Il n'est nulle gloire sans nom.
— Par tous les dieux… tu es Giorda Carmidor, bon sang ! Séduis-le. Tous les hommes aiment être séduits, même les pires d’entre eux.
Le visage de la jeune femme se décomposa.
— J’ignore si j’en aurai la force…
Gaëlda plongea son regard dans le sien.
— Tu l’auras, parce que c’est dans ta nature. Notre nature. Nous sommes les mères des futurs maîtres de ce monde. Nous sommes les ombres de ces hommes qui en font les lois. Et par-dessus tout, nous sommes les filles de l’océan : nulle vague ne saurait nous faire sombrer.
Le cœur de la jeune femme tambourinait dans sa poitrine. Relâchant son poignet gauche, le duc effleura son menton avec une douceur inquiétante.
— Le pouvoir coule dans nos veines, et c’est bien moins une grâce qu’une malédiction.
— Prenez-moi comme on prend une citadelle imprenable. N’envoyez pas vos armées, n’adressez pas d’ultimatum, n’usez pas de la force : séduisez-la. Donnez-lui votre amour, votre vie, donnez-lui tout ce que vous avez. Traitez-la en reine. Et alors, la citadelle vous ouvrira ses portes et vous y serez chez vous jusqu’à la fin de vos jours.
La reine n’était plus régente. Elle avait offert un garçon au trône d’Arcavie et l’avait guidé jusqu’à ce jour fatidique : elle avait accompli son devoir.
Désormais, son existence se résumait à un souvenir silencieux. On lui rendrait hommage en érigeant une statue à son effigie dans l’allée des Reines. Tel le bloc de marbre taillé à son image, elle serait impérissable, inaliénable, immortelle. Et par-dessus tout, dépourvue de la parole.
En cet instant, Esther rêvait de briser les sculptures de toutes ces femmes de roi à qui l’on avait ôté la voix. Une fois leurs ersatz de pierre détruits, entendrait-on leurs cris révoltés ?
— Ta femme s’en va, mon bonhomme, répondit le brun. Elle vient de comprendre que ses rêves ne se réaliseront jamais.
Les prunelles étincelantes, Dista le fixa avec intensité.
— Une reine n’a pas de rêves. Elle n’a que les cauchemars dont elle tente de protéger son peuple.
— Vous avez raison, seigneur Virdemis. La politique est une partie d’échecs ; et il se trouve qu’aux échecs, la pièce la plus puissante, c’est la dame.
— Laisse-moi rejoindre ma femme et mes hommes : il n'y a pas de place pour deux rois sur mon trône.
Aaron ravala un cri de rage. Dorio et Idissa encaissèrent le coup sans broncher, incapables pour l'heure d'envisager le pire. Bien consciente que la victoire n'avait rien de certain, Giorda frémit. Elle plongea ses iris océan dans ceux de son père.
- Quoi qu'il puisse nous en coûter, jura-t-elle. Je vous le promets.
Le deuxième enfant du roi venait de naître. Hélas, pour la reine, il ne s'agissait pas du sien. La jeune femme inspira profondément. Agée d'à peine vingt-deux hivers, elle vivait depuis plusieurs années dans le royaume de son mari, Todvis, un monarque du sud que son père avait choisi pour elle. Un royaume et un mari qui ne seraient jamais sien.