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Un conte des mille et une nuits venu d'Argentine…


« Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre existence ».
Chateaubriand traduit bien le sentiment que j'éprouve à la lecture des contes contenus dans Kalpa Imperial, un sentiment mêlé de fragilité et d'éternité, d'éternel recommencement après les chutes, de décrépitude atteignant même ce qui semble immortel renforçant par là-même notre propre fragilité d'humains…Kalpa impérial, « l'empire infini », lui aussi détruit tel un monument qui semblait pourtant éternel…


Kalpa Imperial est un livre d'une élégance rare, d'une beauté délicatement surannée. S'il était une matière, il serait du marbre : une écriture lisse, sans aspérité, douce et poétique, pure, atemporelle, nervurée. S'il était une fragrance, il serait discrète infusion d'iris. S'il était une habitation, il serait palais antique aux colonnes immenses et fières. S'il était une couleur ce serait un blanc tirant sur le crème, légèrement cérusé. S'il était une chanson, ce serait un titre du groupe espagnol La Chica, l'énigmatique titre Oasis sans doute. S'il était un tableau, il serait un tableau d'Hubert Robert, ce peintre français de ruines antiques entourées d'une nature idéalisée…
Après avoir découvert récemment Ursula le Guin, je découvre une autre voix féminine des littératures de l'imaginaire, Angélica Gorodischer, contemporaine d'ailleurs d'Ursula le Guin. Une voix féminine sud-américaine, et voilà un récit de fantasy à nul autre pareil, très singulier. Chaque histoire contenu dans ce livre envoute, caresse notre âme et transporte notre imagination. Écrit en 1983 à la chute de la dictature argentine, il est considéré comme un classique de la littérature SFFF en espagnol et a remporté plusieurs prix littéraires.

Il faut dire que ce livre raconte, au sens premier du terme, il raconte la politique, la religion, les conflits, les relations entre les différentes cultures d'un empire. Sa naissance, ses soubresauts et sa fin. Quel empire ? Où ? Nous ne savons pas (je l'imagine empire babylonien mais il n'y aucune indication en ce sens), juste qu'il s'agit du « plus grand Empire que le monde ait connu ». Cela donne une dimension universelle à ce livre. L'absence de temporalité donne l'impression de se situer en des temps immémoriaux, le récit est ainsi retranscrit à l'oral, un peu à la manière des aèdes antiques. le récit se déroule ainsi dans un empire imaginaire appelé « Kalpa », à une période indéterminée mais qui semble très lointaine, et suit les aventures d'un conteur itinérant qui voyage à travers cet empire infini en racontant des histoires aux différents habitants et souverains qu'il rencontre.

« En plus d'être longue, l'histoire de l'Empire est compliquée : ce n'est pas un conte facile dans lequel on énumère un événement puis un autre et dans lequel les causes expliquent les effets et les effets ont la même ampleur que les causes. Non, ça n'a rien à voir : l'histoire de l'Empire est semée de surprises, de contradictions, d'abîmes, de morts et de résurrections ».

A chaque histoire le conteur nous interpelle, nous ordonne, nous gronde parfois afin que nous soyons bien attentifs à son récit qui va en effet livrer une importante tranche d'histoire. Des chroniques historiques racontées comme si nous étions sur une place publique, à écouter ce conteur scander fort son récit l'appuyant, j'imagine, de gestes amples et exagérés, usant d'un style éminemment poétique. Une ambiance hors du temps, une histoire transmise à l'oral offrant une parenthèse enchantée comme seuls peuvent le faire les contes ou les fables racontées autour d'un feu.

« Non, non, écoutez bien ce que je vous dis, ne vous laissez pas distraire et ne dites pas ensuite que je ne vous ai pas donné assez d'explications. S'il y a quelqu'un qui ne s'intéresse pas à ce que je dis, il peut partir ; c'est comme ça, pour ne pas déranger les autres ».

