L'exploration du Mekong: La mission Ernest Doudart de Lagrée-Francis Garnier, 1866-1868

N'ayant pas le pouvoir de réquisitionner barques ou porteurs, et n'ayant plus les moyens de louer leurs services, ne pouvant suivre exactement le cours du Mékong, le long des berges démunies de chemins, dans une région d'épaisses forêts, soucieux, de plus, de s'éloigner des régions où, en amont, la lutte faisait rage entre troupes chinoises et rebelles musulmans, Doudart de Lagrée avait chois de prendre, vers le Yunnan, la route la plus directe, cette de la rive gauche, quitte à abandonner - momentanément, du moins, l'espérait-il - on objectif essentiel: le Mékong, que ni lui ni ses compagnons ne devaient plus revoir, dans la suite de l'expédition. Cet échec partiel était compensé par la fierté légitime d'avoir réussi là où un britannique avait échoué, trente ans auparavant. Mac Leod, en effet, bien qu'ayant laissé un souvenir favorable dont les voyageurs avait, peut-être, indirectement bénéficié, venant de Birmanie mais parvenu comme eux à Keng Hung, n'avait jamais obtenu, quant à lui, la permission de poursuivre se route et, ne pouvant traverser le Mékong, avait dû renoncer à pénétrer en Chine, ce qui était également son objectif.
La mission s'arrête, le 11 octobre [1867], à Keng Neua qui se trouve encore dans les Sip Song P'an Na - ce royaume s'étendait en effet sur les deux rives du Mékong - elle se repose une journée dans la pagode de ce village; mais elle en est chassée le 13, en raison d'une cérémonie en l'honneur de la pleine lune. Le 16 octobre, arrivant "dans un village nommé Tchou-chiai" (Zhuchai?)(*), les Français éprouvent la nette impression d'une changement culturel total, après la longue période de transition qu'ils vivaient depuis leur passage à Keng Hung; ils se trouvent, en effet, dans un monde "d'un aspect entièrement chinois"(*) De Lagrée envoie un courrier avertir de son arrivée les autorités de Se Mao (Simao), ou lui-même et ses compagnons feront leur entrée, deux jours plus tard.

(*) Francis Garnier, Voyage d'exploration de l'Indo-Chine.

Le transit de la mission à travers les territoires dépendant alors du Siam, le plus souvent sous forme de royaumes vassaux, constituera la période la plus longue du voyage, puisqu'elle durera presque exactement dix mois. Il s'agit, essentiellement, de régions de peuplement lao - leur réunion ultérieure constituera, d'abord un territoire colonial après 1893 puis, en 1946 seulement, le royaume du Laos - à l'exception de la zone méridionale dans laquelle nous avons déjà vu pénétrer la mission; la province de Stung Treng, de peuplement partiellement khmer, devait d'ailleurs être rétrocédée au Cambodge en 1904.