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EAN : SIE207283_612
José Corti (30/11/-1)
4.17/5   15 notes
Résumé :
Avec Lettrines, si Julien Gracq inaugure un style d’écriture qui échappe à une définition classique, il ne paraît pas exagéré de penser qu’il renouvelle une forme d’expression originale – appréciée de certains romantiques allemands – que d’autres écrivains vont emprunter après lui. Littérature en fragment, aphoristique, c’ est "un ensemble très libre, une mosaïque de notes de lecture, de réflexions, de souvenirs", dira-t-il dans une interview. Très éloignée de ce qu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
"Tant de mains pour transformer ce monde, et si peu de regards pour le contempler ! "

On se souviendra longtemps de cette phrase conclusive d'un très beau paragraphe célébrant l'insouciance des premiers âges de l'Humanité : la Terre d'avant "L'Anthropocène", cette dernière Ere géo-bio-climatologique de notre biosphère épuisée par les "oeuvres" et les prétentions d'une humanité narcissique, stupide, prolifique et suicidaire (pardonnez le vaste pléonasme).

Premier assemblage de "Morceaux" publié en 1967...

Citons aussi la belle et juste phrase de notre ami Eric35 définissant ainsi l'impact de la littérature de Julien GRACQ (1910-2007) :

" C'est un écrivain à l'oeuvre complexe, parfois étrange, toujours inattendue, parfaitement inépuisable. "

Oui, tout est beau dans l'Oeuvre de Gracq : en elle "rien de commun" (comme l'annonce le petit dessin de l'éditeur José Corti).

Oui, et tel un Continent, une Terre rêvée, un Océan : "parfaitement inépuisable"...

Gracq, c'est aussi la Littérature d'AVANT. Disons d'avant l'Ersatz et la grande consommation (Foenkinos, Beigbeder et Nothomb, pour faire court) ou d'avant la marque de fabrique du "Cynique-sans-espoir" (mais surtout Bien-surligné-autour-des-oreilles-pour-que-même-le-pire-des-imbéciles-comprenne : on songe ici à quelque "Prix Goncourt"... ).

Gracq détestait – et ça n'était pas une "pose" chez lui – les "Prix littéraires" et autres concours à caniches savants. Imbécillités notoires (à conflits d'intérêts en peau de lapin), mais qui ameutent toujours "leurs Parisiens"... Mais pas que. Un vaste système oppressif tellement voyant et perfectionné qu'on ne le perçoit plus vraiment, résumable à ce "Moi-Moi-Moi" qu'on nous fait bouffer jusqu'au fond de nos provinces bouseuses (si loin des "Lumières" parisiennes, il est vrai...).

On se découragera au constat de la pérennité de pareils systèmes de conditionnement de l'individu à sa médiocrité. Insignifiance de ces gisements de narcissisme babillant continuellement à ciel ouvert.

Pourtant, "Gracq de St-Florent" avait allumé la lumière. Sa veilleuse. Déjà...

L'humilité. L'observation fine. La non-conformité absolue. La grande (humble) culture "toujours recommencée"... La valeur sacrée du jugement personnel.

Littérature qui fait confiance à son lecteur ; aux vertus fécondantes de son imaginaire ; à sa culture ; à ses lectures supposées (ces trésors de la Littérature des siècles passés, que l'on nomme "oeuvres classiques").

On y croise sans cesse, au fil des pages, les ombres vivantes de Verne, Hugo, Goethe, Chateaubriand, Balzac, Stendhal, Flaubert, Huguenin, Rimbaud, Claudel, Breton : sans doute nos frères.

"Le Monde d'hier" de Stefan ZWEIG, en quelque sorte...

" Hélas..." ? Non, disons plutôt : "Vive Hier"... Oui, partons immédiatement, irrémédiablement à la découverte (passionnée et passionnante) d'Hier.
Lien : http://www.regardsfeeriques...
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
La comparaison si admirée de Claudel à propos de l'arbre "forme de feu" ne me frappe pas comme particulièrement juste. C'est l'aspect de poumon ou de branchie qui saisit tout d'abord.

Dans ce monde que nous réendossons chaque matin comme une vieille veste usée, totalement immunisés contre la surprise, l'arbre est la seule forme qui de temps en temps, à certains brefs moments de stupeur où les yeux se décapent de l'accoutumance, m'apparaît comme parfaitement délirante. Cet après-midi par exemple, en regardant les arbres qui parsèment les prairies de l'Île Batailleuse pâturer dans le brouillard de pluie, soudain plus désorientants que des dinosaures.

[Julien GRACQ, "Lettrines", Librairie José Corti, 1967 - page 151]
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Rien n'était plus frais et plus charmant – il y a une douzaine d'années – que la matinée d'été où, parti de Mazamet de bonne heure, je gravissais lentement les pentes de la Montagne Noire, après les gorges de l'Arnette, à travers la forêt d'Hautaniboul. Le soleil de huit heures pénétrait dans le sous-bois aéré d'airelles et de mûres, faisait briller de chaque côté de la route deux bandes de mousse humide, ressuyait la forêt aussi tendrement qu'une femme qui tord sa chevelure, éclairant l'une après l'autre des clairières petites et jeunettes, si fraîches et si matinales que malgré soi au fond de chacune d'elles on s'attendait à entendre chanter le coucou. A chaque lacet qui me hissait plus haut le long de cet espalier tout emperlé d'une rosée baptismale, la respiration se faisait plus légère – au nord, de plus en plus loin, sous les réseaux de la brume, on voyait s'étendre les vastes plaines du Castrais – et de virage en virage il me semblait que je me haussais vers les royaumes du Matin.