Le conteur, dans chaque récit, met en valeur des personnages marquants, picaresques, souvent proche de la folie, de l'abnégation, de l'étrange, de l'ignominie. Comme cet empereur sans nom qui s'est emparé de force du pouvoir et devint fou jusqu'à se terrer dans son palais, continuant à gouverner sans que personne ne le voit (Les deux mains), ou encore ce jeune prince qui, en découvrant la vérité sur son père et sa mère, mettra fin au royaume (La fin d'une dynastie ou L'histoire naturelle des furets, sans doute mon récit préféré tant l'ambiance est étrange). Comme cet homme, Bib, trop maigre, trop curieux et trop désobéissant qui fit revenir à la vie l'Empire (Portrait de l'Empereur), comme ce marchand de curiosités qui ravit le pouvoir grâce à une étrange chose qu'il va louer à l'Empereur ( Premières armes) ou encore ce médecin aux pratiques mystérieuses qui a don de clairvoyance (L'étang)…et tant d'autres.
Ces personnages, multiples et très variés, ne se retrouvent pas dans les différents récits, les chapitres de Kalpa impérial sont reliés les uns aux autres de manière thématique plutôt que narrative, en un temps très long qui semble éclaté et fragmenté, où se succèdent des empereurs stupides et des empereurs sages, des empereurs fous et des empereurs visionnaires. le ton est, dans tous les cas, toujours très caustique, le parti pris ubuesque et absurde. le lieu est chaque fois un lieu différent de l'empire avec des personnages différents mais on y retrouve des thèmes et des motifs similaires. Notamment le thème du pouvoir mais aussi, et surtout, celui de la vérité historique. Qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est transformé dans ce qui est raconté ? Mieux vaut-il croire les livres d'histoire, les légendes, les chansons populaires ? Ne sont-ils pas une autre façon de raconter et donc de transformer les faits historiques ? le conteur itinérant voyage à travers l'empire en racontant des histoires qui sont souvent en contradiction avec les versions officielles de l'histoire, ce qui soulève des questions sur la manière dont les événements sont relatés et interprétés. Comment faire son devoir de mémoire et d'histoire dans ces conditions ?

« Ils restèrent également dans la légende, ces récits que tout le monde dit ne pas croire précisément parce qu'ils ne sont pas très sérieux et auxquels tout le monde croit précisément parce qu'ils ne sont pas très sérieux. Et l'on chanta des chansons insidieuses et si faciles qu'on les répéta sur les places et dans les ports et dans les foires. Et il n'y avait aucune part de vérité, aucune : ni dans les origines romanesques ni dans les noms imagés et fantaisistes. Je suis celui qui va vous conter la façon dont les choses se sont déroulées, car il revient aux conteurs de contes de dire la vérité bien que la vérité n'ait pas l'éclat de ce qui est inventé mais cette beauté que les crétins qualifient de misérable ou de mesquine ».

Angélica Gorodischer est l'une des autrices de SFF de langue espagnole les plus reconnues au monde, comme en témoigne son prix World Fantasy, reçu en 2011 pour l'ensemble de son oeuvre, ou son prix Dignité de l'Assemblée Permanente pour les Droits de l'Homme, reçu en 1996 pour son action en faveur du féminisme. Son livre "Kalpa Impérial" est une oeuvre singulière, onirique et poétique, le premier livre de fantasy argentin que je lis pour ma part, et qui, par le biais du conte, constitue une incroyable allégorie du pouvoir, allégorie d'autant plus troublante lorsque nous savons que ce livre a été écrit au moment même de la chute de la dictature argentine. C'est un livre universel contant l'Histoire de l'humanité depuis la nuit des temps. Un livre qui pourrait être emporté sur une île pour s'abreuver et se bercer de contes sur la société humaine et ne jamais oublier la folie, l'ignominie, l'absurdité et la beauté du monde tout en étant plongé dans une ambiance à la tessiture du rêve…

« Cela eût pu se produire hier, cela pourrait se produire demain, ou un jour de l'an prochain ».

Un immense merci à @Dandine pour sa belle critique incitative et immersive et à @Bookycooky pour m'avoir orientée vers cette immense auteure argentine !

