AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de cprevost


Deux essais regroupés d'André Gorz viennent d'être republiés : « Écologie et politique » suivi de « Écologie et liberté ». Ils l'ont été sous le nom donné à l'auteur par son premier employeur pour des articles de presse : Michel Bosquet. Ces papiers en effet, qui répondent à une actualité et à des publications du moment (notamment celles d'Ivan Illich), sont de l'aveu même de l'auteur, difficilement conciliables avec des analyses de fond revendiquées par le penseur André Gorz.


Le premier volet regroupe donc dans un ordre logique des écrits parus dans la presse dans le tout début des années soixante-dix ; le deuxième, publié à la fin de la même décennie, systématise les dits articles. L'intérêt de cette nouvelle publication, qui n'apporte pas grand-chose il faut bien le dire à l'oeuvre d'André GorzCapitalisme, socialisme, écologie » 1991 Galilée), est surtout de permettre un retour en arrière de près d'un demi-siècle. Les analyses produites dans ses deux essais, si elles n'ont pas la rigueur nécessaire d'un travail de fond, semblent pourtant remarquablement résister au temps … pour l'essentiel (les réserves connues certes n'ont pas été épuisées avant la fin des années 80 ; il est encore possible de nourrir la planète). Aussi, cette lecture rétroactive permettra incontestablement de mesurer la pertinence et l'incorruptibilité d'une pensée. Il sera d'ailleurs loisible d'en juger en considérant parallèlement les écrits, les revirements et les oscillations convergentes vers le néolibéralisme d'un certain nombre d'essayistes élogieusement cités dans l'ouvrage : Pierre Rosanvallon, Jacques Attali


La crise dite du « pétrole » de 1973 est ici très justement décrite par André Gorz comme une crise grave et durable d'épuisement des facteurs de croissance des capitaux qui ne permet plus de produire des profits suffisants ; une crise « standard » de suraccumulation capitaliste additionnée d'une crise inédite de reproduction à forte composante écologique : il faut désormais reproduire ce qui était jusqu'ici abondant, souvent gratuit et pas marchandisable. le facteur écologique est un facteur aggravant. La théorie libérale de l'augmentation du prix d'une marchandise en raison de sa rareté et conséquemment l'augmentation de ce bien rare en raison de sa rentabilité est invalidée : les raretés qui se sont aggravées concernent principalement des produits non productibles. L'originalité de l'analyse d'André Gorz cependant ne réside pas uniquement dans l'association d'une explication marxiste (composition organique du capital et baisse tendancielle du taux de profit, etc.) et écologique de la crise (épuisement et renchérissement des matières première : économie d'énergie ; renouvellement du capital fixe : reproduction de l'environnement, etc.). L'originalité est ailleurs. Elle est dans la ferme conviction que les capitalistes peuvent tout à fait s'accommoder, à la faveur de la crise, des nouvelles contraintes. Ils peuvent utiliser l'arme du chômage pour réduire les salaires, intensifier le travail et augmenter leurs profits ; ils peuvent, en faisant circuler les capitaux mondialisés, en trouvant une main d'oeuvre moins chère et de nouveaux espaces à polluer dans les pays pauvres, augmenter la production immatérielle (services, culture, loisirs, information, médecine, éducation, etc.) et diminuer la production industrielle dans les pays riches. Tout cela s'est malheureusement vérifié comme peuvent le constater aujourd'hui les enfants et les petits-enfants héritiers de la crise du « pétrole ». L'idée d'une histoire universelle de l'humanité, d'une ligne ascendante, uniformément progressive, des modes de production et des formations sociales est peu probable. L'histoire ne se fait pas du bon côté, c'est-à-dire en raison de la force intrinsèque et de l'excellence des idéaux humanistes, moins encore par la force de la conviction et de l'éducation mais par la douleur du négatif, l'affrontement des intérêts, la violence des crises et des révolutions. L'histoire n'avance pas seulement par le mauvais côté mais du mauvais côté celui de la domination et de la ruine. La libération des capitaux, comme prévue, a été imposée à un moment de reflux du mouvement social pour des raisons idéologiques par un quarteron de néolibéraux antis inflationnistes et fermement déterminés à contraindre les états à l'orthodoxie budgétaire stricte. Cette libéralisation des capitaux a eu pour but pratique, des pays à forte épargne vers ceux à déficit chronique et faible croissance, de rendre le plus facile possible leur circulation internationale.


