« Son oeuvre est un peu à son image, celle d'un amateur faussement dilettante qui a partagé sa vie avec des livres, ses « compagnons de silence ». La force de Gourmont demeure dans cette diversité littéraire qui le rend proprement inclassable. Il porte un regard attentif et critique sur son temps, sur son époque. La force de Gourmont est son esprit. Vif, alerte, curieux, encyclopédique. D'un fait d'actualité il tire une morale. (…)
La force de Gourmont est son esprit libre. Il s'affranchit des dogmes, de la bien-pensance et parfois de la bienséance. Il dépasse la pensée commune, celle du troupeau, celle du vulgaire. Il la surplombe. C'est un torrent de pensée, un bouillonnement de critiques et d'idées. Quitte à se contredire parfois (Gourmont est un homme paradoxal). Mais il revendique le droit à l'erreur, dans la lignée de
Baudelaire et bien avant Camus. La contradiction est son alliée :
« — Que de contradictions !
— Eh ! si je chargeais ma voiture tout du même côté, je verserais. »
Il dénonce « l'horrible manie de la certitude », lui-même ardemment tiraillé par la manie du doute. Gourmont est un penseur libre à la culture vaste. Son regard est perçant et les maux de la société qu'il raille et dissocie sont bien souvent encore les nôtres. Sa méthode de réflexion, la dissociation des idées, devrait être plus largement répandue, en ce qu'elle favorise et entretient l'esprit critique. Denrée rare. »
Extrait de la préface de Vincent Gogibu à cette anthologie de textes dont les thèmes choisis parmi les différentes oeuvres de Rémy de Gourmont et classés par ordre alphabétique permettre de se faire une idée de l'ensemble des écrits de cet écrivain, mort en 1915, qui mérite d'être redécouvert et lu.
Rémy de Gourmont se définit lui-même dans l'épigraphe : « Je ne puis avoir d'ennemis que ceux qui détestent la liberté, l'art et toute poésie, qu'elle soit dans le sentiment ou dans l'idée. »
Le titre « Le téléphone a-t-il tant que cela augmenté notre bonheur ? » continue à donner le ton. Il résonne comme s'il était écrit à l'heure actuelle et concernait l'envahissement de la vie quotidienne par les téléphones, désormais portables.
Tout ce livre nous offre un florilège de ce que peut être un érudit, à l'esprit libre et ouvert, plein d'humour, dont la culture classique n'est jamais pesante et reste valable pour nous hommes du XXIe siècle qui croyons souvent avoir tout découvert et inventé.
A Avortement on peut noter : « L'embryon qui nage dans le ventre de la femme lui appartient comme ses entrailles mêmes ; il fait partie de son corps. Ou elle est esclave, ou il faut lui en reconnaître la libre disposition. »
Fortune : Si tu veux faire de la philosophie, connais-toi toi-même ; mais si tu veux faire fortune, connais les autres.
Dernières Pensées Inédites, 1924.
Sans oublier tous les textes où il parle des auteurs qu'il admire comme
Montaigne et
Ernest Renan et de ceux qu'il n'hésite pas à écorcher tel Huysmans : « N'ayant aucune imagination, il en est réduit à lui-même ; mais comme la vie d'un homme sans imagination est généralement fort monotone, en racontant ce qui lui est advenu, il se trouve qu'il ne raconte presque rien. »
ou les Hommes de lettres ainsi définis : « Être vu. L'homme de lettres aime non seulement à être lu, mais à être vu. Heureux d'être seul, il serait plus heureux encore, si l'on savait qu'il est heureux d'être seul, de travailler dans la solitude des nuits, sous sa lampe ; et il serait tout à fait aise, lorsqu'il a clos sa porte, que sa bonne la rouvrît pour un visiteur, qu'elle montrât à l'importun, par l'entrebâillement, l'homme de lettres heureux d'être seul. »
Des pas sur le sable, 1914.
Un livre jamais ennuyeux qui suscite la réflexion du lecteur et dont la présentation permet de vagabonder selon l'humeur du moment.