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Asseyez-vous, asseyez-vous! Ceux qui restent debout empechent les autres de me voir et de bien m'entendre, les empechent d'ecouter attentivement la saga de l'empire que je vais conter, les hauts faits des hommes qui l'ont construit et detruit depuis sa creation ou ses creations, car elles sont diverses comme les multiples traditions, toutes differentes, toutes multiformes et heteroclites, toutes mouvantes comme les sables du sud, mais toutes vraies car toutes ont retenu les pensees, les reves et les interpretations des conteurs qui m'ont precede depuis les siecles premiers, ceux qui connaissaient de pres l'exaltation du Soleil et le sang-froid de la Lune.


Mais qu'est-ce que je raconte et ou est-ce que je me crois? Il n'y a personne face a moi, et aucun son ne sort de ma bouche. Je tape comme un forcene sur un clavier, suivant sur un ecran des lettres qui apparaissent comme par miracle et s'amoncellent en mots et en phrases. Tout un message que je veux transmettre a des gens que je ne connais pas et que je qualifie quand-meme d'amis, des gens pour qui je me suis reve – un court instant – conteur et rapporteur de la memoire d'un empire. Mais je reviens vite sur terre et je comprends que ce que je fais, que la seule chose que je puisse faire, c'est transmettre mes impressions de lecture d'un livre, ce livre, Kalpa Imperial.


Ah, oui, mais quel livre! Et d'abord, comment le caracteriser? de la science-fiction? Non, il raconte des passes, et je crois que la science-fiction decrit plutot des futurs. de la fantasy? Peut-etre, mais j'en ai si peu lu que je ne suis pas sur de savoir distinguer ce genre. L'auteure remercie Christian Andersen, J. R. R. Tolkien et Italo Calvino pour “l'elan qu'ils m'ont donne", alors des contes? Des contes fantastiques? Je penche pour ce parti et crois meme qu'elle aurait tout aussi bien pu remercier Homere et les auteurs anonymes des Contes des mille et une nuits.


Et quel souffle! Quel epos! Chapitre apres chapitre, conte apres conte, a travers les pages de Kalpa Imperial s'animent empereurs imperatrices et usurpateurs du trone, generaux et rebelles, commercants artisans et medecins, mais aussi, and not least, villes palais et bicoques, routes et chemins, monts et fleuves et ces immenses etendues d'un sud faiblement explore, qui sont aussi importants que les protagonistes humains. Chapitre apres chapitre se revele un empire ou se succedent les dynasties, les epoques de gloire et les annees noires, un empire qui incorpore d'enormes volumes d'espace et de temps, en des regenerations infinies ou tout change tout le temps mais ou rien n'a ete, n'est ni ne sera reellement nouveau (“L'Empire a toujours existe. Il existe, il a existe, il existera, c'est ce qu'on nous enseigne a l'ecole avant meme que nous n'apprenions a lire. — Qui sait, dit madame Assyi'Duzmaul. — Comment peut-on penser que l'Empire n'a pas existe, dit un homme soucieux, en secouant la tete. — La dame a raison, dit le vieux. Qui sait. Il y a des legendes, il y a des histoires, et il se peut que tout ne soit pas qu'une fable inventee par des aveugles, des bardes et des mendiants.”).


Toutes cette epopee, ou ces epopees, nous sont transmises par la bouche d'un conteur de rues ou de places (“Ecoutez-moi sans vous distraire […] On attire mon attention et on me flatte pour que je raconte de vieux faits oublies […] Je suis celui qui va vous conter la façon dont les choses se sont deroulees, car il revient aux conteurs de contes de dire la verite bien que la verite n'ait pas l'eclat de ce qui est invente mais cette beaute que les cretins qualifient de miserable ou de mesquine […] Je vais vous raconter qu'il y eut une fois un enfant […] Et moi je vous le raconte a present, vous qui n'allez jamais etre empereurs. Je ne le raconte pas pour que vous compreniez, j'ai deja renonce a une telle pretention ; ni pour que vous compreniez le Prince Furet. Je le raconte parce que les sages disent que les mots sont les enfants de la chair et qu'ils pourrissent si on les garde prisonniers.”), mais aussi par un archiviste (“Ma vie, messieurs, se passe dans les papiers. Je n'ai rien vu et j'ai tout lu […] Cela est aussi vrai et aussi faux que tout ce que racontent les hommes […] Mais qu'en serait-il des annales de l'Empire si nous autres archivistes nous nous mettions a fantasmer comme les conteurs de contes?”), et des fois meme une femme de chambre ou un officier de la sentinelle peuvent prendre la parole. le dernier chapitre, le dernier conte, nous est narre directement par l'auteure, sans l'artifice de devoir asseoir un conteur. Et la elle se permet des clins d'oeuil tres accentues, parodiques, a notre monde et a notre realite. Cela romp avec la solemnite de tout le reste du livre. Ce n'est qu'une petite partie du chapitre, mais c'est la partie du livre que j'ai le moins aime. Alors je reviens au conteur, il sait surement aussi charmer les serpents, comme il sait charmer son auditoire, comme il a su me charmer, moi.