La lutte écologique pour André Gorz n'est pas une fin en soi. Il lui semble en effet que le patronat a tout à fait la capacité d'intégrer à sa façon les contraintes écologiques et qu'il peut même être vital pour lui d'en accepter certaines des exigences. le patronat peut produire de l'immatériel en quantité, revoir les process de travail contestés et pas assez efficients. Les psycho-sociologues sont d'ailleurs à l'oeuvre pour imposer ses propres solutions de réorganisation du travail dès 1973. Tout cela s'est malheureusement vérifié comme peuvent le constater aujourd'hui les enfants et les petits-enfants héritiers de la crise écologique. le capital a imposé ses solutions à la crise. Il a produit nos désirs, nos servitudes volontaires. Il a mis en place les ingénieries nécessaires des affects. L'affect joyeux de l'espoir (obtenir) qu'il a proposé a toujours été accompagné de l'affect triste de la crainte (manquer). La division du travail et la généralisation du salariat avait imposé, comme premier désir et seul moyen de survivre, l'argent. le fordisme avait permis aux salariés d'acquérir les objets qui réjouissent et qui génèrent des affects extrinsèques joyeux. le régime libéral, totalitarisme confondant la vie de travail et la vie tout court, a imposé dernièrement à tous la réalisation de soi dans et par le travail. Les exemples de fabrications contemporaines à base d' «enrichissement du travail», de «management participatif », d' «autonomisation des tâches » et autres programmes de « réalisation de soi » ne manquent pas. Il a marchandisé et contrôlé toutes nos vies. C'est ce qu'André Gorz avait envisagé comme possibilité dans ses deux essais et nommé « éco-fascisme ». L'écologie n'interdit pas, nous dit-il, une solution autoritaire « techno-fasciste ». L'écologisme au contraire doit utiliser l'écologie comme une critique radicale de la société capitalisme. Il n'est pas un culte de la nature, il est à la fois un choix rationnel et éthique. Il privilégie l'autorégulation rationnelle décentralisée plutôt que l'hétéro régulation centrale. le reproche n'est pas de violer la nature mais se faisant de mettre en place de nouveaux instruments de pouvoir. Il ne s'agit pas de mieux gouverner les processus économiques et les hommes mais de permettre à ceux-ci de prendre en main et de changer localement leur vie, de s'affranchir des puissances et des buts extérieurs. Ce n'est pas une question de procédure mais de comportement individuel autre.


L'écologie procède d'une rationalité radicalement différente de celle de l'économie. Elle se préoccupe des conditions que l'activité économique doit remplir, des limites qu'elle doit respecter pour ne pas avoir d'effet contraire à ses buts ou à sa propre continuation. Elle est chez Gorz une critique très pertinente du capitalisme et du socialisme de croissance. La croissance en effet pour l'auteur ne diminue pas les inégalités ; et la consommation insatiable qui l'accompagne ne réduit nullement la pauvreté (concept relatif signifiant privation de jouissance accessible à d'autres). La pauvreté est en effet le simple résultat de l'insupportable consommation ostentatoire et différenciée, celle qui permet d'afficher l'appartenance sociale, de constituer les autres en pauvres et d'affirmer son pouvoir. L'inégalité est un produit et un ressort de la croissance. L'augmentation de la consommation correspond à un moins croissant : son évolution crée plus de besoins marchandisés, plus de domination par des monopoles industriels, bancaires, étatiques gigantesques et hors de portée. Un épuisement prochain des ressources limitées de la planète est pour André Gorz envisageable. Nos rapports avec la nature, dans laquelle l'activité économique trouve sa condition première, sont en crise profonde. La question est donc de ménager les ressources non renouvelables et de faire en sorte que les effets destructifs de la production ne dépassent pas ceux productifs. Il est urgent pour cela d'arrêter et même d'inverser une croissance inutile.


La stratégie dans son sens le plus courant désigne le choix des moyens employés pour parvenir à une fin. Il est indéniable, qu'à travers tous les exemples mobilisés, les solutions imaginées par André Gorz dans son livre pour atteindre dans les meilleurs délais certains objectifs biens déterminés, c'est une stratégie « écologique » qu'il nous propose. C'est un ensemble de discours de pratiques, de dispositifs de pouvoir visant à instaurer de nouvelles conditions politiques, à modifier les règles de fonctionnement économiques, à transformer les rapports sociaux de manière à imposer ces objectifs. Il faut pourtant souligner que les projets de sociétés ne préexistent jamais, au grand jamais, dans de tels détails, aux luttes engagées contre l'état capitaliste tour à tour ou simultanément, par des cercles d'intellectuels, des syndicats, des partis politiques, des forces sociales différents et ceci pour des motifs souvent assez hétérogènes. Les stratégies sont sans stratège, elle ne procède pas de l'imagination d'un sujet (Foucault, « stratégie sans sujet »). le tournant s'amorce sous la pression de certaines conditions sans que personne ne songe encore à un nouveau mode de production. L'objectif généralement se constitue au cours de l'affrontement lui-même, il s'impose à des forces différentes en raison même de la logique d'affrontement, et c'est à partir de ce moment seulement qu'il joue le rôle d'un catalyseur en offrant un point de ralliement à de forces jusque-là dispersées. L'extraordinaire penseur de l'émancipation, voulant ignorer cette complexe et riche dynamique, malheureusement parsème tout son ouvrage de pauvres et douteuses propositions. Il dessine ainsi en fin d'ouvrage – véritable contre-éloge de l'anti pouvoir – «Une utopie possible parmi d'autres » où c'est un président et son premier ministre qui imposent une société radieuse. Il faudrait ici plus généralement s'interroger : pourquoi si souvent les plus brillants développements donnent naissance à de si piètres conclusions ?
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}