Bleu, saignant, à point ou bien cuit ?
Je pose cette question car je suis un peu à jeun d'idées pour le plat du jour proposé à la carte d'
Iegor Gran : la viande d'homme... et celle de son chef de service en particulier.
Alix décrit dans son journal son obsession : un gueuleton andropophage.
Cette femme travaille dans un département du ministère de la Culture aux missions obscures, ce qui est un peu un euphémisme dans ce secteur. L'équipe est constituée uniquement de femmes, encadrées par un homme, manager falot qui n'a rien du mâle dominant et misogyne mais qui va payer pour l'ensemble de l'espèce.
Bon, les boss ont été inventés dans les organisations pour concentrer les critiques, incarner les injustices, les passe-droits et être à l'origine de tous les dysfonctionnements de la Terre. S'il y a bien un sujet qui fait l'unanimité autour des mugs de thé vert, c'est bien la nullité du N+1.
Comme Alix a bien conscience que son fantasme est un peu outrancier, elle tient un journal pour exorciser ses pensées trop protéinées.
De façon plus ou moins consciente, Alix va devenir une cheffe de meute et exacerber un féminisme radical parmi ses collègues. le premier acte militant sera d'imposer à tout le personnel des menus végétariens au self du lundi au vendredi. le sandwich paté-cornichon entre en clandestinité. l'absence de reconnaissance du ventre. Un comble pour les appétits carnés de la narratrice mais cette première victoire va donner des ailes aux amazones de l'open-space qui vont multiplier les rébellions contre la domination patriarcale au travail.
Alix va tomber amoureuse d'une consoeur mais cela ne va pas la ramener à de meilleurs sentiments.
Toujours aussi drôle et provocateur,
Iegor Gran m'a tenu en haleine pendant tout son récit car dès la première page, une question taraude le lecteur. Est-ce qu'elle va vraiment bouffer son chef ? On imagine le pire, on espère le meilleur (morceau) et on assiste peu à peu à une dérive vers l'absurde, ou quand l'intelligence collective devient la somme de bêtises individuelles.
Coluche parlait ainsi de l'esprit d'équipe. Il y a une équipe et un esprit. Alors, ils partagent… Dans la vie de bureau, j'appelle cela la pensée du post-it.
Si l'auteur s'amuse sur le fond à aérer nos morales et à humilier toutes les radicalités, il se permet aussi des originalités sur la forme. C'était déjà la marque de ses précédents romans. Ici, il propose des QCM existentiels et décalés en fin de chapitres qui appellent plus de sourires que des réponses.
Bonne bouffe. Dommage de ne pas pouvoir acheter ce bouquin avec des tickets restaurants.
Bartleby avec une serviette autour du cou.