En ecoutant le conteur nous assistons a des batailles sanglantes (“Les hommes chargeaient, se dechiraient la gueule, se mettaient en pieces ; ils se repliaient puis chargeaient a nouveau. Lorsqu'on raconte toutes ces choses on eprouve du degout pour cette creature qu'est l'homme"), a la creation de nouvelles villes, comme la ville des collines qui devint capitale de l'empire. Phare du Desert, on l'appela, et aussi Perle du Nord, Etoile, Mere, Guide, Berceau, Mere des Arts, et enfin Mere de la Religion Veritable. Nous l'ecoutons raconter un grand mouvement messianique, qui attend Celui Qui Revient, celui qui doit revenir pour instaurer ou reinstaurer la justice (“Et ce sera celui qui doit venir qui consolidera les toits et les fondations de ta maison, celui qui ramenera de la mort et des profondeurs ceux qui sont sur le point de partir, celui qui verra ta ville et ta maison car il peut voir le monde, celui qui ne sait rien et qui sait tout, celui qui depuis le coeur de ta terre se leve et par tous est vu tel qu'il est”). Et nous ne nous etonnons presque pas de l'entendre chanter plus de louanges d'imperatrices que d'empereurs (“l'Imperatrice Nargenenndia Ire, celle qui entra dans l'histoire avec le sobriquet etrange de « le Chat », celle qui aux dires des conteurs de contes fut presque aussi sage que la Grande Imperatrice Abderjhalda mais beaucoup plus joyeuse ; presque aussi valeureuse qu'Ysadellma mais beaucoup plus belle ; presque aussi forte qu'Eynisdia la Rouge mais beaucoup plus compatissante ; celle qui inaugura son regne avec une question adressee au vieux qui se tenait debout a la droite du trone d'or : — Quelles sont les vingt voies du monde, p'tit pere ?”).

En ecrivant un empire Angelica Gorodischer a creee un monde. Son livre est un livre monde ou on trouve de tout, bonheur et affliction, allegresse et abattement, sagesse et deraison, courage et pleutrerie, loyaute et trahison, richesse et denuement, beaute et … autres beautes.
L'empire qu'elle decrit dure-t-il encore? Je ne sais. Je crois meme que nul ne le sait. Mais d'une chose je suis pratiquement certain: son livre, ce beau livre, est fait pour durer. Angelica Gorodischer est morte cette annee, mais on retiendra son nom: ANGELICA GORODISCHER.
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Ce livre a été traduit de l'espagnol par Mathias de Breyne. Que soufflent les vents cléments. A présent, il n'y a plus de délations d'exécutions secretes. Les archivistes archivent et les pêcheurs pêchent. La dynastie des Ellydrovides coupe une fleur dans les jardins. Bibarandaraina et Vorondesides le flûtiste, il pleut. Ekkementes cherche l'enceinte. Orbad le mystérieux. Car derrière le hasard ou le non-hasard tous soupçonnent un ordre secret. Épargnez-moi ce travail. Tout désavantage à des advantages disent les sages. Un jour, il mourra comme lui, l'empire aussi et stupides seront ceux qui le regretteront. Combien le monde est compliqué .
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Kalpa Imperial, de l'autrice argentine Angélica Gorodischer est un fix-up de nouvelles que l'on classera (faute de mieux) dans le genre de la fantasy. Ce livre nous narre l'histoire de « l'Empire le plus vaste ayant jamais existé ». Publié depuis 1990, le livre a déjà connu un certain succès en Argentine et dans le monde anglo-saxon (bénéficiant notamment d'une traduction d'Ursula le Guin) avant d'être traduit et édité en français en 2017 par les éditions La Volte.


