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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Le sublime et le ridicule sont si proches qu'on ne saurait les séparer."
(T. Payne, "L'âge de raison")

Un beau jour de l'année 1937, l'Absurdité est sortie se promener, et en chemin elle a rencontré Witold Gombrowicz. Ces deux-là s'entendaient à merveille. Ils ont fait un bout de chemin ensemble, et ils ont conçu "Ferdydurke", un livre qui donnerait à Platon des convulsions de volupté dans sa tombe.
Ah, cet unique, inclassable et déconcertant Gombrowicz ! Son "Ferdydurke" est un dialogue (souvent même une violente bagarre) entre la maturité et l'immaturité, le sérieux et le ridicule, le moderne et le ringard, le fond et la forme... et il est difficile d'y choisir son camp avec certitude.

Pourtant, avec ma copine HordeduContrevent on s'est épistolairement surpassé afin de trouver un semblant de sens à l'absurdité de cette histoire. Mais même en dialoguant avec entrain, en analysant, synthétisant, déduisant, et en tombant d'accord sur tous les points, l'impression finale était que la seule chose dont on peut être absolument sûr, c'est qu'on n'est sûr de rien. Sauf, peut-être, que malgré son pessimisme, le livre de Gombrowicz reste terriblement drôle (sachant encore une fois que n'importe qui peut me contredire). Et que quoi qu'on fasse, le monde sera à jamais dominé par le gigantesque et monstrueux "cucul", suspendu comme l'épée de Damoclès au-dessus de nos pauvres têtes et risquant de tomber n'importe quand sur n'importe qui, malgré toutes les "gueules" sérieuses que l'on peut se composer en tant que bouclier contre le ridicule.

"Au milieu du chemin de ma vie, je me trouvais dans une forêt sombre. Cette forêt, qui pis est, était verte !"

Le cauchemar de Joseph, un trentenaire immature, devient réalité : il se fait rabaisser et infantiliser par le professeur Pimko, un pédant suprême, et celui-ci, comme par enchantement, le fera revenir au lycée, au milieu d'autres adolescents. L'âge incertain où on essaie de jouer aux adultes, souvent en nous composant une improbable "gueule", une forme qui dénature le fond, ce qui est démontré à merveille dans le mémorable passage sur le concours de grimaces.
Mais à quoi ressemble donc la "gueule" de l'authentique maturité ? Est-ce l'innocence représentée ici par un simple "valet de ferme", la "modernité" de la famille Lejeune, ou un idéal impossible à atteindre, une sorte de "non-gueule" ? Tous les personnages du roman, peu importe leur âge et leur position, changent de "gueule" au besoin et se font "cuculiser" à leur tour par les autres.
Joseph (désormais Jojo), succombe aux charmes d'une "lycéenne moderne", à son apathie moderne et à ses mollets modernes, et même sa propre contre-magie - mouche morte, mendiant avec une branche verte dans la bouche et fausses lettres d'amour - ne peuvent rien y faire. Il s'échappe vers l'innocente pureté de la campagne, avec le même résultat. le "cucul" que lui a collé Pimko le suit partout, jusqu'au férocement pathétique ultime paragraphe.
Il est impossible de ne pas apprécier le héros principal : son slalom entre les clichés de l'immaturité est vraiment déprimant, mais ses réflexions et ses incertitudes vous malmènent le diaphragme. Les livres drôles se font aussi rares que le précieux safran, et Gombrowicz ne lésine pas sur la quantité ni la qualité de ses épices.
En prime, il nous met au plein milieu du roman deux préfaces et deux autres histoires sans aucun rapport évident avec le récit principal, et ça ne le gêne même pas. le lecteur non plus, d'ailleurs, car ces ajouts sont excellents. Dans la foulée, il lui pardonne aussi le titre qui ne veut absolument rien dire.

Quoi qu'il en soit, cette lecture en duo nous a permis de discuter sur le "message" du roman, que Chrystèle vous dévoile en détail dans sa critique. Je dirais aussi que comme d'habitude, Gombrowicz met toute morale en boule quelque part au fond de son tiroir à chaussettes. Il n'y a que la petite dédicace ironique, enfantine et formidablement "immature" adressée à la fin comme un pied-de-nez au lecteur (dans la version originale le traitant carrément de "nigaud") qui m'a fait changer d'avis. Avec son "Zut à celui qui le lira", Gombrowicz se moque en même temps du lecteur et de ses critiques qui lui ont autrefois reproché le manque de maturité, et il revendique l'immaturité assumée comme l'arme ultime contre l'omniprésent "cucul".
La morale de son roman serait donc qu'on devrait peut-être arrêter de tout prendre au sérieux, ce roman y compris. Gombrowicz se compose la "gueule" d'un grand écrivain, nous sert une histoire absurde au titre improbable, et les nigauds que nous sommes vont lui coller en souriant presque 5 étoiles ! C'est drôle. C'est triste... Au final, j'en sais toujours rien, mais j'ai quand-même envie d'applaudir.

Car quel voyage, mes amis ! Professeur Pimko, Mientus, Kopyrda, la lycéenne moderne, la famille Lejeune, tantine, bonbons, tonton, mollets, mollets, mollets, oreilles, gueules, chiens, valets... La tête et le cucul m'en tournent encore !
Grand merci à Chrystèle pour monter avec moi dans cette voiture polonaise : l'auteur conduit vite mais bien, alors on n'avait même pas besoin de sortir nos sachets en papier... que ce serait ridicule ! Tout juste bon pour les enfants...

"Koniec i bomba, a kto czytał ten trąba!"
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