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Citations sur Entretiens (13)

A cette question finale de l'entretien réalisé par Dominique Rabourdin à Saint-Florent-le-Vieil début 2007 pour "Le magazine littéraire" : " - Etes-vous stoïcien ? N'avez-vous pas peur de la mort, de votre propre mort ? ", Julien Gracq répondra : - " La perspective de ma disparition ne me scandalise pas : la mort semble partout inséparable de la vie, individuelle ou collective. La mort survient, un jour ou l'autre ; quoique très proche pour moi, sa pensée ne m'obsède pas : c'est la vie qui vaut qu'on s'en occupe. "
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[A propos des "Entretiens", de Julien GRACQ – un court texte critique de Michèle GAZIER, paru dans l'hebdomadaire "Télérama" en 2002]

" Beau et intéressant recueil que ces six entretiens publiés dans des magazines ou des revues, à l'exception de celui de Jean Roudaut, "Autour du Roi Pêcheur", enregistré pour la Radio Suisse romande et jamais diffusé. Qu'il s'exprime sur le roman, l'écriture, son rapport au monde – Julien Gracq, on le sait, enseigna toute sa vie la géographie – , son goût des paysages, ses lectures, ses préférences littéraires, artistiques ou cinématographiques, l'auteur du "Rivage des Syrtes" demeure fidèle à ses engagements d'écrivain, à cette écriture qui chez lui est une éthique autant qu'une esthétique. "Ecrire", explique-t-il à Jean Roudaut, "c'est un plaisir, c'est une passion, que l'anxiété accompagne aussi naturellement. Je n'ai jamais pensé que l'écrivain était un martyr de l'écriture". Ces entretiens diversement menés selon les interlocuteurs – généraliste avec Jean-Louis Rambures et Jean Carrière, géographique avec Jean-Louis Tissier, géographique et littéraire avec Jean-Paul Dekiss, plus centré sur l'écriture avec Berhild Boie, son éditrice en Pléiade – donnent à voir un écrivain soucieux de l'univers qui l'entoure, sensible à son temps, exigeant avec lui-même. Menant sa route sans jamais dévier. Un esprit libre. "
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En réalité, mon impression est la suivante et je tenais à la préciser ici : jamais aucun prosateur ne m'a inspiré comme vous ce "climat" si particulier que seule jusqu'ici la musique avait su me communiquer. Aucun écrivain n'a jamais pu entrer en concurrence avec cet "art de faire tenir en quelques mesures un infini de nostalgie et de souffrance" que vous évoquiez tout à l'heure à propos de Wagner et de Debussy. Ainsi, le début du "Roi Cophetua " baigne-t-il pour moi dans ce brouillard mouillé qu'on trouve dans certains études pour le piano de Debussy. L'impression qu'éprouve l'aspirant Grange aux Falizes, lorsqu'il entend la récitation des écoliers – " Il sentit battre en lui une petite vague inerte et désespérée qui était comme le bord des larmes " – avec les bruits calmes de cette arrière-saison dans cet alpage charmant, cette impression me renvoie irrésistiblement à certaine pièce de Ravel [...].

[Propos de Jean Carrière, "Qui êtes-vous, Julien Gracq ?", La Manufacture, 1986 – texte repris dans l'ouvrage : Julien GRACQ, "Entretiens" – Entretien avec Jean Carrière [1986], éditions José Corti, 2001, page 149]
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(…) dans mon esprit, il n'y a pas, comme le veut une idée trop complaisante et trop répandue, rupture angoissante entre la banalité utilitaire de la vie courante et le « monde de l'art » (les poètes étant « censés souvent s'arracher - dans la douleur - de la première pour accéder au second). Je ne crois pas aux arrière-mondes poétiques, je ne crois pas au « fuir là-bas, fuir!.... » de Mallarmé, ni à cette idée de l'évasion par l'art qui sous-tend tout le romantisme français. Et qui s'exprime encore ouvertement à travers Baudelaire. Je me sens beaucoup plus d'accord avec la conception unitive qui me semble être celle de Novalis: le monde est un, tout est en lui; de la vie banale aux sommets de l'art, il n'y a pas rupture, mais épanouissement magique, qui tient à une inversion intime de l'attention, à une manière tout autre, tout autrement orientée, infiniment plus riche en harmoniques, d'écouter et de regarder. Ce qui fait que la littérature (j'ai envie de dire plutôt: la poésie) est à prendre en effet extrêmement au sérieux, et à prendre au sérieux sans tristesse aucune, à cause de son immense, et quotidienne capacité de métamorphose et d'enrichissement. Mais à une condition: ne pas confondre, si souhaitable que cela puisse paraître, les deux manières de regarder; savoir que l'expérience poétique, qui est une expérience vraie, et complète, n'est pas utilisable, n'est pas transposable directe- ment dans l'univers pratique. C'est par là que l'in- jonction de Breton autrefois « Qu'on se donne seulement la peine de pratiquer la poésie! », si admirable que soit l'aspiration qu'elle traduit, et le sentiment parfaitement justifié qu'elle exprime, à savoir que la poésie est prête à jaillir partout du monde qui est le nôtre, et à tout moment, m'a tou- jours paru en même temps un peu confusionnelle. Et source, pour une part, des déceptions ultérieures du surréalisme envisagé comme manière de vivre.

