C'étaient les années 50, dans une petite ville de Virginie. Les femmes mettaient des bigoudis avant l'heure du cocktail et de belles robes en soie. Les hommes jouaient de la cuillère et du shaker pour la préparation de ces fameux cocktails. Les cocktails, la première religion des
Goolrick, nettement plus assidus en cette heure de fin d'après-midi que pour la messe du dimanche. D'ailleurs, on ne dérange pas un
Goolrick à l'heure du cocktail, à savoir de dix-sept heures à minuit passé. le jeune
Goolrick l'apprendra à ses dépens.
Derrière les rideaux fermés de ces demeures virginiennes, à l'abri des regards indiscrets, l'atmosphère devient étouffante, oppressante même. Je suffoque de ces faux-semblants d'une famille noyée sous des cocktails aussi colorés que les tapisseries du salon cosy et où l'alcool est aussi envahissant que ces sumacs de Virginie. le drame est là, je le pressens, je le ressens, juste une question de jours ou d'années, mais il va survenir, inexorablement, dans les vapeurs de gin.
Les scènes d'une vie, dignes de la fin d'un monde, celui de l'innocence du jeune Robert, s'achèvent à ma lecture. Achevé, je le suis totalement devant l'horreur de cette vie, les malheurs de cette enfance. Certains chapitres remuent les tripes, donnent la nausée, et le flot d'alcool déversé entre les pages n'est qu'un moindre mal. Un chapitre en particulier donne envie de fermer les yeux, et de laisser couler la tristesse de ce gamin de ses paupières closes. Oui, il y a des scènes horribles dans ce roman autobiographique, un grand roman certes, mais une expérience innommable, plus atroce et féroce que ne laisse présager la vie d'un grand écrivain. Je ou lecteur lambda ne peuvent rester insensibles à ces mots, les maux d'une époque et des cocktails de Virginie.