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EAN : 9782714303011
75 pages
José Corti (01/01/1976)
  Existe en édition audio
4.12/5   105 notes
Résumé :
« Les images que déroule tout voyage initiatique renvoient chacune en énigme à une rencontre préfigurée qu'elles font pressentir et qui les achèvera ; la puissance d'envoûtement des excursions magiques, comme l'a été pour moi celle de l'Evre, tire sa force de ce qu'elles sont toutes à leur manière des « chemins de la vie ».
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Que dire de la prose de Julien Gracq qui n'ait déjà été dit et redit ? Un style, d'une grande beauté, apte à faire apprécier au lecteur cette promenade plus ou moins autobiographique sur les bords de l'Evre, un petit affluent de la Loire. "...le vallon dormant de l'Èvre, petit affluent inconnu de la Loire qui débouche dans le fleuve à quinze cents mètres de Saint-Florent, enclot dans le paysage de mes années lointaines un canton privilégié…"
Une brume matinale, une lumière si particulière qui ne se trouve qu'en bord de rivière…
Et si c'était ça aussi, la poésie ?
"Les eaux étroites", Corti, le seul éditeur connu de l'auteur… Un petit opuscule qu'on pourrait lire en une heure ; pensez donc : quatre-vingt pages…
Pour ma part, une telle prose (qui n'est pas si fréquente) se déguste plus qu'elle ne se dévore : deux bonnes heures de lecture - et de relecture pour certaines pages - rêveuse au fil de l'Evre...
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« Les eaux étroites » est un récit autobiographique où Julien Gracq nous promène au fil de l'Evre dans les paysages de son enfance.

Ce récit de navigation le long de l'Evre est envoutant !
« La puissance d'envoûtement des excursions magiques (…) tire sa force de ce qu'elles sont toutes à leur manière des "chemins de la vie » écrit J. Gracq
Dans une description détaillée, aussi riche que luxuriante, aussi colorée que lumineuse Julien Gracq nous entraine et nous fascine, on découvre avec délectation les richesses de la langue française, les mots qui scandent et rythment admirablement ce récit.