On retrouve dans l'ouvrage onze nouvelles, qui partagent le même univers, un empire immense et quasi-éternel qui nous est conté par un même narrateur (un conteur d'histoire). L'Empire est purement imaginaire mais situé dans un univers relativement proche du notre. Les récits restent suffisamment flous pour que le lecteur puisse se les représenter au sein de n'importe quelle culture (même si pour ma part je n'ai pu m'empêcher d'imaginer le récit au sein d'une Chine mythique) et, concernant la chronologie des récits, elle est volontairement très indistincte tant les évènements heureux et malheureux semblent être voués à se répéter indéfiniment. Notre narrateur va donc conter les hauts et les bas de cet empire au travers, généralement, de la vie de ses empereurs et impératrices qu'ils soient des gouvernants éclairés, médiocres ou même fous. On est peu à peu happé par le rythme, le charme et la musicalité de la narration, la vue de cet empire à la fois immuable et changeant avec ses périodes glorieuses et ses déclins. le conteur s'adresse à son auditoire comme un vieil homme sage s'adressant à des enfants au coin du feu ou à des sujets sur la place publique, il avertit ses lecteurs, installe un suspense, explique une ellipse et parfois, interpelle ou admoneste ses interlocuteurs.


le recueil commence avec « Portrait de l'empereur », un récit sur la vie de Bib, enfant chétif d'une époque sombre, qui ressuscita l'empire, il se poursuit un peu plus loin avec « Fin d'une dynastie ou histoire naturelle des furets » un récit très réussi où un jeune empereur prisonnier d'un pesant protocole apprendra la vérité sur sa filiation, un peu plus tard nous suivront l'ascension sociale irrépressible d'une impératrice venue des couches les plus basses de la société (« Portrait de l'impératrice ») puis l'autrice s'autorisera une incursion dans le conte fantastique via un récit où un commerçant rusé accède à la richesse et au pouvoir en s'appuyant sur un jeune garçon aux mouvements hypnotiques(« Premières armes »). Enfin, le livre s'achève avec un récit quasi-messianique grisant (« Tel est le Sud ») et le conte à hauteur d'homme d'une traversée du désert au sein d'une caravane marchande (« La vieille route de l'encens »).


Si certaines nouvelles m'ont paru excellentes et d'autres un peu plus ordinaires, j'ai trouvé de bonne tenue l'ensemble du recueil et apprécié ma découverte de l'autrice. Situé à mi-chemin entre le genre de la fantasy et le recueil de contes, c'est un livre à la fois agréable, immersif et bien écrit, un monde dans lequel il fait bon se plonger. Une des plus grandes qualités de l'ouvrage est sans doute sa gestion du rythme : aidé en cela par un style très plaisant, un zeste d'humour et une bonne alternance entre les nouvelles et un jeu constant avec le narrateur (un conteur, qui doit donc captiver et maintenir en haleine son auditoire), le livre se déroule avec plaisir et aisance sans aucun temps mort. Une agréable découverte.
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Voici une lecture tout à fait inattendue, conseillée par un libraire* lors de l'une de mes descentes en librairie : « Si vous aimez Ursula le Guin, il faut absolument lire Angelica Gorodisher».
Kalpa, c'est un empire au trône d'or, dont on ne connaît pas vraiment la localisation, et que nous allons découvrir au fil des âges, par sauts temporels. Les chapitres décrivent tour à tour des règnes différents, sans réelle continuité. Chaque empereur, chaque impératrice assume à sa manière le pouvoir qui lui est échu, chaque strate de la société réagit en fonction des contraintes et des décisions des dirigeants en place. Les chapitres sont des petits bijoux ciselés, qui peuvent se lire indépendamment les uns des autres.
Ce sont des conteurs qui nous relatent, avec leur talent si particulier, les récits successifs décrivant l'évolution de Kalpa au fil du temps.
C'est déstabilisant : en tant que lecteur, on ne se retrouve plus seul avec un livre dans les mains, mais plutôt au coin d'une rue, écoutant sagement au côté d'autres badauds, trépignant parfois aux digressions, toujours incertains de la suite, sans réelle maîtrise ni pouvoir d'anticipation. Piégé. Quel plaisir !

