ensemble des études des sociétés matriarcales par des chercheur·euses féministes et parfois autochtones pourront permettre d'avoir un regard neuf sur certaines sociétés. Par ailleurs, on pourra constater que ces sociétés matriarcales offrent des exemples de sociétés où la domination brutale et violente n'est pas la base.


Je suis désolée de faire une chronique si superficielle de cet ouvrage qui mériterait mieux, mais j'ai une main blessée et il est donc compliqué de taper.


À découvrir !

Je le mets en coups de coeur !
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J'ai reçu ce livre dans le cadre de l'opération Masse Critique et QUEL livre ! Sa taille et son poids ne sont que le reflet de l'impressionnante masse d'informations scientifiques et culturelles que nous pouvons trouver à l'intérieur. Mes diverses lectures et écoutes sont orientées depuis quelques temps vers le féminisme, la place des femmes dans la société et l'influence du patriarcat. Cet essai sur les sociétés matriarcales arrivait donc à point nommé pour élargir mes questionnements. Il ne m'aura d'ailleurs fallu que quelques pages pour comprendre que je me fourvoyais déjà sur cette notion de matriarcat en la mettant en opposition avec le patriarcat. L'ouvrage est construit et rédigé de telle façon que l'on passe déjà par une phase de déconstruction des préjugés avant de commencer à s'intéresser à l'étude des sociétés matriarcales en elles-mêmes. L'auteure présente sa démarche méthodologique de façon très précise pour permettre au lecteur de suivre le cheminement et les questionnements qui l'ont animée. Ce ne sont donc pas moins de 75 pages qui sont dédiées à ses premières recherches théoriques sur le matriarcat et sa place dans la recherche sociologique. Si de tous temps des sociétés matriarcales ont été identifiées dans divers endroits du monde, leur littérature et leur prise en compte mérite d'en faire de nos jours un bilan. J'ai beaucoup apprécié le souci de l'auteur de réaliser un travail très complet et explicite.
L'auteure présente ensuite plusieurs exemples de sociétés matriarcales à travers le monde. Chaque récit mêle aussi bien de l'anthropologie, de l'histoire que de la sociologie ou de la psychologie. La présentation est plus que complète et ne s'arrête pas à une simple description de faits. L'approche des peuples est complète et le récit très respectueux de leur culture. L'auteure prend toujours en compte le « biais patriarcal » qui peut influencer notre lecture et prend systématiquement le soin d'expliquer et d'être pédagogue pour nous permettre une compréhension optimale.
Chaque phrase mérite de prendre le temps de s'ancrer et de s'assimiler.
L'ouvrage est agrémenté à chaque fin de chapitre d'une multitude de sources qui ont accompagné le travail de l'auteur. Cela marque davantage la très grande rigueur dont l'auteure a fait preuve et qui se ressent à chaque page.
J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre que j'ai trouvé d'une très grande richesse. Il est certes très dense et sa lecture nécessite patience et concentration mais l'ouverture d'esprit qu'il permet est inégalable. C'est pour moi un ouvrage de référence dont je ne manquerai pas de vanter les qualités !
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Ouvrage impressionnant tant par son poids (dans un sac, il peut servir d'arme redoutable) que par son contenu. Fruit du travail de longues années de la très respectée docteure en philosophie des sciences et grande spécialiste mondiale des sociétés matriarcales, Heide Goettner-Abendroth, il est une source d'informations, un ouvrage de référence dans le domaine cité. Je l'ai lu en plusieurs fois, piochant ici et là dans les chapitres consacrés aux diverses sociétés matriarcales décrites. Aucune obligation de lire de manière linéaire, on peut passer à l'envie des Khasi d'Inde aux Newar du Népal, puis en Chine, Corée, Japon,Indonésie, Mélanésie, Afrique, Amérique.

Attention, je conseille la lecture de l'introduction, ce que j'avoue, je ne fais pas toujours, car elle explique la méthode de travail mais aussi de lecture et de compréhension. L'auteure explique bien qu'il ne faut pas entendre la société matriarcale comme un "décalque du patriarcat" ce que font nombre de gens et d'hommes en particulier pour tenter de minimiser voire d'éliminer le matriarcat : "Les sociétés matriarcales sont des sociétés de réelle égalité entre les sexes ; cela concerne la contribution sociale de l'un et de l'autre -et même si les femmes sont au centre de la société, ce principe gouverne la vie sociale et la liberté des deux sexes. Les sociétés matriarcales ne doivent absolument pas être considérées comme l'image inversée des sociétés patriarcales -où les femmes détiendraient le pouvoir à la place des hommes, comme dans le patriarcat- puisqu'elles n'ont jamais eu besoin des structures hiérarchiques du patriarcat. La domination patriarcale, où une minorité issue des guerres de conquête régente l'ensemble de la culture, assoit son pouvoir sur les structures de coercition, la propriété privée, le joug colonial et la conversion religieuse." (p. 9)

C'est un bouquin passionnant issu d'un travail remarquable de longue haleine, où l'on rencontre des hommes et des femmes qui vivent bien dans des sociétés beaucoup plus égalitaires que les nôtres. Evidemment, je comprends que certains hommes qui se verraient dépossédés de quelques attributs de pouvoir, de quelque sentiment de supériorité puissent ne pas tourner les pages voire nier l'existence de ces sociétés. Tous les autres, hommes et femmes, évadez-vous et instruisez-vous en bonne compagnie.