Un vrai bonheur, cette heure de lecture poétique longtemps sa musique va résonner.
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J'ai 25 ans au bord de l'eau, j'aime m'isoler avec un livre sur la très petite île de l'étang proche de la maison familiale où je passe quelques jours de vacances. Ma passion de la littérature, un rien tardive, fête ses dix ans, elle est devenue dévorante. José Corti publie "Les Eaux étroites". Vacances, vacance, j'ai tout le temps de lire, un amour brisé vient de me laisser sur le flanc, et l'ennui, dans la canicule de cet été-là, pourrait bien m'accabler. Lisant, je commence d'accepter ce que l'expérience avait fait noter à Montesquieu: «L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture ne m'ait ôté.»
J'ouvre ces "Eaux étroites". Dès la première page, me voici embarqué — je n'ai encore jamais lu Gracq, qu'on m'a vanté pourtant. Je lis avidement, happé, alors que, plus jeune, toute «description» m'ennuyait — et c'est par Gracq qu'un peu plus tard j'apprendrai à apprécier Balzac: je pense ici à la prodigieuse peinture de Guérande dans" Béatrix". D'emblée, je suis saisi, «magnétisé» (pour utiliser un mot cher aux surréalistes dont fut Gracq, et qui me paraît parfaitement convenir à l'état dans lequel je me trouve précipité) par ce style ample et précis — «pignoché» aurait dit mon ami peintre Alain le Bras, mais non pas léché — dans lequel se mêlent et s'emmêlent l'attention à l'âme et au paysage, la quête des sentiments et des sensations — l'homme et la nature, l'homme dans la nature. Sans que je puisse bien me l'expliquer, la lenteur sinueuse de la description devient source d'énergie. «Envoûtement des excursions magiques»... Où l'on apprend que la «modestie» d'un paysage peut bouleverser — puisqu'il révèle de l'extraordinaire à qui sait l'observer. Je vais aller au bout des "Eaux étroites" d'une traite.
Quinze ans plus tard, et alors que j'ai lu presque tout Gracq dont le récent "La Forme d'une ville", alerté par le jugement d'un ami, fin et sévère lecteur, je m'interroge: Julien Gracq est-il l'«écrivain réactionnaire» qu'il dénonce? Je renvoie illico la question au jeune romancier argentin Cesar Aira, en résidence à Saint-Nazaire, qui répond à la façon d'un adolescent frondeur: «Sur le conseil d'X et d'Y j'ai dû lire l'abominable Julien Gracq, la quintessence de l'écrivain de qualité: tout le monde le vénère par ici [...] Julien Gracq et tous les Gracq du monde ne font que confirmer leur propre devise éculée: "J'écris bien"»*. Excusez du peu. Quinze ans encore et je relis Gracq, "Les Eaux étroites". Eh bien non, Gracq n'écrit pas «bien», il écrit Gracq. L'amour, la connaissance, la maîtrise et la jubilation de la langue seraient-ils des péchés?
Surtout, qu'est ce qui est moderne dans Gracq — pour l'enlever à cette accusation de «réactionnaire»? Une très tranquille subversion, une distorsion discrète de la syntaxe, qui le fait moins classique qu'on ne pourrait le juger à première vue — ainsi de ces longues suites d'incises, entre virgules, comme en cascades, se précisant l'une l'autre. Plus encore, le choix des tirets en place de parenthèses, pour ce subtil correctif qu'ils apportent dans la mise en valeur accrue de l'incidente. Et Gracq serait-il insoucieux de modernité quand il qualifie de «terriblement moderne» le personnage de" La Lettre volée", ou quand il cite, dans le corps du texte, l'année de sa rédaction: 1975? Rien d'attendu non plus dans les alliances de mots, les métaphores: a-t-on déjà lu ailleurs «l'ajonc couleur de guêpe» ou le carillon languide»? J'ai toujours pensé que la marque la plus convaincante d'une oeuvre de littérature devait être l'étonnement, l'inattendu. Serait-il convenu d'écrire des «ruelles cléricales», de parler du «voltage» du roman De Balzac "Les Chouans", de la lumière «fruitée» des fins de journées (cette «embellie tardive»)? Un réactionnaire n'ose pas, il n'invente pas — il répète, il reproduit. Oui, il y a de l'audace chez Gracq, dans le choix et les appariements de ses mots comme dans leur organisation à l'intérieur des phrases.
Aussi est-ce que je me refuse à voir dans l'auteur des "Eaux étroites" la préciosité qu'on a pu lui reprocher. Jamais chez lui l'emploi du mot rare n'est effet, esbroufe, non, c'est une rigoureuse volonté de justesse qui l'exige et le place là où nul autre ne saurait le remplacer à égalité — je note, pour le plaisir de l'exemple : faucardé, gaulis, retombement (absent du petit Robert, mais noté dans le grand), virginal (l'instrument de musique), recès, gonfalon, etc.
Dans ce livre comme dans les autres, on ne perçoit jamais l'effort, les traces du travail. La question se pose alors, dont j'ignore s'il y a jamais répondu: Gracq écrit-il avec difficulté, remet-il son ouvrage «vingt fois sur le métier»?
Dans" Les Eaux étroites" comme dans "La Forme d'une ville", "La Presqu'île" ou "Autour des sept collines", livres si limités à un génie des lieux particulier, Julien Gracq abat les murs du local pour toucher, par la grâce de sa langue musicale et de sa rêverie enchantée, à l'universel. Ainsi, l'Èvre, ici, «petit affluent inconnu de la Loire», devient-il les eaux. Ça résonne, ça vibre, ça voyage, ça emporte...
Faut-il s'étonner que Gracq, dans son «excursion» rêveuse et sensible, plus souvent mélancolique que joyeuse, fasse référence aux sens de l'ouïe («l'oreille, non moins que l'oeil, recueille», le trot d'un cheval, le caquètement des poules d'eau, toute cette «compagnie bruyante et joyeuse»), la vue (eaux «couleur de réglisse» et «couleur de café très dilué»), du goût (la limonade, les macres) et de l'odorat (les feuilles mortes des peupliers), mais jamais du toucher? le toucher, sens le plus évidemment érotique, n'est-il pas mis de côté par la pudeur manifeste de Gracq quand on aurait voulu lire sous sa plume la sensation produite sur les mains par le contact des avirons, des branches, de l'eau — par exemple.
Miraculeuse, encore, la façon singulière dont Gracq émaille sa promenade méditative de références historiques et artistiques (d'Edgar Poe à Titien en passant par Rimbaud et Bachelard) sans jamais se révéler ni pédant ni pesant: Gracq fait de la littérature là où tout autre aurait signé un essai cultivé.
Troisième lecture, donc, des "Eaux étroites". le charme, dans son sens magique, opère comme à la première fois et ouvre sur de nouvelles découvertes, de nouvelles compréhensions; une oeuvre d'art valide se remarque à son caractère inépuisable. Je n'ai pas encore épuisé les soixante quatorze pages des "Eaux étroites".

