Les princes habitent Manhattan, dans des lofts conçus sur mesure par des architectes branchés. Ils travaillent 16h par jour, modèlent leurs corps parfaits auprès de coachs privés entre 6h et 7h30 du matin, manient des chiffres toute la journée dans une atmosphère survoltée, consomment coke et alcool à outrance, dépensent des milliers de dollars à Las Vegas, se mêlent à la grande fête des corps et du désir dans des boîtes new-yorkaises minables, découvrent le sida avec effroi, chutent…
Si le dernier
Goolrick a des parfums de vécu, c'est que l'auteur a bien connu cette période, et pour cause. Lui-même vice-président d'une grosse agence de publicité new-yorkaise à 28 ans, il connaît les affres des vies décrites dans son roman et la chute, terrible, compagne menaçante et fidèle de celui qui brûle sa vie par les deux bouts, vouant ses convictions et sa jeunesse aux dieux du luxe, de l'argent et des plaisirs immédiats, expéditifs… La mort rôde en permanence : mort sociale lorsqu'on vous vire du jour au lendemain, l'arrêt cardiaque avant 30 ans par excès, le suicide, la maladie honteuse. Cependant, ce n'est pas à un exercice à la
Bret Easton Ellis que se livre
Goolrick. Nous sommes aussi éloignés de l'ambiance du Loup de Wall Street de M. Scorcese, malgré d'évidentes similitudes...
Car si le sujet est bien la chute, c'est une chute accompagnée d'une rédemption. Celle du protagoniste, qui des années après son départ de Wall Street, raconte par flashbacks successifs et réflexions instantanées ces années de gloire et de débâcle si courtes et si fondatrices dans sa vie. Nous suivons les méandres de sa mémoire, entre regrets d'un éphémère sentiment de puissance et demande de pardon. A son ex-femme qu'il aime encore avec tendresse, à toutes les femmes qu'il a achetées de son argent, à ceux qu'il a méprisés, rejetés, dont la pauvreté le dégoûtait. Cet homme n'a plus de nom, il s'est dépouillé pour n'être qu'un anonyme parmi les anonymes, simple vendeur dans une librairie, lui qui brûlait l'asphalte et dont le corps faisait rêver et excitait hommes et femmes dans un accouplement qui aurait dû demeurer éternel.
A aucun moment
Goolrick ne cherche le sensationnel. Son héro déchu n'est pas un voyou, juste un jeune homme qui, s'étant retrouvé par hasard dans un tourbillon, a joué le jeu et a perdu. A nouveau, malgré la médiocrité apparente des aspirations ou des problématiques du protagoniste,
Goolrick tend à une autre dimension, un autre champ de conscience. le livre s'ouvre et se referme sur des références aux héros de la guerre de Troie, comme si cette époque avait tendu vers une mythification, comme si tous les adeptes de l'argent étaient des Icare ou des Prométhée d'une fin de siècle excessive et fichue. L'apparition de personnages voués à la mort et fascinants comme des anges, apparaissant par bribes mais perçus par le narrateur, accompagnent son chemin de croix, l'aidant à accéder à la paix intérieure à laquelle il aspire. L'un d'entre eux lui offre la clé d'accès. Et c'est cette clé, cette nouvelle compréhension du monde, qu'il souhaite, avant tout, transmettre.
Contrairement au sujet apparent du livre,
La chute des princes semble étrangement apaisé, comme si l'auteur avait trouvé la force de prendre du recul face aux évènements et au vécu complexe de sa vie pour nous livrer un seul désir, celui d'aimer. Un très beau livre et un beau portrait de New-York dans les années 80.