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EAN : 9782714303356
205 pages
José Corti (01/08/1989)
4.21/5   12 notes
Résumé :
Lorsqu’il se penche sur le phénomène André Breton, qui fut aussi un ami, Julien Gracq cherche à élucider les enjeux de l’écriture. Il médite sur les éléments et les rêves surréalistes : le franchissement de la frontière entre conscient et inconscient, le dépassement du quotidien, la quête, la révélation, l’amour.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Sur André Breton, la première grande oeuvre critique de Julien Gracq.

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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Ce que nous avons appelé la courbe d’une phrase se décompose en deux segments dont il y aurait grand intérêt par rapport à un certain point critique, qui en constitue le sommet, à
souligner les sens diamétralement opposés. Dans le début de
la phrase, le mouvement de la pensée, que guide ou que reproduit (peu importe) la syntaxe, apparaît comme un pur surgissement: c’est toujours d’une espèce de coup de vent d’une
liberté extrême qu’il dépend que nous surmontions le vertige d’inertie, d’un caractère proprement stupéfiant, que dégage « le
vide papier que sa blancheur défend». Dans le prolongement
de cet élan initial, que les mots qu’il appelle à lui n’arrivent pas
à rejoindre suffisamment vite, se creuse comme un appel d’air,
un vide précurseur, qui somme, encore indistinctement, les
combinaisons verbales d’avoir à être, à se bousculer en remous
derrière son passage extraordinairement pressé Tout écrivain
connaît parfaitement ce creuse ment en lui d’un moule encore
vide doué d’une force de succion sur le magma verbal, cet élan
aveugle de pensée qui «tire sur la plume», cette arabesque
presque mimée du contour dont l’amorce de la courbe est déjà
grosse sans pourtant s’en faire encore autre chose que le pressentiment. Indubitablement, dans cette « entrée » de la phrase,
c’est l’élan syntaxique en pleine accélération, encore foisonnant
de possibles, qui semble frayer le chemin aux combinaisons verbales, tout en leur laissant un jeu aussi étendu qu’il en reste aux
vagues pour combler un sillage. Et précisément, de même que
rien ne fait bouillonner les vagues avec plus d’effervescence et
de liberté qu’un sillage, cet essor conquérant de la phrase qui
«prend son vol « est un appel constant, un appel impérieux à la
rencontre verbale et à la trouvaille. Mais si le génie a son siège
dans ce mouvement d’éclosion et de fertilité aveugle du départ,
passé le sommet de la courbe c’est l’art qui se charge de tirer le
meilleur parti possible de son retombement: l’approche de la
fin de la phrase, son freinage progressif signifie un ressaisissement des pouvoirs de contrôle et de choix sur une matière verbale qui tend maintenant, répondant après coup à l’éréthisme
violent qui soulevait la phrase à son début, à proliférer avec excès; une élimination de plus en plus serrée des possibles innombrables – jusqu’à combler enfin le dernier vide disponible d’un
puzzle de plus en plus rigidement exclusif – amortit le mouvement verbal créateur – fige sur place cette danse à laquelle les
mots se trouvaient en proie et confère à la syntaxe, dans cette
chute de phrase, (on ne peut choisir que parmi ce qui se fixe) un
pouvoir non plus d’éclosion, mais de coagulation.
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Ou bien maintenir à tout prix la liquidité de la langue, sa
disponibilité, en tentant, par une inattention rigoureuse aux affinités des mots, aux liaisons syntaxiques, à tout ce mécanisme
verbal qui, si nous n’y prenons garde, s’ingénie à chaque instant
à penser pour nous tout seul, de laisser le champ libre à «l’aimantation»intérieure du subconscient. Tentative séduisante,
mais qui ne va pas sans des risques certains. La « continuelle
infortune» qu’a été selon Breton l’histoire de l’écriture automatique dans le surréalisme tient peut-être à une double exigence,
à peu près impossible à satisfaire, et dont les premiers surréalistes, acharnés à aboutir malgré tout, n’ont pas tenu suffisamment compte en effet l’abandon total au «caractère inépuisable
du murmure «, à la dictée intérieure, y doit se doubler d’un
effort de tous les instants, et qui réclame, lui, l’attention la plus
soutenue, pour desserrer les mâchoires du langage, pour paralyser ses mécanismes moteurs, toujours prêts à se substituer à la
pensée qui lâche la bride. Une langue, et surtout une langue qui
comme la française a beaucoup servi (il s’agit ici de son usage
littéraire) tend à ressembler de plus en plus à un système compliqué d’aiguillages entrecroisés – où le mécanicien aux yeux
bandés, beaucoup plus souvent que de provoquer quelqu’une
de ces magnifiques catastrophes de locomotive renversée dans
la forêt vierge dont rêve Breton, risque, plus banalement encore
que d’autres, d’aboutir au cul-de-sac ensommeillé d’une voie de
garage: on ne l’a déjà que trop vu. (...). L’autre solution (...) vise
tout autant que la première à provoquer cette rupture des mécanismes semi-automatiques de la langue qui est la condition
même de la création; mais tandis que les tenants de l’écriture
spontanée y tendent seulement afin de laisser la place libre au
courant, au « murmure » qui devra disposer désormais de la langue comme d’une matière ductile, les poètes conscients du
type valéryen, fort étrangers à cette notion de « champ libre »
voient dans la réflexion et le travail sur les données du langage
l’unique moyen de libération. Le goût du langage dans ce qu’il
a de plus arbitrairement, de plus gratuitement «donné»: rimes,
rythmes, clichés, assonances, «gênes exquises » se justifie pleinement – non sans d’ailleurs continuer de nous gêner à notre
tour – à une telle manière de voir. On pourrait la caractériser
comme la reconnaissance spontanée du besoin d’un cadre rigide préétabli où accrocher ses pensées pour pouvoir en expliciter les virtualités les plus intimes.