* Nouvelles impressions du Petit-Maroc, traduit de l'espagnol par Christophe Josse, Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs de Saint-Nazaire, 1991.

Article paru dans "Encres de Loire", n° 43, pages 7 et 8, janvier 2008


Lien : http://www.paysdelaloire.fr/..
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Dans ce petit livre Julien Gracq nous invite à le suivre dans une de ses promenades au fil de l'Evre "C'est ainsi que le vallon dormant de l'Evre, petit affluent inconnu de la Loire qui débouche dans le fleuve à quinze cents mètres de Saint Florent, enclôt dans le paysage de mes années lointaines un canton privilégié, plus secrètement, plus somptueusement coloré que les autres, une réserve fermée qui reste liée de naissance aux seules idées de promenade, de loisir et de fête agreste."
De Julien Gracq, ce sont ses textes relativement courts que je préfère. Au cours de cette balade proche de sa maison il nous fait rêver en compagnie d'Edgar Poe, des rêves d'opium de De Quincey, de Gaston Bachelard. La descente et l'environnement de l'Evre le fait songer à l'Afrique, à la Bretagne et puis après ce qui a semblé un grand périple "La barque s'est amarrée de nouveau à la rive ; l'enclanchement familier du cadenas est comme le fermoir de la journée close, une journée en dehors des jours."
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Voilà enfin un ouvrage de Gracq auquel j'adhère sans réserve, en raison, peut-être, de son manque apparent de prétention et d'ambition. Ce sont des promenades au bord de l'eau, en vérité assez différentes de celles de Rousseau (moins de Je et de Moi, moins de subjectivité étalée), mais portées par un même sentiment géographique du monde sensible, un goût des choses visibles comme support de la méditation. La qualité poétique de l'eau, bien décrite par Bachelard, trouve ici toute sa dimension, ainsi que le pays évoqué. Faire surgir la poésie du monde connu, de la promenade faite mille fois, est le fait d'un grand écrivain.
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Ainsi on rebrousse chemin, après avoir amarré la barque dans une trouée des roseaux, et s'être étendu un moment sur l'herbe de la berge. Le soleil réchauffe encore le vallon de toute sa vigueur ; il n'y a pas un souffle d'air, mais une barre de fraîcheur s'allonge déjà au pied de chaque arbre en travers de la rivière, aussi distincte qu'une ombre portée. Souvent j'ai entendu chanter dans les barques qui revenaient de Coulènes ; ainsi que l'eau lisse par-dessus la crête du barrage, ce qui s'épanchait dans ce chant, c'était comme un excédent tranquille ; seulement ce qui débordait à la fin, sans violence, de l'engrangement d'une journée sans nuages. Les voix, que le soir isole et rend plus liquides, font résonner au retour l'écho de la Roche qui Boit ; la tour quadrangulaire de la chapelle enfin est en vue par-dessus les roselières : le bronze de sa cloche qui sonne languissamment l'heure retentit toujours plus proche qu'on ne s'y attendait et semble élargir sur l'eau, amortir sans hâte ses vibrations comme un caillou qui tombe dans une mare. C'est d'ici seulement, encadrée entre les bouquets plumeux des roseaux, reflétée sur l'eau tremblante, et cassée comme une mosaïque par les feuilles des macres et des nénuphars, que cette laide bâtisse de pèlerinage n'est pas tout à fait indigne qu'on la regarde, et mérite le nom secret que je lui conserve dans mon souvenir, nom que j'ai volé à une pauvre bourgade de la Brière : la chapelle-des-Marais.