*Et donc en appendice :
1/ Un grand merci aux libraires
2 Vive les librairies.
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Angélica Gorodischer est une autrice argentine dont le recueil « Kalpa impérial » a été édité il y a peu par les éditions La Volte. Dans la mesure où il est plutôt rare de pouvoir avoir un aperçu de la littérature produite ailleurs qu'aux États-Unis ou en Europe, c'est avec curiosité que je me suis plongée dans la lecture de cet ouvrage par ailleurs récompensé récemment par le festival des Imaginales dans la catégorie roman étranger. Composé de onze nouvelles, le recueil met en scène un Empire, « le plus vaste et le plus ancien que l'homme ait connu », dont chaque texte nous relate un moment déterminant. Impossible toutefois de définir une chronologie ou une géographie précise : l'Empire semble avoir toujours existé et les dynasties qui se succèdent à sa tête sont tellement nombreuses qu'il est inutile de chercher à établir dans quel ordre elles se sont succédées. C'est ce flou volontairement entretenu par l'auteur qui donne justement tout son charme à l'univers de l'auteur dont chaque récit s'apparente à une fable tour à tour cruelle ou poétique consacrée au destin d'un empereur, d'une impératrice, ou encore d'une ville toute entière. Dans « Portrait de l'empereur », nouvelle chargée d'ouvrir le recueil, l'autrice relate ainsi la chute et la renaissance de l'empire grâce à la seule volonté d'un enfant curieux et désobéissant. Dans « Au sujet des villes qui poussent à la diable », c'est l'histoire d'une cité qui nous est contée au fil des siècles, d'abord simple repaire de bandits, puis ville d'art avant de devenir lieu de culte, puis ville thermale, puis capitale d'empire, et enfin cité en ruine totalement désertée de ses habitants. Sans doute l'un des plus beau texte du recueil qui en compte pourtant beaucoup du même acabit.

Cette volonté de l'autrice de relater des histoires s'étalant sur plusieurs siècles donne parfois l'impression d'avoir affaire à des chroniques historiques (un peu à la manière de la « Dynastie des Dents-de-lion » de Ken Liu) : les événements se succèdent à une vitesse folle de même que les personnages qui viennent et repartent tellement souvent qu'on en vient à considérer que le véritable protagoniste de l'histoire n'est autre que l'Empire lui-même. Les différentes nouvelles mettent pourtant en scène des personnages haut en couleur. Il y a par exemple l'impératrice Sesdimillia, roturière devenue dirigeante sage et combative menant elle-même ses armées au combat (« Portrait d'une impératrice »). Il y a aussi l'empereur sans nom, qui s'empara du pouvoir par la force et devint fou au point de se terrer dans ses appartements où il continua pendant des années à gouverner sans que plus personne n'ait posé les yeux sur lui (« Les deux mains »). Il y a enfin le jeune Chat, étrange garçon venu intégrer le voyage d'une caravane dont les voyageurs ne sont pas tous ce qu'ils semblent être (« La vieille route de l'encens »). Les narrateurs sont eux aussi très nombreux et leur diversité contribue à entretenir cette impression de chroniques historiques, qu'ils soient conteur de contes (le plus fréquent) ou archiviste, femme de chambre ou officier. L'écriture est belle et poétique et contribue beaucoup à instaurer cette ambiance un peu hors du temps que dégage toutes les nouvelles et qui nous incite à les associer à des contes ou des fables. Difficile d'ailleurs d'identifier une seule et unique influence sur laquelle se serait appuyée l'auteur pour son décor tant celle-ci emprunte au contraire à de multiples cultures, époques et civilisations. Certains lecteurs pourront toutefois être agacés par quelques tics d'écriture de l'autrice qui multiplie par exemple fréquemment les phrases à rallonge ou les énumérations.

