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Critique de oblo


A force de dessiner des farces, André Franquin s'en fit une à lui-même, et une bien mauvaise. Alors qu'il est la vedette du journal Spirou, celui qu'on connaît mieux pour être le père de Gaston Lagaffe apprend que Charles Dupuis ne le gratifie pas de tous les émoluments auxquels il aurait droit pour ses propres oeuvres. Franquin signe alors chez Raymond Leblanc pour une série, Raymond Leblanc étant rien moins que le dirigeant du rival de Spirou, Tintin. La farce, évidemment, ne fait pas rire Dupuis, pas plus que Franquin qui est déjà surchargé de travail chez Spirou. L'aventure durera 4 ans, de 1955 à 1959, laissant à la série Modeste et Pompon une renommée quelque peu funèbre, ou au moins un souvenir négatif, synonyme de corvée hebdomadaire.

L'édition intégrale et documentée que propose les éditions du Lombard éclaire donc, intégralement pourrait-on dire, une oeuvre à la fois mal connue et pourtant intéressante à plus d'un titre. Modeste et Pompon, c'est d'abord une succession de gags en une planche (un gag ou deux en deux planches) qui mettent en scène Modeste, homme jeune de la classe moyenne qui découvre alors les joies d'un intérieur ordonné, esthétique et moderne. Autour de lui gravitent les personnages secondaires, dont Pompon, seul personnage féminin mais relativement effacée, avec laquelle Modeste entretient des rapports d'amitié que la morale encore tenace des années 1950 tenait pour acceptable. On trouve aussi Félix, l'ami de Modeste, représentant de commerce pour produits en tout genre, et qui tâche de vendre à Modeste les dernières trouvailles, lesquelles se révèlent, le plus souvent, fâcheusement inutiles ou effroyablement efficaces. Viennent ensuite les voisins : Dubruit, qui appartient aussi à une classe moyenne qui tient au confort et au charme suranné des intérieurs bourgeois ; Ducrin, inspecteur des impôts dont le goût aristocratique contraste vivement avec le désir de modernité de Modeste. Quelques enfants, enfin, dont les neveux de Félix, viennent parfaire le tableau. Il est à noter que les voisins Dubruit et Ducrin furent inventés respectivement par Goscinny et Greg.

Utilisant le ressort du comique de répétition (Félix vient vendre une invention défectueuse à Modeste qui se venge ; les neveux de Félix qui jouent de sales tours à Modeste et finalement s'en repentent ; Modeste qui veut fanfaronner devant Pompon et se retrouve, bien souvent, le bec dans l'eau), Franquin en profite aussi pour croquer le portrait d'une génération et d'une époque.

Cette génération, c'est celle de ces jeunes gens des années 1950, qui ont connu les sombres années de guerre, qui ont su les horreurs dont l'Homme s'était rendu coupable. Cette époque, c'est celle des années qui, succédant à la reconstruction, ouvre la voie à la consommation de masse des Trente Glorieuses. le confort moderne entre dans les maisons, les oeuvres d'art aussi, et il faut toute la profondeur intellectuelle du dossier d'information qui inaugure cette intégrale pour comprendre que, dans chaque planche ou presque, Franquin s'est ingénié à remplir la maison de Modeste d'éléments de décoration de la plus récente modernité.

Malgré l'ennui que représentait pour Franquin la conception hebdomadaire de ces planches, jamais le lecteur ne ressent une quelconque facilité de la part de l'auteur. Sans faire de Modeste et Pompon un chef-d'oeuvre au même titre que Gaston Lagaffe, ces histoires assurent tout de même une oeuvre plus solide et plus profonde qu'on ne l'aurait soupçonné.
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