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Critique de Rodin_Marcel


Grandes Almudena (1960-) – "Inès et la joie" – Lattès / Livre de poche, 2012 (ISBN 978-2-253-17345-8)
– 1048 pages – traduit de l'espagnol par Serge Mestre, titre original "Inés y la alegria" publié en 2010.

Un livre consternant, au sens le plus fort du terme.

L'écriture en est poussive, répétitive, lassante : sur ces mille pages, il eut fallu en supprimer au moins un bon quart, si ce n'est plus.

La trame historique relève pour une bonne part de l'imposture, probablement délibérée de la part d'une personne qui prétend avoir fouillé les archives et interrogé des témoins survivants.
Car c'est une imposture manifeste de commettre un roman aussi long sur la Guerre d'Espagne – et tout spécialement sur les agissements du Parti Communiste Espagnol (PCE) –, en passant totalement sous silence la véritable guerre que ce parti stalinien mena contre ses "alliés" dans le camp dit "républicain", s'employant au moins autant à éliminer ses "alliés" (anarchistes, socialistes, trotskystes n'ont droit qu'à une unique mention lapidaire et méprisante, p. 775) que les franquistes, pour ne viser que l'instauration d'une "dictature du prolétariat" dont on sait aujourd'hui qu'elles furent bien aussi sinistres et mortifères que les dictatures fascisantes.
Et lorsque la population du Val d'Aren ne se "soulève" pas pour venir appuyer la "reconquête" lancée par cette "glorieuse" escouade communiste, l'auteur fournit deux explications : d'une part, le régime franquiste terrorise les gens par une répression féroce qui les réduit au rang de trouillards (quel mépris!), d'autre part le Val d'Aren est un mauvais choix puisque cette population rurale est forcément arriérée, les "prolétaires éclairés" se trouvant dans les villes (une thèse centrale de la pensée de "gauche", aujourd'hui encore l'un des fondamentaux politiques dans ces milieux de bobos urbains).
Dans son entreprise de falsification, l'auteur "oublie" la raison la plus évidente : la population espagnole a suffisamment vu les partis "républicains" s'entre-tuer tout en se livrant à divers massacres de curés ou d'opposants pour ne pas souhaiter le retour de telles exactions.

Soulignons que l'auteur elle-même, née en 1960, n'a pas connu la période historique dont elle traite.
Sa thèse sous-jacente est simplissime si ce n'est simpliste : il y eut le vilain PCE incarné par Dolorès Ibarruri (surnommée la Passionaria, objet d'un culte de la personnalité délibéré comme les partis communistes savent en imposer cf pp. 662, 928 etc) et son exécuteur des basses oeuvres Santiago Carillo (cf pp. 664-680) – deux personnages qu'elle vilipende tout au long du récit – et il y aurait eu un tout bon et gentil parti communiste, incarné par Jesus Monzon, celui-là même qui lança la pitoyable invasion du Val d'Aran en octobre 1944 à laquelle Carillo mit brutalement fin.
Certes, il est incontestable que Staline et ses séides dirigeants des divers partis communistes européens liquidèrent les tentatives de "révolution communiste" initiées par les maquisards des années 1940-1945, aussi bien en Espagne que – surtout – en Grèce (seul Tito parvint à s'imposer en Yougoslavie), mais ce point historique mérite des analyses autrement plus fouillées que cette thèse formulée à l'emporte pièce et de manière unilatérale, à la limite de la malhonnêteté.

L'auteur dresse d'ailleurs à plusieurs reprises un portrait flatteur de ce Jesus Monzon, séducteur, galant homme, élevé dans le luxe d'une famille de la grande bourgeoisie (laquelle le sauvera de la peine de mort), bien sûr très cultivé, ne vivant que dans les hôtels de luxe, mais tout plein dévoué à la révolution prolétarienne et au parti communiste (les partis communistes regorgent de tels dirigeants, dans la pure lignée de leur maître Karl Marx épousant une aristocrate qu'il cocufie avec la servante).
Ce portrait masculin reflète – en miroir – le portrait de l'héroïne féminine centrale : Inès vient elle aussi d'une riche famille prenant fait et cause pour les phalangistes qui la sauvera de la prison.

Avec cette héroïne, l'auteur se place au niveau des romans de la série "harlequin" : la toute belle héritière s'enfuit sur son beau cheval blanc, séduit le plus bel officier le soir même (pp. 376-392), capture toute seule le grand vilain traître en le saucissonnant (heureusement, il est manchot) ; lorsque les glorieux desperados rentrent en France, elle monte bien évidemment le "meilleur restaurant espagnol de France" (p. 881), tandis que son glorieux officier devient un richissime importateur de produits espagnols, et ils engendrent les plus beaux enfants qui soient, ils sont "parfaitement normaux" (p. 927), c'est-y pas beau tout ça ?

Car c'est l'autre thèse centrale de ce roman : les grands tournants de la Grande Histoire s'expliquent par les peines de coeur et démangeaisons charnelles de la petite histoire : leitmotiv maintes fois répété "L'Histoire immortelle accomplit des choses étranges en croisant la trajectoire de l'amour des corps mortels" ( cf par exemple p. 676, 677, 691 etc).
Le lecteur baigne ad nauseam dans le plus pur récit de type "Tribune de l'histoire" (Alain Decaux André Castelot) voire carrément "Angélique marquise des anges"...

Remarque plus générale : ces derniers temps, j'ai lu des romans, nouvelles et essais de Ferdinand von Schirach : cet auteur allemand, qui est le petit-fils de celui qui fut le bras droit d'Adolf Hitler dirigeant la Hitler-Jugend (jeunesse hitlérienne), se taille en Allemagne une belle renommée littéraire en assumant les thèmes et idées de la bien-pensance la plus standardisée actuellement en cours.
Le roman espagnol dont il est ici question, publié par Almudena Grandes, montre comment une toute belle héroïne issue d'une famille franquiste parvient à faire fortune en passant dans le camp communiste... La résilience à tout crin est bien l'une des principales caractéristiques de ces gens issus des "bonnes" familles de la "bonne" société : tout comme les chats, elles et ils retombent toujours sur leurs pattes.

En tout cas, ce roman est tellement mal écrit, tellement ennuyeux qu'il ne mérite que la poubelle.

PS : ma déception est d'autant plus forte que j'avais lu, il y a quelques temps, le remarquable roman de Victor del Arbol Victor del (1968-) – "Toutes les vagues de l'océan" (cf recension du 18 nov. 2019)

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