[Julien GRACQ, "Les eaux étroites", librairie José Corti, 1976 – pages 70-71]
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L'eau noire, l'eau lourde, l'eau mangeuse d'ombres [...] si différente du flot insidieusement violent qui râpe et ratisse les grèves de la Loire, et renverse par les épaules comme un chien joueur le nageur qui cherche à reprendre pied, elle était là, elle fut là pour moi tout de suite, avec son odeur terreuse de vase et de racines, son sommeil dissolvant : digérant, infusant lentement les feuilles mortes qui pleuvaient des arbres d'automne.
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Pourquoi le sentiment s'est-il ancré en moi de bonne heure que, si le voyage seul – le voyage sans idée de retour – ouvre pour nous les portes et peut changer vraiment notre vie, un sortilège plus caché, qui s'apparente au maniement de la baguette du sourcier, se lie à la promenade entre toutes préférée, à l'excursion sans aventure et sans imprévu qui nous ramène en quelques heures à notre point d'attache, à la clôture de la maison familière ?

[Julien GRACQ, "Les eaux étroites", librairie José Corti, 1976 – incipit, page 11]
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Mon esprit est ainsi fait qu’il est sans résistance devant ces agrégats de rencontre, ces précipités adhésifs que le choc d’une image préférée condense autour d’elle anarchiquement ; bizarres stéréotypes poétiques qui coagulent dans notre imagination, autour d’une vision d’enfance, pêle-mêle des fragments de poésie, de peinture ou de musique. De telles constellations fixes (les liens emblématiques qui se nouèrent dès les commencements des anciennes familles entre le nom, les armes, les couleurs et la devise ne seraient pas sans jeter un jour sur leur origine), si arbitraires qu’elles paraissent d’abord, jouent pour l’imagination le rôle de transformateurs d’énergie poétique singuliers : c’est à travers les connexions qui se nouent en elles que l’émotion née d’un spectacle naturel peut se brancher avec liberté sur le réseau — plastique, poétique ou musical — où elle trouvera à voyager le plus loin, avec la moindre perte d’énergie.
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La rêverie fascinée – la plus exclusive, la plus obsédante de toutes – conduit sans doute par un chemin descendant, selon une pesanteur spécifique, vers ces régions frontières où l'esprit se laisse engluer par le monde, et presque intégrer dans un de ses règnes.
Mais il existe une autre rêverie, plus rare, à laquelle sont liés d'autres privilèges et que signale presque toujours le sentiment de liberté, et souvent d'ubiquité foudroyante qui s'attache aux plus beaux rêves de vol: rêverie ascensionnelle tendant, non vers l'indistinction finale et vers la sécurité de l'élément, mais plutôt vers la totale liberté d'association qui remet sans trêve dans le jeu, les significations et les images: son climat exclusif est la vitesse, et son trajet d'élection le court-circuit. Une légèreté irréelle, un certain sentiment de bonheur aussi dans la légèreté auquel rien ne ressemble, dès qu'on s'y engage s'empare de l'esprit: comme si une perspective sans fond de trapèzes volants aux oscillations miraculeusement conjuguées faisaient danser devant lui tous les chemins de l'air.
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Vidéo de Julien Gracq
À travers les différents ouvrages que l'auteur a écrit pendant et après ses voyages à travers le monde, la poésie a pris une place importante. Mais pas que ! Sylvain Tesson est venu sur le plateau de la grande librairie avec les livres ont fait de lui l'écrivain qu'il est aujourd'hui, au-delàs de ses voyages. "Ce sont les livres que je consulte tout le temps. Je les lis, je les relis et je les annote" raconte-il à François Busnel. Parmi eux, "Entretiens" de Julien Gracq, un professeur de géographie, "Sur les falaises de marbres" d'Ernst Jünger ou encore, "La Ferme africaine" de Karen Blixen. 
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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