pp. 146-147
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Je n'aime pas l'emploi du mot « création » en littérature, et encore moins en critique. Il n'y a création qu'à partir de rien, et la littérature n'est au mieux que recomposition, réassemblage, de sensations, de perceptions et de souvenirs.

[Julien GRACQ, "Entretiens", José Corti éditeur (Paris), 2002, page 167 — 4ème partie de l'ouvrage : "Entretien avec Jean Carrière" (1986)]
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Il y a, sous la croûte obscure de la langue, comme dans les profondeurs de la mer et les hauteurs du ciel, des châteaux et des presqu'îles. L'objet de la littérature est leur « magique étude.
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Je n'ai jamais connu cette faim de la peinture qui fait que Breton, ayant acquis un tableau qu'il aimait, le gardait la nuit à portée de la main, à côté de son lit. Ce qui a compté dans ma formation, à côté de la littérature, c'est la musique, et plus exactement l'opéra. J'ai été élève du lycée de Nantes entre 1921 et 1928. Il est très difficile aujourd'hui de se représenter la place que tenait alors l'opéra dans la vie « culturelle » d'une ville de province. Il y avait une troupe engagée à l'année, et qui jouait d'octobre à juin, chaque soir. Beaucoup plus que le cinéma, qui était alors dans une période de mue perpétuelle, ce qui représentait l'évasion, le « rêve », c'était l'opéra. Les ténors ravageaient les cœurs de la bourgeoisie locale, il y avait toute une chronique de scandales, d'enlèvements. Le lundi matin au lycée, les internes qui avaient eu la chance d'accéder au poulailler racontaient la représentation, détaillaient pour les absents les performances des ténors et des barytons. La littérature a mis du temps à se dégager pour moi de l'ennui scolaire: Andromaque, Le Cid, expliqués acte par acte - Molière, La Fontaine, qui pour moi ne s'en est jamais remis. Le tout autre, la vraie vie », libérée de toute souillure pédagogique, c'était l'opéra. Naturellement le répertoire était celui de la province : Massenet, Gounod, Bizet, Lalo, Meyerbeer, Puccini, Ambroise Thomas, dont le piano des jeunes filles à marier continuait à moudre les airs, le dimanche, par toutes les fenêtres des rues. Lorsque j'ai découvert Wagner et Parsifal, à dix-huit ans, j'ai eu la même impression qu'en passant de Jules Verne à Edgar Poe. Mais il y a là une fixation de jeunesse qui m'a marqué. L'opéra, avec son emprise totalitaire sur son public - le livret, le texte, les décors, l'action, la musique - est sans doute resté pour moi l'image même, en art, de l'indépassable, en même temps que de l'ébranlement affectif maximum.

pp. 63-64
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" La littérature est-elle pour vous la création d'un temps sans durée ? "

– J'ai l'impression que la temporalité qui règne dans la fiction est beaucoup plus inexorable que celle qui s'écoule dans la vie réelle. Dans la vie réelle, les neuf dixièmes sont distraction et divertissement. La littérature les élague impitoyablement. Je relisais l'autre jour "David Copperfield", il y a un épisode où la petite Emily est séduite, et à partir de ce moment commence une sorte d'écoulement inflexible qui est loin de celui de la vie réelle. On sent là vraiment la temporalité de la fiction beaucoup plus proche du destin que dans la vie. La lecture ne supprime jamais le sentiment de l'écoulement du temps concret. Mais elle réussit à mettre en conserve de la durée qu'on peut libérer et même réitérer puisqu'on relit les livres. C'est une sorte de temps en conserve qui peut se superposer au temps vécu réellement, sans l'annihiler comme le rêve.

