Voilà ce qui arrive, se disait-elle avec reproche, quand on ne sort pas de chez soi, qu’on ne voit que ses propres affaires ; on devient impatient, ingrat ; on ne sait plus ce que les autres hommes ont à supporter, on ne voit plus que les défauts de ceux avec lesquels on vit, et l’on se figure encore qu’ils ne veulent pas s’en défaire par pure méchanceté, et qu’ils prennent plaisir à vous tourmenter. Mais dès qu’on regarde autour de soi, on s’aperçoit que le vieil homme est le même partout, et qu’il est d’autant moins gênant qu’on le supporte avec plus de patience et que l’on s’applique avec plus de douceur à former l’homme nouveau.
— Non, je ne suis ni fâchée ni absurde, mais là où tu as raison, je le reconnais volontiers. Je ne veux pas sortir de ma condition et je n’oublierai jamais que nous n’avons rien et que nous ne sommes que des travailleurs. Nous avons bien des chevaux à l’écurie, mais ce ne sont pas les nôtres ; il y a là un gros train de paysan, mais nous n’en sommes pas les propriétaires, et je ne veux pas avoir l’air de l’être.
il y a des gens qui se figurent qu’ils ont avalé la sagesse avec leur première cuillerée de bouillie, et qui ne voient pas la crotte qui est sur leur nez.