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La dernière scène de Don Juan pourrait servir à illustrer d’une manière tragique une tentation congénitale à l’artiste. Il vient toujours dans sa carrière un moment assez dramatique où s’invite d’elle-même à souper au coin de son feu une statue qui n’est autre que la sienne, dont la poignée de main pétrifie, et dont quelque chose du regard médusant passe avec un éclat glacial dans un des vers les plus célèbres de Mallarmé. Une lutte épuisante, jusqu’à la dernière seconde, contre l’étreinte paralysante de l’homme de pierre fait souvent – et on serait tenté de dire : à notre époque surtout – la trame pathétique de toute une vie d’artiste en fuite devant sa propre effigie, acharné à ne pas se laisser rejoindre au moins avant le seuil final – à ne pas se laisser dévorer avant l’heure par le monstre qui croît et se fortifie du sang qu’il perd. À un abandon sans vergogne au premier signe des bras de marbre se reconnaissent sans doute ces siècles classiques qu’on s’acharne à nous représenter comme si sévères pour eux-mêmes. Mais pour nous, le coureur en dût-il se désunir disgracieusement, nous mettons une joie angoissée à suivre ces zigzags de bête forcée, obstinée encore à donner le change, à brouiller les pistes – et à la seconde même où il est terrassé, quelque chose en nous de très profond surgit pour lui prêter le mot final du Caligula de Camus : « Je suis encore vivant ».
Il n’est guère d’écrivain vivant qui s’adonne aussi libéralement que Breton à cette passion de bouger qui consterne aussi fâcheusement les critiques que les photographes.
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Le culte de la poésie s’est renforcé en eux dans la proportion exacte où elle leur est apparue, de plus en plus clairement, comme un moyen de sortie, un outil propre à briser idéalement certaines limites. Dans la mesure même où elle s’identifie pour lui à un « esprit d’aventure au-delà de toutes les aventures », Breton est perpétuellement tenté d’en déceler le surgissement partout où s’ouvrent pour lui les failles par lesquelles on peut espérer d’échapper à l’humaine condition. Elle triomphe dans la folie (L’Immaculée Conception), étincelle dans le « hasard objectif », dans la « trouvaille » – brille de tous ses feux dans « l’amour fou », comme dans toute entreprise de libération de l’homme. (Monnerot indique avec justesse que, de manière obscure, pour les surréalistes, la poésie « communique » avec la révolution). Ce que Breton en vient finalement à baptiser « poésie », c’est tout fil d’Ariane dont un bout traîne à portée de sa main et permet de l’aider à sortir du labyrinthe.
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On multiplierait sans grande peine les exemples de ce retournement de l’exigence syntaxique. Breton n’est certes pas le premier à l’avoir ainsi employée à la façon d’un piège continuel, apte à saisir ce qui se meut perpétuellement aux confins du contenu délibéré de la phrase, à l’avoir mise au service d’une langue qui se veut avant tout agglutinante. D’autres avant lui avaient utilisé à l’occasion cette vertu de la syntaxe d’être – autant qu’à discipliner le contenu concerté d’une phrase – propre à certains usages externes. Mais on s’avise à partir de lui qu’il est possible de concevoir une lame assez flexible, assez souple – quoique du meilleur métal – pour passer à travers tous les joints, tous les défauts de l’armure logique. Mais à Breton revient sans doute le mérite d’avoir le premier tenu délibérément entre ses doigts l’armature de la langue française, qu’il a su rendre infiniment flexible, à la façon d’une baguette de coudrier.
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À travers les différents ouvrages que l'auteur a écrit pendant et après ses voyages à travers le monde, la poésie a pris une place importante. Mais pas que ! Sylvain Tesson est venu sur le plateau de la grande librairie avec les livres ont fait de lui l'écrivain qu'il est aujourd'hui, au-delàs de ses voyages. "Ce sont les livres que je consulte tout le temps. Je les lis, je les relis et je les annote" raconte-il à François Busnel. Parmi eux, "Entretiens" de Julien Gracq, un professeur de géographie, "Sur les falaises de marbres" d'Ernst Jünger ou encore, "La Ferme africaine" de Karen Blixen. 
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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