Né en 1561, Góngora appartient de plein droit au baroque, avec toutes ses splendeurs et tous ses excès. Sa poésie prend source dans la postérité du pétrarquisme, qui influence toute la Renaissance. Il pratique ce que son époque dénomme « cultisme » . Il s'agit d'une culture savante, imitée de l'Antiquité, pour les genres littéraires utilisés, les thèmes, le lexique (nombreux latinismes), la syntaxe etc. Cela aboutit à une poésie complexe, très loin de la langue parlée, et qui nécessite des connaissances poussées pour arriver à la comprendre. Cette complexité poussée à l'extrême par Góngora a fait taxer son style de manière dépréciatrice de « gongorisme », pendant du « marinisme » en référence à la poésie de Marini en Italie. Comme beaucoup de poètes baroques, il a été quelque peu oublié, avant de retrouver un regain d'intérêt au XXe siècle, grâce notamment aux symbolistes.
La
fable de Polyphème et Galatée fait partie des oeuvres les plus renommées de Góngora, avec
Les solitudes, le Panégyrique au duc de Lerma, et un nombre important de
sonnets. Il a aussi écrit dans un registre et style très différent, des oeuvres satiriques ou burlesques, dans une veine plus populaire.
La
fable de Polyphème et Galatée se réfère à l'Antique, à l'epyllion, ou épopée brève, à la bucolique (bergers et bergères et leurs amours) etc mais en y joignant une forme de modernité. le texte prend source dans le mythe de Polyphème, développé tout particulièrement par
Ovide dans ses Métamorphoses. C'est un mythe très vivace et souvent traité par les poètes à l'époque, par exemple Marini l'a utilisé dans des
sonnets.
Góngora reprend l'histoire telle que l'a racontée
Ovide : le cyclope amoureux se voit préférer un jeune et beau berger (Acis) par Galatée. Il lance un rocher qui écrase son rival, provoquant sa mort, mais le sang du jeune homme se transforme en source, lui assurant l'immortalité. Góngora transforme toutefois le texte d'
Ovide, il donne beaucoup de place à la description de la Sicile, donne vie à des somptueux paysages, des merveilleux tableaux ou tapisseries. Il accorde aussi beaucoup de place aux jeunes amoureux, à leur rencontre, leur coup de foudre, leurs émois. Et fait de Polyphème, au-delà du monstre d'
Ovide, un amoureux souffrant, en prise aux affres de la passion.
Il faut reconnaître que la difficulté pour lire, et comprendre Góngora est réelle. D'ailleurs l'édition dans laquelle je l'ai lu, donnait non seulement le poème en édition bilingue, mais aussi un texte en prose, rédigé par
Damaso Alonso, qui « traduit » le poème, le dit autrement, et qui explicite les références, mythologiques notamment. C'est plus plaisant à lire qu'une pléthore de notes, et permet de revenir ensuite au texte de Góngora en arrivant à le suivre, et en pouvant mieux apprécier ses beautés poétiques.Il y a d'étranges fulgurances dans cette poésie, des couleurs éclatantes, des ornements à profusion, des images à foison. Au-delà du sens, il y a un rythme, une respiration.
Jacques Ancet qui l'a traduit en français a produit un beau texte, et a fourni en plus une présentation très riche, qui donne beaucoup de clés pour permettre d'essayer de se glisser un peu dans ce texte quelque peu hermétique.