Edité chez l'incontournable Des femmes-Antoinette Fouque.
Lien : http://www.lyvres.fr/
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critiques presse (1)
LeMonde
14 octobre 2019
Tout à la fois manifeste méthodologique d’un champ nouveau, bilan de recherches anthropologiques et autobiographie intellectuelle, Les Sociétés matriarcales balaie les préjugés les plus tenaces et leur ­substitue un savoir de terrain.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
13. « - Les sociétés matriarcales agraires se sont développées beaucoup plus tôt que les sociétés nomades d'élevage. Ces dernières sont une forme de société secondaire, qui n'est pas autosuffisante. Elles dépendent des sociétés agraires pour l'alimentation en végétaux. Il ne s'agit pas d'une période culturelle en soi.
- Il est fort probable que les sociétés d'élevage se soient développées à partir des sociétés horticoles et agricoles, et non à partir des cultures de fourrageage (cueilleuses et chasseurs). Les animaux ont d'abord été domestiqués dans les sociétés agraires.
[…]
- Pour ces raisons-là, nous affirmons que les sociétés d'élevage étaient à l'origine matriarcales. Certaines d'entre elles allaient finir par devenir patriarcales, conséquence de la dégradation de leur environnement et de l'influence des sociétés de domination patriarcales institutionnalisées.
- Quelques sociétés d'élevage matriarcales existent encore, comme chez les Tibétains d'Asie centrale, les Goajiro d'Amérique du Sud, les Bedja et les Nubiens d'Afrique de l'Est et les Touaregs d'Afrique du Nord.
- Contrairement aux sociétés patriarcales, les sociétés d'élevage matriarcales placent le soutien mutuel au-dessus de l'accumulation des biens, y compris les troupeaux. Cela montre que l'élevage d'animaux ne mène pas, en soi, au patriarcat. » (pp. 525-526)
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6. « L'institution de chamanes familiales est étroitement liée aux pratiques du culte des ancêtres ; et il est instructif de constater que le chamanisme ne découle pas – contrairement aux affirmations habituelles – de la prétendue "chasse magique" propre aux hommes, mais des anciens cultes funéraires familiaux pratiqués par les femmes, pratiques intimement liées aux concepts de renaissance. Preuve en est que dans le chamanisme original le rituel majeur implique la vivante incarnation des membres défunts de la famille dans le corps des plus jeunes lors de la fête des morts ; l'aïeule est incarnée dans sa petite-fille, l'aïeul (le frère de la mère) est incarné dans son petit-neveu (selon les termes européens de la parenté). […] Dans les cultures matriarcales, la petite-fille est nettement plus importante, puisque c'est elle qui incarne en ligne directe la renaissance. Pour cette raison, elle endosse le rôle de chamane, et son voyage de transe dansé lui permet de ramener les âmes charnelles des morts de l'Au-delà.
[…]
En raison de leur faculté à catalyser la renaissance, seules les femmes pouvaient pratiquer le chamanisme, dans sa forme originale. La situation a changé avec l'avènement de la patrilinéarité, où fils et petits-fils ont endossé le rôle de chaman et où les femmes ont perdu leur droit exclusif à accomplir les fonctions sacerdotales. Avec pour conséquence de faire perdre au chamanisme sa vieille signification, celle d'aller chercher les âmes des ancêtres. Au lieu de quoi, c'est en qualité de guérisseurs que le chaman, à la recherche de l'âme d'une personne malade, se rendait dans l'Au-delà, où un démon retenait l'âme prisonnière. C'est sous cette forme, fort éloignée de sa signification originale, que les anthropologues ont rencontré le phénomène du chamanisme [...] » (pp. 164-165)
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9. « - Les premières sociétés d'agriculture évoluées dans les Amériques sont apparues dans le sud, probablement sur la côte occidentale de l'Amérique du Sud (et sur la côte occidentale de l'Amérique centrale), et se sont propagées à partir de là à la partie septentrionale et orientale du continent.
- La migration de certains peuples agricoles matriarcaux vers le continent sud-américain a eu lieu via les cultures des îles du Pacifique (route du sud).
- Le phénomène de femmes matriarcales dans le rôle de guerrières combattant au côté de leurs compagnons était très répandu, survenant dans les situations où les envahisseurs menaçaient de détruire les sociétés matriarcales.
- Les Pays des Amazones ont bien existé (sur plusieurs continents). Il faut distinguer les Amazones des femmes matriarcales qui combattaient au côté de leurs compagnons : les Amazones étaient, au contraire, des guerrières professionnelles qui ont créé des sociétés d'où les hommes étaient exclus. Les Pays des Amazones sont une variante particulière de l'ordre social matriarcal.
