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Critique de michfred


"Il y a dans cette vallée un coeur qui bat. Il est là, toujours" dit l'épilogue de cette histoire donnée pour vraie.

"Arrive un vagabond" est une tragédie -littéralement- "grecque"et transposée par l'écrivain dans la douce Virginie des années 47-50, dans ce "Deep South" du blues, des stars lointaines d'Hollywood et de la ségrégation raciale...

C'est une sorte d' apologue sur la condition humaine: comment les rêves que nous avons déterminent notre existence, et comment les secrets que nous gardons l'empoisonnent lentement mais sûrement.

Au début, il y a un homme en caravane, un bel homme, un homme seul, un vagabond au regard tranquille et franc. Charlie Beale. Un boucher, avec ses beaux couteaux bien aiguisés, le silence d'une autre vie, derrière lui et, devant lui, le désir bien ancré d'en recommencer une autre, plus chaude, plus vibrante, plus pleine.

Au début, il y a l'envie de trouver sa place, sa juste place, toute sa place. Il y a donc beaucoup d'observation, pas mal de réserve, un peu d'hésitation, et du respect.

Puis surgit l'envie d'être aimé, d'être accepté, d'être apprécié. Il y a alors autour de Charlie Beale plus de chaleur, d'échanges, de confiance et d'amitié. Il a des amis, Will et Alma, l'épicier qui l'emploie, et l'institutrice qui le devine et l'entoure de sa prévenance, il a surtout un enfant d'adoption, le petit Sam, fils de Will et Alma, qui l'appelle Beebo et le choisit pour héros,

C'est alors, alors seulement, que Charlie Beale peut faire la place aux rêves, leur donner corps: un chien fidèle qui a le nom d'un joueur de base-ball noir, une maison pleine de vieilles choses et des terres, un peu partout, parce que le Sud c'est beau, plein de bonne terre, sillonné de rivières à truites.

Choisir sa place, choisir sa vie. On pourrait s'en contenter. On pourrait s'arrêter là.

Mais choisir sa vie, tous en rêvent.

Willie et Alma, couple modèle, qui rêvent d'un monde d'accueil et d'amour où les enfants ne mentent pas et où on a toujours toujours, en bons parents, la bonne réponse à la mauvaise question.

Claudie Wiley, la petite black aux doigts de fée qui rêve d'habiller les stars, et même l'affreux Harrison Glass qui s'achète une femme sur mesure pour aller avec sa belle Cadillac et habiller sa solitude.

Et enfin Sylvan Glass, elle-même, la belle qui rêvait d'être Mary Pickford ou Lauren Bacall, et qui en voulait la garde-robe, comme on choisit un cadeau à cause de l'emballage.

Et voilà: Charlie s'est mis à rêver de Sylvan - et seulement d'elle, au point de lui sacrifier ses autres rêves - et l'enfance si tendre et confiante du petit Sam.

Le petit Sam qui rêvait, lui, de ne pas casser le rêve de Charlie.

Une chaîne de rêves qui se croisent et se marchent parfois sur les pieds, déchirés et détricotés par la réalité..

Une chaîne de secrets portés dans l'ombre impénétrable des coeurs.

Et beaucoup d'amour. Mais que peut l'amour quand les rêves, cruellement, se déchirent? Quand les secrets pèsent si lourd qu'ils ravagent et qu'ils tuent?

"Place-moi comme un sceau sur ton coeur, comme un sceau sur ton bras, car l'amour est fort comme la mort..."disent sombrement les Ecritures.

Une belle fable plus vaste, plus universelle, plus intemporelle qu'il n' y paraît. Qui fait mouche et qui bouleverse.

J'y ai retrouvé l'incroyable don de Goolrick pour parler de l'enfance, car si Charlie Beale , ce boucher sincère et passionné, m'a touchée, c'est Sam, ce petit enfant fidèle, confiant, obstinément muet, attaché à lui comme un chien à son maître, marqué dans sa vie et dans sa chair par son amitié indéfectible pour cette figure de père spirituel, qui m'a profondément bouleversée.

C'est lui, le premier et dernier narrateur de la fable, et dans sa voix, dans ses souvenirs on retrouve le narrateur de Féroces.

L'histoire n'est pas la même, et il y a indubitablement de la tendresse et beaucop de bonté dans l'amour de Charlie pour Sam, mais c'est encore une histoire d'enfance malmenée, massacrée par les passions adultes...même avec les meilleures intentions du monde.

"Oui, l'enfance est l'endroit le plus dangereux qui soit. Si l'on devait y rester toujours, on ne vivrait plus très vieux" dit Goolrick, cet éternel enfant abusé.

Un grand livre, plein de force et de profondeur.
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