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Critique de Erik35


PEUT-ON ÊTRE MAL...NEZ ?

Avec "Le Nez", le grand auteur russe d'origine ukrainienne Nicolas Gogol sert à son lecteur d'hier comme à celui d'aujourd'hui une époustouflante fantaisie surréaliste et bouffonne. En quelques traits de plume bien sentis, il nous dresse le portrait d'une Russie impériale bien éloignée des ors et du faste du célèbre palais d'hiver, ancienne demeure des Tsars accueillant aujourd'hui le fameux musée de l'Ermitage.

Gogol, en bon observateur des moeurs, des hommes et des femmes de son temps, se moque ici, avec un art consommé de la farce et de l'ironie, des travers inexpugnables de ces petits fonctionnaires étatiques dont on peut se demander à bon droit par quel miracle ils ont pu obtenir la charge dont ils sont les représentants. Ils souffrent par ailleurs tous, à des degrés divers, de ce mal que l'on nommera plus tard "le pouvoir des concierges", cette propension imbécile et nuisible à la fois que peuvent avoir les êtres vains et infatués auxquels la moindre prérogative est confiée, serait-ce seulement un titre, aussi ronflant qu'il est vide.

Ainsi en est-il de ce "major" Kovaliov dont le sort a voulu qu'il se prénomme Platon (la sagesse faite philosophie...) dont le nez va subitement disparaître, sans même qu'il s'en fût seulement aperçu ! Lequel - nez - va tout d'abord réapparaître au coeur du pain tout chaud de son propre barbier, puis filer - à l'anglaise ? - pour, un temps, devenir une sorte d'énorme chose vivante revêtue d'une singulière - et diablement enviée - tenue de conseiller d'état !

Bien évidemment, après moult - et fantastiques - péripéties, le nez finira par retourner où que de droit : entre les deux joues de son propriétaire. Au passage, l'auteur de la fameuse pièce le Revizor (oeuvre qui lui vaudra les foudres des plus zélés réactionnaires parmi les grands serviteurs de l'état impérial) aura, une fois encore, dénoncé ces esprits étriqués et fonctionnaires, des artisans tous "ivrognes invétérés", de ces policiers parfaitement inefficient (celui de l'histoire concède sans aucun scrupule qu'il est tellement myope qu'il est incapable de reconnaître quiconque), de ces administratifs sans autre envergure que celle de faire seulement carrière, peu importe où ni comment, de ces femmes - mères ou filles - capables (coupables ?) de se donner presque autant que de se vendre, à travers le mariage, pour un titre, une fonction, un grade.

Par la grâce de cette veine fantastique que l'on retrouvera avec quelques autres de ses nouvelles (Le Portrait, le Manteau), l'humour caustique mais goguenard de Nicolas Gogol atteint ici des sommets. On pourra aussi noter - tel que le rappelle le préfacier à cette énième mais réjouissante édition de chez Allia - qu'une première version de ce Nez faisait en fait référence une "chose", à savoir, dans cette Russie du XIXème, et sans contestation possible, le sexe masculin ; que nez et verges ont souvent entretenus d'étranges et prolixes rapports dans les traditions populaires ; qu'il semblerait que Gogol ait parié qu'un texte se saisissant de cette bouffonnerie passerait les fourches caudines de la censure pour peu qu'on lui donna quelque vertus artistiques.
C'est ainsi que, malgré les siècles passés, le Nez, qui est aussi, peut-être, une représentation grotesque (en référence au style pictural) du diable (Gogol fut toute sa vie durant fasciné par le mysticisme chrétien) continue à atteindre son but, faisant le régal du lecteur curieux, malicieux et ouvert.

Et à la fin de l'envoi : il touche !
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