Lettres de femmes : Textes inédits et oubliés du XVIe-XVIIIe siècles

«Et par conséquent, l'âme de la femme sera plus propre à faire des plus belles actions, que celle de l'homme fait de fange,matière rude, sale et grossière (...).» Marguerite de Valois, Discours Docte et Subtil,1618 [f. B ij]

Encore un truisme fâcheux : les femmes ont été intentionnellement oubliées de l'histoire de la littérature. Fort heureuseument, une persévérante communauté de chercheurs a ouvert un espace d'investigation qui semble très prometteur. Les quelques figures de proue, prestigieuses femmes de lettres et d'esprit telles que Catherine de Pizan, Madame de Scudéry, Olympe de Gouges ne sont plus les seules héroïnes de talent à peupler ce vide historique. Depuis 20 ans, Colette H. Winn, universitaire française expatriée aux Etats-Unis défriche avec méthode, constance et obstination un territoire très méconnu de nos contemporains : l'écriture et la littérature de femmes à la Renaissance. Grâce à son travail, bon nombre d'esprits fins et lettrés, enfin mis en lumière, retrouvent les faveurs du public des connaisseurs. On peut mesurer l'ampleur du débat d'idées, de l'accès au savoir, de la prise de conscience et des interrogations qui traversent le monde des femmes au XVIIè siècle. Cette anthologie de textes, parus entre 1595 et 1699, témoigne de l'émergence d'une conscience commune, de la nécessité de mettre à bas les préjugés, les conventions, l'ignorance coupable et détestablequi les condamne et les emprisonne.
A la lecture de cette littérature protestataire, qui s'arqueboute, selon Colette H. Winn, sur une “rhétorique de combat”, on découvre des propos subversifs, des attitudes radicales et une combativité surprenantes.
9 auteures très différentes, mais toutes singulièrement cultivées, s'attaquent à la société des hommes avec une virulence rare dans une même aspiration égalitaire. Certaines démontrent que seule la Vertu des femmes en fera l'égale de l'homme, d'autres valorisent son érudition et la plupart fustigent l'ignorance : “L'ignorance est le défaut en l'homme le plus insupportable et incommodant de tous.” assène Marie le Gendre dans L'Exercice de l'âme vertueuse, en 1597. Pour gagner sa liberté, s'émanciper de cette dépendance sociale, la femme doit aussi gagner par elle-même son émancipation, vanter ses qualités, affirmer son identité voire sa supériorité intellectuelle par l'exemplarité. Toutes étudient l'histoire et les formes de ce processus discriminatoire qui les a mise sous la tutelle de l'homme et dans cette situation d'infériorité.
La femme mérite bien plus d'égards quand sa condition intime le respect et l'excellence. Dans les textes bibliques et antiques, les figures exemplaires sont appelés au secours de l'esprit. Mais, c'est dans l'exégèse chrétienne que leur argumentation se déploie. le paradigme de l'Eve tentatrice, entraînant dans sa chute l'humanité toute entière, avait jeté une opprobre misérable sur la gent féminine. La “preuve par la création” devient donc la pierre angulaire de leur discours. La propension exutoire de leur écriture impose un style dynamique, une prédilection pour l'éloquence, l'invective, l'interpellation, la harangue (Charlotte de Brachart), l'apologétique et surtout la polémique maniée avec subtilité. Au-delà de l'exercice fastidieux du déchiffrement (la langue est encore très rude), la préface du livre nous éclaire sur le contexte historique et littéraire, les notes biographiques et bibliographiques, le glossaire, le répertoire des principaux écrits et traités favorisent la consultation.
Ces textes sont extrêmement précieux. Ils révèlent une littérature polémique d'une grande qualité et une pensée en marche. Malgré la chape de plomb, les siècles de misogynie “ordinaire”, les femmes trouvent à travers l'esprit et l'écriture une voie vers leur émancipation, une solidarité nouvelle et une conscience universelle. Quand il créa la formule “Les Muses Guerrières”, Hubert Carrier, grand spécialiste du XVIIe siècle, avait vu juste.