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Critique de Valdimir


Je ne regrette pas d'avoir lu ce livre mais je reste partagé sur ce que je dois en penser. Et c'est peu de le dire car j'ai tout à la fois aimé et détesté. Est-ce la faute de l'auteur ou du lecteur ?
Un pays imaginaire, une cité impériale languissante qui vit dans le souvenir de son glorieux passé. À la frontière sud, une mer qui sépare l'empire des ennemis barbares que l'on n'a plus rencontrés depuis la suspension des guerres trois siècles auparavant. Sur le rivage, à deux jours de navigation de l'ennemi, des ruines, une forteresse antique et une garnison figée dans ses rituels militaires qui surveille sans plus savoir pourquoi une frontière oubliée. C'est dans cette atmosphère de fin de règne savamment entretenue que l'intrigue se développe lentement. de jeunes gens qui voudraient croire en leur avenir tentent de secouer l'ancien monde au risque de réveiller les démons assoupis.
Autant le dire tout de suite, il ne se passe presque rien dans ce roman, ce qui n'est pas pour me déplaire. Faut-il voir dans ce récit énigmatique un écho de la débâcle française face aux troupes hitlériennes ou bien la guerre froide avec une Union soviétique insaisissable ? Ce qui est certain, c'est que le rivage des Syrtes utilise les mêmes ressorts que le désert des Tartares : une forteresse immobile qui monte la garde devant une étendue désertique, des événements minuscules auxquels le désoeuvrement prête une dimension fantasmatique, la vie qui passe dans l'attente de ce qui peut-être n'adviendra jamais. Mais là où Dino Buzzati décrit la fuite du temps dans un langage sublime de dépouillement, Julien Gracq déploie une luxuriance de style rarement atteinte en littérature.
L'écriture de Gracq et son vocabulaire sophistiqué sont fascinants. On se laisse porter par le rythme de ses phrases parfois si longues qu'on s'y perd. le halo poétique qu'elles suscitent en nous fait beaucoup pour maintenir le mystère des personnages et des lieux : « le chant triste des oiseaux des Syrtes montait avec le jour, ouaté et monotone déjà comme chacune de leurs journées, s'égrenait comme du sable sur ces espaces sans bornes ; le calme des plaines grises, toujours moites de brume au matin, ressemblait à ces aubes d'été languides qui se traînent comme assommées sous une fin d'orage. Je me retournais parfois pour apercevoir derrière moi la forteresse, d'une livide couleur d'os sous son drapé de brouillard ; devant moi, dans le lointain, les reflets de mercure de la lagune venaient mordre sur l'horizon une mince ligne noire et dentelée, et dans cette matinée déjà pesante, il me semblait sentir ces deux pôles, autour desquels maintenant oscillait ma vie, se charger sous leur voile de brume d'une subtile électricité. »
Seulement voilà, Gracq en fait trop, beaucoup trop. Il écrit pour écrire et la forme déborde sur le fond, on ne parvient jamais à oublier le travail de l'auteur derrière le récit. On ne compte plus les comparaisons affectées qui encombrent le texte en multipliant les ‘comme', ‘pareils à' et ‘on eût dit': « elle s'ébrouait dans une aise sans bornes, comme ces jeux silencieux qu'on surprend la nuit dans les clairières », « Vanessa sous ma main reposait près de moi comme l'accroissement d'une nuit plus lourde et plus close », « elle ressemblait à une reine au pied d'un échafaud », « l'expresssion (...) de l'animal apeuré qui couve au fond de sa nuit chaude l'annonce obscure d'un typhon ou d'un raz de marée », « cette souffrance stupéfiante des bêtes muettes qui semble avoir troué, pour venir jusqu'à nous, les espaces d'un autre monde ». Orgie d'adjectifs, débauche de métaphores et d'hyperboles, l'écriture paraît aussi surchargée qu'une église baroque où tout se voit sacrifié à l'ornementation. Même les personnages, les situations, le discours politique en deviennent factices, disparaissant sous le fard d'un esthétisme post-romantique qui nuit à la crédibilité de l'intrigue. Cela confère au roman cet aspect irréel, hiératique, qui ne peut que plaire à certains et faire horreur à d'autres. Il semble que je fasse partie des deux.
Chez Gracq, chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir… on a l'impression d'entendre du Baudelaire, mais la poésie et le roman sont deux langages différents, ce qui est permis à l'une ne l'est pas à l'autre. le roman a besoin de vie. La poésie versifiée elle-même n'est plus en usage et le style incandescent de la prose de Gracq l'aura bientôt rejointe au pays des langues mortes. le charme du rivage des Syrtes tient pourtant à la beauté académique de cette langue qui restera pour quelque temps encore la source inépuisable d'un français idéal au profit d'enseignants du secondaire en mal de dictée.
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