C'est un ami, espagnol d'origine, qui me prêta ce beau et triste livre.
Ces lendemains si amers de la guerre d' Espagne, y sont racontés dans ce morne quotidien des vaincus qui doivent continuer à vivre sous la botte franquiste.
"vae victis"
Rarement un récit ne m'aura fait autant ressentir la célèbre parole de Brenus!
Superbe!
Dans un petit village d'Andalousie, un petit garçon est le témoin impuissant de la "nouvelle paix" qui suit la victoire franquiste. Alternant avec les souvenirs d'une autre vie, où il était "l'enfant du maire" rouge, c'est le présent, où il n'est plus que "l'enfant pain", affamé, obsédé par l'odeur des miches que sa mère doit faire cuire pour les autres. Lui, fils de républicain vaincu, n'a même pas droit, comme les autres enfants,à la distribution quotidienne du "pain de l'indigence".
Il vit, sans toujours comprendre, les rapports à jamais altérés dans le village, les réglements de compte entre voisins, les délations, l'humiliation des siens, la haine, l'absence de ses frères,incarcérés dans les prisons franquistes, leur retour et la nécessité de les cacher.
On assiste à des scènes durement réalistes: le suicide par noyade d'un "rouge",aprés une accusation infamante, la cueillette de l'alfa qui entaille les mains, la chiffonnière tondue pour avoir injurié les autorités.
Pourtant, de lumineuses images de naguère trouent ce sombre présent: la fête du village, la réfection du toit de la cuisine et le gueuleton qui suit.
de l'humour, aussi: le village, ses superstitions, ses pittoresques habitants: Josefita la Blonde,accueillante aux mâles, et son père, le "Couché", Felisa" la Pleureuse " et ses enfants "les tous pareils", Carmen Moriane, "la Sainte Pisseuse d'eau bénite", l'oncle Visionnaire.
Mais ce qui l'emporte, c'est la poèsie, l'émotion pudique, la tendresse retenue de Gomez Arcos qui a su enfin faire parler l'enfant sans nom et sans voix qu'il a été.
Un mot impitoyable, vide de charité, ce mot de "rouge". Aussitôt prononcé, tout lien de sang, de naissance ou de lieu échappait à son contexte. C'était un mot dévitaminé, décalcifié, un mot maigre d'amour, mais gros de haine. Il sonnait comme la gifle que le fils donne au père,il était pointu, s'aiguisait d'un seul coup, tel le couteau qu'on enfonce dans le dos d'un frère. Un mot Caïn dirigé contre Abel.
Grain de poussière dans un univers de solitrude, l'enfant s'approcha de la femme tondue et lui tendit une main, qu'elle prit de toutes ses forces, comme une naufragée. Ils marchèrent ensemble, la femme tondue et l'enfant. Un enfant de 6 ans, qui, en ce jour de barbarie, souhaita en son for intérieur un rude destin à ses semblables, tous, vainqueurs et vaincus.
Quand il gagna son lit, cette nuit-là, l'enfant sentit que les temps changeaient. Il s'endormit et l'ange du sourire vint entrouvrir ses lèvres. Toute la famille défila dans la chambre pour assister au miracle. Tous pensérent que la laideur du monde, si coriace soit-elle, s'éteint lorsqu'au hasard des rêves s'allume le sourire d'un enfant qui dort.
La nouvelle paix s'annonçait conflictuelle, elle traînait sa cohorte de misères parmi lesquelles se dessinaient déjà délation, prison et famine. En bonnes amies elles accompagnaient la mort, ces trois coquines, elles sont et restent les demoiselles d'honneur du mariage des vaincus avec les tribunaux d'exception, avec les pelotons d'exécution.
Elle se retourna lentement et ferma les fenêtres du jardin. Comme tant de veuves rouges de la nouvelle paix spoliées du droit sacré à la douleur publique, elle resta dans l'ombre.
Qui est le fameux Capitan Alatriste d'Arturo Pérez-Reverte, dans un film d'Agustín Díaz Yanes sorti en 2006?