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Critique de michfred


Attendre c'est occuper un espace encore vacant et creux en le peuplant de nos rêves, de nos espoirs, de nos doutes et de nos craintes. Attendre c'est le thème surréaliste par excellence : les surréalistes se mettaient en état d'attente pour mieux surprendre…l'inattendu, justement.

C'est aussi le thème favori, avec celui du paysage, de Julien Gracq, qu'il s'agisse de ses poèmes, de ses romans, ou comme ici, de ses nouvelles.

Trois nouvelles, donc, avec pour thème central l'attente. Trois paysages, trois tonalités différentes. Une variation musicale sur l'attente.

La Route d'abord, la plus courte, et aussi ma préférée : je l'ai lue et relue, j'en connais des passages quasiment par coeur.

Un Narrateur avec ses compagnons voyage sur La Route : il la connaît bien, l'a prise souvent et la reprend une dernière fois, avec prudence. Car la Route s'est ensauvagée, des événements guerriers sans doute, l'ont rendue moins sûre, plus menaçante. C'est la somme de ses cheminements et toutes les traces de souvenir qu'elle lui a laissées, les strates de la mémoire dans celles du paysage, que nous raconte le Narrateur.

Nouvelle poétique et fantastique –avec discrétion, comme dans le Rivage des Syrtes. On croise parfois de loin les peuples de la route « mais leurs allures peu franches et le peu de souci qu'elles semblaient avoir d'être abordées faisaient penser à une tribu en maraude aux confins de son territoire ou aux gens qui battent l'estrade le long des grèves de mer » - je cite de mémoire, mon livre est loin de moi- le Narrateur rencontre aussi les femmes de la Route : ces amazones libres et graves qui se donnent à eux la nuit, comme une pluie chaude, et repartent, guerrières bottées et armées , au petit matin sur La Route…

Une nouvelle pleine d'images, de poésie de sensualité, de mystère. Tout sauf de l'ennui ! Je proteste contre cette accusation faite à Gracq : « il ne se passe rien »…Comme si on faisait ce reproche à un poète, à un peintre, à un musicien…

La Presqu'île, deuxième nouvelle, éponyme du recueil : je l'aime parce qu'elle se passe à Crozon, la plus belle partie de mon cher Finistère, en fin de saison : un homme y attend une femme, elle tarde à venir, sans doute ne viendra-telle pas- il arpente la Presqu'île qui retombe dans sa léthargie elfique de fin d'été et voit partir, un à un, les estivants.

Chaque fois que je la lis, la même nostalgie me saisit : celle des fins de vacances de mon enfance, au bord de la mer : odeurs de sable humide et de serviettes de bain salées jamais vraiment sèches, voiture au coffre ouvert d'où sortent les pelles et les râteaux qui ne serviront que l'année prochaine, volets qu'on clôt , un à un, alors que les dunes continuent à vous appeler de leur chaude vibration et que la mer clapote, tentatrice…De la pure poésie, le temps et l'espace sont captés avec une magistrale ampleur : on en sort comme grisé de douce mélancolie.

La troisième nouvelle a fait l'objet d'une très belle adaptation cinématographique du cinéaste André Delvaux en 1971 : « Rendez-vous à Bray ». Dans le recueil, elle s'appelle le Roi Cophetua…encore une attente, et cette fois le thème érotique de la servante-maîtresse : le Narrateur attend un ami dans la propre maison de ce dernier, mais le propriétaire, étrangement, ne vient pas. Il laisse à son ami et invité les bras et l'accueil de sa servante, sans doute sa maîtresse à lui aussi , pour meubler son attente. Un tableau, au mur, intitulé « le Roi Cophétua » reprend le motif de cet étrange "don" d'hospitalité, comme une mise en abyme picturale.. Nouvelle plus classique, moins paysagée, plus narrative. Erotisme et mystère. Légende et réalisme.

Trois nouvelles rares, poétiques, pleines d'images, de sensations et de rêves.

Vous n'attendrez plus jamais un être, un moment ou même un train en vous disant : « C'est emm… d'attendre : il ne se passe rien ! »
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