- Les sociétés des Amazones sont nées dans des périodes de transition entre des époques culturelles matriarcales et patriarcales. Il s'agit d'une forme de réponse apportée par les sociétés matriarcales à l'entreprise de conquête des peuples patriarcalisés et leurs sociétés secrètes d'hommes.
- Les sociétés secrètes guerrières d'hommes sont des entités du processus de patriarcalisation. Elles surgissent lorsque la pénurie de terres et le déplacement de populations rendent impératif d'avoir des leaders charismatiques et des combattants professionnels. » (pp. 286-287)
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2. « En résumé, cette définition structurale pose que les sociétés matriarcales sont :
- Au niveau économique, des sociétés qui créent une économie équilibrée dans laquelle les femmes distribuent les biens, toujours en quête d'une économie de partage ; une économie de ce type présente des caractéristiques communes avec une "économie du don". Par conséquent, je les définis comme "sociétés d'économie de partage fondées sur la circulation des dons".
- Au niveau social, des sociétés fondées sur une parenté matrilinéaire, dont les caractéristiques sont la matrilinéarité et la matrilocalité, dans le cadre d'une égalité de genre. Par conséquent, je les définis comme "des sociétés horizontales et non hiérarchisées de parenté matrilinéaire".
- Au niveau politique, des sociétés fondées sur le consensus. La maison clanique est le lieu des prises de décision, tant au plan local que régional, et est représentée à l'extérieur par un délégué (souvent) masculin ; les processus politiques de strict consensus sont à l'origine non seulement d'une égalité de genre, mais d'une égalité au sein de la société tout entière. Par conséquent, je les définis comme des "sociétés égalitaires fondées sur le consensus".
- Au niveau spirituel et culturel, des sociétés fondées sur une attitude de totale spiritualité, qui considèrent le monde entier comme divin, créé par la Divinité féminine ; cela engendre une culture sacrée. Par conséquent, je les définis comme des "sociétés sacrées et des cultures de la Divinité féminine". » (pp. 20-21)
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7. « Les relations sociales ont changé de façon plus radicale dans les zones du Rantau, conséquence de l'industrialisation et du capitalisme liés à l'influence occidentale sur les villes de Sumatra. Malgré tout, les femmes minangkabau et leurs Panghulu ont trouvé le moyen de se servir de la modernisation pour renforcer l'Adat, au lieu de l'affaiblir, dans leur terre mère originelle. Ainsi, nombre d'émigrants reviennent chez eux, dans leurs clans, en tant que "migrants de retour", remplissant leurs devoirs et versant leurs gains à la maison maternelle. En particulier dans une ville étrangère, il est impératif pour les Minangkabau d'affirmer leur identité en tant que membres d'un Darek prospère. Aussi le clan finance-t-il les maisons des familles nucléaires sur les terres appartenant aux femmes du clan ; ces maisons appartiennent aux épouses (uxorilocalité) – ce qui les protège en cas de divorce. Même lorsqu'elles partent s'installer dans des villes afin d'avoir accès à l'éducation et à une formation, les femmes minangkabau possèdent leurs propres maisons, grâce à l'aide de leurs clans. En outre, les lois régissant l'héritage stipulent que la propriété privée qu'un homme aurait acquise dans le Rantau ne peut être détenue que pendant une génération, en tant que don fait à ses enfants ; ensuite, elle revient au clan de sa mère – c'est-à-dire entre les mains des femmes de son clan. » (p. 219)
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Vidéo de Heide Goettner-Abendroth
Entretien et extrait de la rencontre avec Heide Goettner-Abendroth pour le lancement de son livre Les Sociétés matriarcales, Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde.
Heide Goettner-Abendroth a ouvert un champ de recherches qui porte sur les sociétés matriarcales, auxquelles elle a consacré sa vie, et pour la connaissance desquelles elle a créé une fondation (Hagia). La publication de son livre en France par les éditions des femmes-Antoinette Fouque, est un événement tout comme sa venue à Paris.
Dans cet ouvrage pionnier, Heide Goettner-Abendroth définit pour la première fois clairement et scientifiquement le concept de matriarcat, jusque-là décrié et opaque, qui lui permet de revisiter l’histoire culturelle de l’humanité. Elle fait apparaître que les sociétés matriarcales ont non seulement précédé le système patriarcal apparu environ 5000 ans avant notre ère, mais qu’elles lui ont survécu jusqu’à ce jour sur tous les continents.
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Nous savons.
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