[Julien GRACQ, "Lettrines", Librairie José Corti, 1967 - pages 228-229]
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La préparation d'une conférence m'amène à lire la série d'essais que M. Robbe-Grillet publie sous le titre Pour un nouveau roman. Étrange idée qu'il a des grands romans du passé, centrés selon lui sur une "étude de caractère". Cela m'est aussi inintelligible que de dire d'un organisme qu'il est "centré" sur le cœur. Dans un grand roman, contrairement au monde imparfaitement cohérent du réel, rien ne reste en marge - la juxtaposition n'a de place nulle part, la connexion s'installe partout (de là la gêne qu'on éprouve à lire dans un roman de qualité, comme il m'est arrivé il y a peu, une phrase de ce genre : "Elle se mit au piano et joua la sonate y grec - opus 75" : référence au monde inerte du catalogue, de la fiche, que le sang romanesque soudain n'arrive plus à irriguer). Comme un organisme, un roman vit d'échanges multipliés : c'est le propos d'un des personnages qui fait descendre le crépuscule et la fraîcheur d'une matinée qui donne soudain l’héroïne digne d'amour. Et comme toute œuvre d'art, il vit d'une entrée en résonance universelle - son secret est la création d'un milieu homogène, d'un éther romanesque où baignent gens et choses et qui transmet les vibrations dans tous les sens. Un monde pénétré, éveillé jusqu'à la moëlle par le son intelligible, purgé miraculeusement de tout élément opaque - un monde qui n'est pas celui de la vie, mais qui lui ressemble seulement, dans la mesure à la fois très importante et très incomplète où une cloche ressemble à un chaudron.
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Les saules floconneux sont l'état diurne des brumes du fleuve, que l'on a roulées et pelotonnées sur la berge, en attendant le petit matin.
Le plus bel aspect arborescent des rives de la Loire à Saint-Florent, je le découvre le long de l'Ile Batailleuse, en amont du Pont de Vallée : une grise et haute fourrure de saules, mousseuse et continue, doublée immédiatement en arrière par une muraille de peupliers. Le saule trempe aux eaux brumeuses et les marie aux berges aussi doucement que le petit gris bordant la peau nue ; le peuplier en arrière déploie sa voilure haute, avec cet air noble et sourcilleux qu'il a de naviguer toujours par files d'escadre : l'arbre de l'eau et l'arbre de l'air s'apparient et se conjuguent dur cette lisière tendre - et le soir d'été qui embrume légèrement et qui lie cette gamme éteinte des verts fait de ce coude de la Loire à s'y méprendre, un bord du fleuve de Marquet.
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Rien de plus extraordinairement troublant, tout de même, pour un fanatique du Jugement dernier de l'Histoire, que cet épouvantable déni de justice infligé, et infligé dérisoirement, avec une espèce d'indifférence ennuyée, à ces centaines de millions d'hommes que les Anatole France de l'époque devaient déclarer "si bien meublants". Cela a passé, c'est tout, sans que personne ait élevé la voix, jeté la malédiction ou attesté le ciel, sans convulsion et sans grand soir : la fin de l'esclavage, il semble que personne ne s'en soit même aperçu - ne serait-ce que pour en dresser le vague procès-verbal. A un moment donné, on constate que l'esclave se raréfie, puis devient introuvable dans la jungle sociale qui n'en est pas assainie, comme l'auroch dans les forêts de Biélorussie - mais il meurt historiquement intestat, sans qu'un seul nouveau-né ne soit jamais baptisé Spartacus. Il y a quelque chose de scandaleux pour l'esprit de justice, et de funèbre, dans cette cause historique formidable, apocalyptique, qui tourne en eau de boudin, comme écrasée lentement sous le poids de sa propre énormité, qui pourrit interminablement sous le marécage reverdi du haut Moyen Age, sans que quiconque ait même remarqué l'odeur. Chrétiens, païens, barbares, Romains, ça n'intéressait personne - ça a passé comme ça - fascinante puissance de digestion du catoblépas social - immense effacement d'une classe.
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Videos de Julien Gracq (34) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Julien Gracq
À travers les différents ouvrages que l'auteur a écrit pendant et après ses voyages à travers le monde, la poésie a pris une place importante. Mais pas que ! Sylvain Tesson est venu sur le plateau de la grande librairie avec les livres ont fait de lui l'écrivain qu'il est aujourd'hui, au-delàs de ses voyages. "Ce sont les livres que je consulte tout le temps. Je les lis, je les relis et je les annote" raconte-il à François Busnel. Parmi eux, "Entretiens" de Julien Gracq, un professeur de géographie, "Sur les falaises de marbres" d'Ernst Jünger ou encore, "La Ferme africaine" de Karen Blixen. 
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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