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Critique de Seraphita


Iegor Gran a voulu ici s'emparer du marteau nietzschéen pour s'attaquer à la déconstruction d'une idole des temps modernes : l'« écologie » qui tend à envahir la planète dans le but de la rendre durable.

L'auteur de cet essai sait dire avec un cynisme jubilatoire et une ironie mordante combien les discours écologisants ambiants deviennent au final bien absurde. Cet extrait, issu d'une note de bas de page (l'auteur en est friand et ironise parfois à propos de ce penchant), le montre bien. Iegor Gran cite un passage de l'incontournable « 365 gestes pour sauver la planète » (Editions La Martinière, 2005). Ce livre, en forme de calendrier, offre un conseil écolo pour chaque jour de l'année. Au 7e jour, voici le conseil qui est prodigué, tel que le rapporte Iegor Gran :

« Economisez l'eau de la chasse d'eau. En plaçant une brique dans le réservoir des W.-C., vous réduirez le volume évacué à chaque utilisation et pouvez épargner jusqu'à 4000 litres d'eau par an. » [sous-note : l'ONG brésilienne SOS Forêt atlantique milite pour inciter à faire pipi sous la douche (ou dans son bain – xixi no banho) : si toute la famille s'y met, on pourrait économiser 12 litres d'eau par jour et par foyer. Il est curieux que les chiottes soient le premier endroit auquel on pense pour réduire nos gaspillages et mettre en oeuvre le fameux « on s'y met tous ». Une psychanalyse à 3 francs nous donnerait sûrement une explication.]
NBP 2., p. 42.

Voilà un humour caustique particulièrement régénérant ! L'absurdité peut venir aussi d'opportunistes marchands du temple que stigmatise l'auteur. Dans une note de bas de page (encore une), voici ce qu'il rapporte :

Le comble du commerce écolo ne se trouve pas à Versailles mais à West Footscay (Australie), siège de Caskets Direct [« Direct Cercueil »], une entreprise de services funéraires en ligne. Sur leur page de présentation, on se pince et on lit ceci :
« Pour chaque cercueil produit, nous achetons des crédits carbone chez Positive Climate [un dealer de compensation]. Nous compensons ainsi aussi bien la fabrication que le transport. Dans notre offre, nous avons un cercueil durable en pin australien, issu de plantations 100% responsables, et nous utilisons des colles et des laques respectueuses de l'environnement. Nous pensons qu'un produit réellement durable doit être fait localement, à partir de matériaux locaux. La durabilité est un processus global, et nous sommes fiers de proposer un cercueil véritablement durable à nos clients. »
NBP 1, p. 166-167.

Iegor Gran questionne également avec brio et ironie mordante les discours catastrophistes ambiants, les replaçant dans une perspective historique : de tous temps, les sectes et gourous de tout poil prédisent la fin du monde, les scientifiques, hommes politiques (et autres) s'alarment des dérèglements climatiques. Face à cette angoisse existentielle, l'auteur préfère rire, même si ce rire est mal perçu :

Nulle trace d'humour chez les prophètes. Il n'y a pas de quoi rire, madame ! On vous annonce l'Apocalypse et la disparition de l'île de Ré – et vous riez ?… N'avez-vous donc aucune stature morale ?… […] Votre rire est un crime car il empêche la mobilisation des consciences. Il dilue l'attention. Il peut contaminer les autres.
p. 52.

« L'écologie en bas de chez moi » vise donc à dénoncer un extrême : les discours écologisants ambiants qui mènent à des absurdités. Mais l'auteur a tendance, au final, à développer un discours lui-même extrême, dénué de prudence, de nuances. Au fil des pages, le ton univoque (sur le mode d'une ironie caustique) peut lasser (cette autofiction, selon les mots de l'auteur, s'étend sur 189 pages aux éditions P.O.L). Par ailleurs, l'auteur me semble avoir tendance à comparer un peu trop hâtivement des univers bien différents (celui du discours écologique, de la sphère politique, religieuse ou sectaire).

Le final me semble excellent. En une phrase, Iegor Gran sait dire, à mon sens, l'extrême d'un discours écologisant, en terme de vision globale de l'homme. Ainsi qu'il le souligne, p. 181 :

le b.a.-ba de l'humanisme, c'est de voir en chaque être humain une richesse pour le monde et non une bouche à nourrir, un tube qui produit du CO2, un ver intestinal de la nature.
p. 181.

Iegor Gran nous invite donc à rire pour contrer une nouvelle forme de prosélytisme que peut amener une nouvelle idole, au sens de Nietzsche. le rire occasionné par certains passages s'avère jubilatoire et libérateur. Mais le propos de l'auteur me semble par trop extrême, à son tour, et écrit dans un ton un peu trop univoque.
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