C'est le magnifique livre de souvenirs de Buñuel ("Mon dernier soupir") qui m'a fait découvrir Ramón Gómez de la Serna. Le cinéaste avait eu un coup de cœur pour l'univers de cet écrivain, au point de vouloir adapter certaines de ses histoires pour l'écran- projet malheureusement avorté. Très curieuse, j'ai pour commencer jeté mon dévolu sur "Gustave l'Incongru".
Hé bien j'ai passé un très bon moment avec ce Gustave, séducteur toujours fringant traçant sa route dans un univers surréaliste à la recherche de l'âme sœur. Gustave vit dans un Madrid parallèle, peuplé de demoiselles gantées virevoltantes et de veuves pugnaces. Une galerie de femmes langoureuses, têtues, farceuses ou redoutables. Grâce à elles, il connaît de fabuleuses séances de photographie (l'image développée est si troublante) , de spiritisme (gare aux guéridons féroces), et savoure de coquines surprises les jours de pluie. Mais Gustave sait également aller seul à travers les vastes plaines. Il chevauche alors sa mobylette piaffante qui peut-être, elle, connaît l'adresse de sa Dulcinée?
Une lecture gorgée de vie, qui plaira à tous les Incongrus ET IncongruEs qui vont dansant-trébuchant de par le monde.
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Alors se produisit une scène d'une incongruité sans bornes. Gustave décrocha le bocal et lâcha les poissons comme s'ils eussent été des oiseaux; les poissons, au lieu de tomber dans la rue, poursuivirent leur chemin dans l'air comme des poissons dans l'eau, et le bocal vide échappa à Gustave et monta au ciel, tel un ballon d'enfant.
Gustave avait un instinct de divination des plus subtils et, par exemple, il souriait en toute connaissance de cause aux promeneurs dont le pouce du pied sortait de la chaussette que l'ongle avait trouée.
L'homme au doigt de pied hors de la chaussette, gardant son mal secret, affecte un grand air d'impunité, et exagère son aspect honorable et son orgueil d'homme qui est censé porter des chaussettes sans trou.
Ce qui arrivait fort souvent à Gustave, c’était, lorsqu’il avait pris une fourchette dans le tiroir aux couverts, que cette fourchette se convertît en cuiller - et vice versa. Il n’y avait point de magie à cela, mais de l’incongruité. Car voici ce qui est le plus propre à l’incongruité, ce qui la caractérise le mieux : c’est que l’on croit avoir pris une fourchette alors que c’est une cuiller - et vice versa.
On finira par inventer le moyen d’exploiter les citoyens au profit de la publicité; et sans que nous nous en apercevions, on inscrira sur le dos de chacun de nous l’annonce du dernier produit lancé par la Grande Agence Universelle.