Que tu sois Alpha ou Rigel, tu te souviendras de tout. Il faut vraiment que tu luttes. C’est ça le combat : ne pas se perdre.
Le loup, où il demeure, ne fait point de dommage.
Soudain, Abel eut tellement peur de ce qui allait se passer qu’il n’entendit pas ce que criait Ange à son cousin.
Il se releva et se mit à courir de toutes ses forces, quittant rapidement le sentier principal, sans se soucier des ronces qui griffaient ses jambes et ses bras ni des branches basses des chênes qui giflaient son visage. Il entendait toujours les voix d’Ange et Joris, criant qu’ils allaient lui faire sa fête. Mais ils avaient perdu sa trace, il en aurait mis sa main au feu et heureusement, Joris n’était pas venu avec son molosse.
Pourtant, la peur le poussa à s’éloigner encore parce que le Loup était là. Abel le sentait dans les fourmillements de ses membres et le goût ferreux de sa salive. Il fallait qu’il le retienne encore un peu, au moins jusqu’à la rivière. Il tomba une première fois, un peu en dessous du cercle de battage et encore une fois en sautant par-dessus un muret. Le choc au sol lui fit pousser un cri de peur autant que de douleur. Il essuya le sang qui coulait de son nez jusqu’à sa bouche et vomit de la bile jaune sur ses avant-bras.
Il fallait se relever, malgré la douleur à l’épaule, malgré le nez gonflé, malgré la fatigue et les larmes qui brouillaient sa vue.
Il fallait se mettre en sécurité. Mettre les autres en sécurité.
- Si tu veux un conseil, vas-y doucement avec lui. Abel, c’est un peu le renard du Petit Prince, il a besoin d’être apprivoisé.
- C’est sûr qu’Abel a besoin d’être apprivoisé, murmura Mathilda, les yeux fixés sur la nuit. Mais je t’assure, ce n’est pas un renard.
N'espère rien, Abel, sinon ta solitude deviendra une prison.
Y avait-il un film pour toutes les possibilités du réel ? Sûrement. « La fiction n’a pas de limites, pensa Abel. Elle peut tout. »
- Panto s’en fout, si tu veux savoir. C’est toi que ça gêne d’avoir un fils obèse qui s’habille en pyjama.
C’était une provocation, Benjamin le savait. Obèse était à la mère de Benjamin ce que Voldemort était aux sorciers dans Harry Potter : un mot interdit. Oui, Benjamin était corpulent, costaud, fort, épis, mais obèse, quand même ! Avant que sa mère puisse répondre, il dit :
- On passe sous un tunnel ça va… scrichchchch.
Puis il raccrocha.
Il ne termina qu’un exercice de maths, car son téléphone sonna à nouveau. Son père cette fois-ci. Il décrocha avec le même empressement que pour sa mère et lui sortit le même « Mouais ? » histoire qu’il n’y ait pas de jaloux.
- Benjamin, je viens d’avoir ta mère. Elle me dit que tu lui as raccroché au nez.
- Ce n’est pas moi, c’est le tunnel.
Il commença par marcher sans but, à l'abri des hauts arbres, s'enivrant du crépitement de l'averse sur les feuilles et de l'odeur entêtante de terre humide et de champignons.
Ce n'était jamais facile de devoir changer. Bien qu'inéluctable, la métamorphose était effrayante.
Le loup, où il demeure, ne fat point de dommage.