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On se moquera de moi si je dis que ce livre est fait de pages ... Pourtant, c'est bien le cas : la seule unité de ce journal est le passage du temps, et chaque "page" semble un texte à faire, une vignette, une miniature, un récit, un instantané de la vie des frères Goncourt. Bien sûr, c'est la loi du genre, mais dans le cas de ces auteurs, cette loi du genre devient une manière d'écrire et de percevoir le monde en images, en mots et en scènes disparates, toujours variés, toujours écrits avec le plus extrême soin, même dans l'ordure. En somme, le Journal des Goncourt est une plongée dépaysante dans le Paris du Second Empire, livre voyageur à recommander à tous les amoureux de la belle langue et du style un peu rococo, livre kaléidoscopique.
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E.Couly reçoit Pierre Ménard d'après sa biographie, "Les infréquentables frères Goncourt" Ed. Tallandier dans l'atelier du peintre d'intérieur Laurent de Commines.
Edmond et Jules de Goncourt sont comme écrasés par leur nom. Si nul n'ignore le prix qu'ils ont fondé, l'oubli a frappé la vie et l'oeuvre de ces deux frères qui se sont attaqués pendant près d'un demi-siècle à tous les genres littéraires, et plus encore au genre humain.
Suivre les Goncourt, c'est courtiser la princesse Mathilde, dîner avec Zola, survivre à la Commune, passer des salons des Rothschild aux soupentes sordides et recevoir toute l'avant-garde artistique dans leur Grenier de la Villa Montmorency.
Pamphlétaires incisifs, romanciers fondateurs du naturalisme, dramaturges à scandale, collectionneurs impénitents , ces langues de vipère ont légué à la postérité un cadeau empoisonné : un Journal secret qui fait d'eux les meilleurs chroniqueurs du XIXe siècle.
Seule la méchanceté est gratuite , aussi les deux écrivains la dépensent-ils sans compter. Chaque page laisse éclater leur détestation des femmes, des parvenus, des Juifs, des artistes et de leurs familiers. On découvre Baudelaire ouvrant sa porte pour offrir aux voisins le spectacle du génie au travail, Flaubert invitant ses amis à déguster des « cervelles de bourgeois », les demi-mondaines étalant un luxe tapageur ou Napoléon III entouré d'une cour servile qui met en bouteilles l'eau de son bain…
Réactionnaires ne jurant que par la révolution en art, aristocrates se piquant de faire entrer le bas peuple dans la littérature, les Goncourt offrent un regard aiguisé sur un monde en plein bouleversement, où, de guerres en révolutions, le paysan fait place à l'ouvrier, la bougie à l'ampoule et le cheval à l'automobile.