LA DÉCROISSANCE OU LA MORT...
Courant de pensée encore très minoritaire dans le "paysage" politique, social et philosophique tant international que français, le mouvement "décroissant" n'en connaît pas moins de fortes bases théoriques développées, depuis plus d'une quarantaine d'année par des intellectuels tels que le roumain
Nicholas Georgescu-Roegen ("inventeur" de ce qualificatif), le sociologue «anarchiste-chrétien»
Jacques Ellul, le philosophe et penseur allemand de l'écologie politique
Ivan Illich, l'auto-proclamé «semeur de panique»
Günther Anders, le radicalement libre
Bernard Charbonneau, l'essayiste américain, inventeur du "municipalisme libertaire",
Murray Bookchin et tant d'autres qui, à bien des égards, on permit la construction de cette pensée tant indispensable que non-conformiste.
Parmi ceux-ci, il en est un dont le parcours intellectuel tout autant que les répercussions de sa profonde pensée politique et écologique a marqué pour longtemps cette pensée décroissante mais aussi la perception que nous avons du capitalisme, des rapports entre salariat et consommation - les deux ne faisant plus qu'un dans cet être hybride, désincarné et privé de réelle liberté qu'est le salarié-consommateur (notons qu'il n'y a plus là aucune place pour le "citoyen")-, d'une critique radicale de la "religion" du travail tout autant que celle de la croissance infinie promue par la société capitaliste comme source première de la destruction irrévocable de notre écosystème, l'écologie politique (mais a-partisane et "éco-sociale"), dans un projet prenant en compte l'autonomie et l'épanouissement humain, comme réponse aux travers innombrables, irrévocables et irréversibles de la société capitaliste.
Cet homme, né en 1923 de parents juifs autrichiens, émigré en Suisse durant la guerre puis en France à partir de 1949, c'est Gerhart Hirsch, plus connu sous son nom d'adoption
André Gorz. Jusqu'à sa mort - volontaire et en compagnie de la femme de toute une existence, Dorine, celle grâce à qui on lui doit la troublante et belle
Lettre à d': Histoire d'un amour, rédigée un an avant cet ultime choix -, le 22 septembre 2007, il approfondira ces thématiques qui lui étaient si chères, partant de la double analyse sartrienne de l'existentialisme et de celle, marxienne (et non marxiste), du capitalisme, le tout enrichi par la pensée d'
Ivan Illich, tant à travers ses ouvrages d'une pensée a-dogmatique en constante évolution, souvent denses, complexes et traversés de certaines tensions, - des livres souvent publiés par son éditeur de prédilection, les éditions
Galilée -, que par l'entremise de ses très nombreux articles de presse (L'Express des débuts sous le patronyme de Michel Bousquet, Les Temps Modernes,
Le Nouvel Observateur, etc), plus abordables mais toujours passionnants.
Cet opuscule enthousiasmant, publié par les éditions le Passager clandestin - que nous remercions infiniment tant pour l'ouvrage lui-même que pour la découverte de cette très riche en enthousiasmante maison, reçu à l'occasion de la dernière Masse Critique "non-fiction" organisée par notre site de lecture en ligne préféré, Babelio.com - se présente peu ou prou comme un "Que sais-je ?" (il en a à peu près toutes les qualités). Intitulé, pour être parfaitement précis,
André Gorz & l'écosocialisme, il est conçu et rédigé par la sociologue
Françoise Gollain, spécialiste de l'oeuvre d'
André Gorz, et qui l'a d'ailleurs fort bien connu. Il comprend quelques repères biographiques, suivi d'un rapide développement du même tonneau puis d'une analyse aussi précise que ramassée des thématiques traversant la pensée gorzienne. Une rapide mais très éclairante dernière partie propose de découvrir quelques textes et extraits révélateurs de cette pensée. L'ensemble se conclut par l'inévitable et indispensable bibliographie.
On pourra, parfois, reprocher à l'autrice de cette - néanmoins excellente - monographie un vocabulaire quelque peu "jargonnant", un style un peu technique, mais il nous a aussi semblé qu'un ouvrage aussi ramassé qui se donne pourtant pour mission d'être le plus complet possible ne pouvait que difficilement faire l'économie de concepts, de notions parfois complexes issues des champs de la pensée politique, sociologique, économique, écologique et philosophique. Cela peut effectivement rendre certains développement d'un abord un peu plus ardu, mais c'est aussi à ce prix que "résumé" ne signifie ni abêtissement ni édulcoration.
Les plus curieux pourront aller tout aussi bien y voir de plus près dans l'oeuvre de l'auteur de
ecologica qu'au sein de cette excellente collection des Editions le Passager clandestin, intitulée "précurseur.ses de
la décroissance", où l'on retrouve aussi bien Épicure que
Simone Weil,
Kropotkine que
Cornelius Castoriadis,
George Orwell que
Françoise d'Eaubonne, de même que tous les penseurs, essayiste et philosophes mentionnés plus haut. Une bien précieuse source de références !