[Julien GRACQ, "Entretiens" – Entretien avec Jean Roudaut [1981], "L'écrivain au travail" –, éditions José Corti, 2001, page 80]
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Je ne déteste pas la ville en elle-même. La ville - la grande ville en tout cas, à condition de ne pas se laisser dépersonnaliser soi-même à son contact comme "L'Homme des foules" d'Edgar Poe, garantit dans la vie courante au moins une composante importante aujourd'hui de la liberté: l'anonymat. Il est possible d'ailleurs encore de vivre à Paris, dans certains quartiers centraux qui n'ont pas subi de métamorphose, comme on y vivait il y a un ou deux siècles, en piéton non migrateur, et en échappant au mouvement aspirant et foulant des migrations journalières. Là, le Paris ancien a infiniment moins changé en cinquante ans que n'a fait la « campagne », devenue, elle, méconnaissable. Je suis d'ailleurs si peu allergique aux villes en elles-mêmes que j'ai consacré à l'une d'elles mon dernier livre. Ce qui m'en éloigne, c'est moins le gigantisme qui les gagne - il n'est pas si nouveau - que la déstructuration qui les menace. C'est leur alignement progressif sur le type de ce que Spengler appelle « la grande ville mondiale tardive, celle des insulae dans la Rome impériale, des tours et des barres d'aujourd'hui. L'élimination, par la table rase et la rénovation, des singularités différentielles nées du temps et de la sédimentation humaine en lieu clos, qui faisaient de la promenade à travers une ancienne ville, avec ses quartiers, ses rues, ses organes délicatement spécialisés et localisés, une traversée de microclimats successifs, tantôt nuancés, tantôt tranchés, une suite continue de hausses et de baisses de tension, de surprises. C'est cela peut-être, plus encore que les contacts humains facilités et multipliés, qui a fait longtemps chez nous de la grande ville un milieu alerté, tonique, sti- mulant pour l'écrivain, opposé à la placidité étale de la campagne. Ce qui n'a jamais été le cas en Amérique, où le carrelage urbain uniforme n'a guère permis à un vrai système nerveux d'animer des villes invertébrées. Je pense que ces villes en effet, à terme, portent sur le front le signe de la mort: le pouvoir diversifiant, singularisant de la vie n'ayant pas pu accompagner et ordonner la croissance de leur masse. Dans le tiers-monde, surtout, au Caire, à Mexico, à Calcutta, à Djakarta, ailleurs encore, cela devient un signe fatidique préoccupant.
En imagination, en fiction, je m'éloigne, il est vrai, de ces villes. Mes livres sont en général non urbains - sans être pour autant, du moins je l'espère, agricoles, ou régionalistes - et c'est une autre des raisons de la sympathie pour Jünger.

pp. 210-211
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[La musique] n'indique jamais ("n’indique jamais" est en italique]. Un écrivain peut parfaitement « se mettre en train » en écoutant un disque qu'il aime, sans avoir le sentiment que celui-ci entreprend en rien sur sa liberté. Il ne pourrait guère le faire en regardant un tableau préféré.

Mais par là, l'écrivain ne peut pas ne pas ressentir en même temps les limitations de la musique. Parfois il a l'impression que l'art des sons, ayant fait naître l'émotion comme peut-être aucun autre art ne sait le faire, abandonne l'auditeur au moment où la parole veut intervenir, pour cerner, formuler, fixer. Elle donne l'idée d'un état encore fluide de l'art, qui suscite l'émotion à l'état de totale disponibilité, et qui l'abandonne au moment où cette émotion voudrait cesser d'être la mer en rumeur, et chercher, en fait d'expression, une terre ferme. Quelque chose comme un art du seuil, en tant que tel incomparable, qui ouvre des portes, mais ne guide guère au-delà, et qui demande comme un complément le passage à un état plus accessible à l'intellection. (…) Quand Valéry écrit que « la poésie est l'essai de représenter... ces choses, ou cette chose, que tentent obscurément d'exprimer les cris, les larmes, les caresses, les baisers, les soupirs », il a l'air, tout de même, de parler de la musique encore plus que de la poésie, où une fixation intervient toujours.

pp. 121-122
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