Le surnaturel est quant à lui très peu présent et, par cet aspect, la démarche d'Angélica Gorodischer se rapproche davantage de celles d'auteurs comme Guy Gavriel Kay. La seule nouvelle dans laquelle on peut véritablement déceler une légère touche de surnaturel reste sans doute « Premières armes » qui met en scène un marchand de curiosité et l'un des clou de sa collection : un garçon dont la danse hypnotise ses spectateurs et les plonge dans un état de transe puissante mais dangereuse sur le long terme. Les thématiques abordées tournent quant à elles majoritairement autour de la notion de pouvoir (qu'est ce qui fait un bon ou un mauvais dirigeant ? Quelle influence exerce le pouvoir sur les esprits ? …). Les nouvelles mettent ainsi principalement en scène des individus issus des classes dirigeantes, tandis que ceux issus du peuple ne sont là que pour servir de révélateurs à un personnage bien né (« La fin d'une dynastie » ; « L'étang ») ou pour témoigner de la possibilité d'une ascension sociale fulgurante. C'est le cas dans « Portrait d'une impératrice » qui relate le destin hors du commun d'une jeune fille née tout en bas de l'échelle sociale et qui parviendra à gravir les échelons du pouvoir par son ingéniosité et son intelligence. Mais aussi dans « Siège, bataille et victoire de Selimmagud », un court texte qui relate le rôle joué dans un événement militaire de grande envergure par un simple voleur qu'un malheureux concours de circonstances va amener à côtoyer le plus grand général de l'empire. La question de la transmission et de la mémoire est également centrale dans de nombreuses nouvelles. Dans « La fin d'une dynastie, ou l'histoire naturelle des furets », un jeune empereur se lit d'amitié avec deux hommes étranges qui vont lui faire découvrir une toute nouvelle facette de son père, le précédent empereur qui fait l'objet à la cour d'une détestation unanime.
« Kalpa impérial » est un recueil à part dans le paysage des littératures de l'imaginaire et dont les nouvelles prennent des allures de contes, dressant le portrait de personnages ou de villes au destin extraordinaire qu'on prend énormément de plaisir à découvrir. Un bel aperçu de ce que peut produire la littérature sud-américaine en matière de fantasy.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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Angélica Gorodischer rédige une oeuvre où elle fait toute la lumière sur ses talents de conteuse, caractérisés par le recours à une écriture baroque et humoristique qui soutient un mode de l'invention historiographique. Ce roman culte est l'une des rares fictions en langue castillane à approcher la fantaisie héroïque.
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L'Histoire et les histoires de Kalpa, « le plus grand empire ayant jamais existé » au fil des siècles et des dynasties.

J'avais été appâtée par cette couverture intrigante et l'origine géographique du roman: je ne crois pas avoir déjà lu ou même simplement vu passer sur la booktubosphère/blogosphère des romans de fantasy argentine ou juste sud-américaine.

Et je n'ai pas été déçue de cette première incursion (pas la dernière, je l'espère), car j'ai passé un très bon moment de lecture 🙂 (...)
Lien : https://bienvenueducotedeche..
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Dense, épique, baroque et subtilement politique, l'art du conte d'un empire imaginaire.

Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/05/10/note-de-lecture-kalpa-imperial-angelica-gorodischer/
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Je sens en écrivant ces lignes que ce livre m'a marqué et me restera en mémoire. Cette histoire magnifiquement écrite (mais au style parfois exigeant) est celle d'une civilisation indéterminée dans le temps et l'espace. Cette histoire nous est révélée par un conteur au travers de chapitres qui sont des nouvelles quasiment indépendantes, dans un tourbillon où se succèdent les empires souvent guerriers et les personnages souvent tyranniques. L'envoutement n'a fonctionné que par intermittence pour moi du fait du changement régulier de personnages. C'est au final le tableau général qui m'a marqué, cette proposition de fresque infinie, sans début ni fin, que nous ne pouvons appréhender qu'au travers des quelques instants grandioses ou dramatiques qui nous sont contés. Et enfin, ce dernier chapitre que j'ai beaucoup aimé, même s'il aurait aussi pu ne pas être proposé…
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