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Citations sur Le Coeur glacé, tome 1 (11)

La dernière fois où il vit son frère,  Ignacio Fernández n'avait déjà plus de désir, il avait abdiqué la condition humaine pour inaugurer une nature inférieure et différente, une existence élémentaire qui n'était pas la vie mais était organisée autour d'un unique verbe. Ce n'était plus l'homme qui avait volé un camion pour s'échapper de Madrid un mois et demi auparavant, plutôt une version squelettique et primaire de lui-même, un corps qui n'existait plus que par et pour ce dont il avait besoin, comme si le reste de ses capacités, celle de penser, celle de sentir, celle de créer,  celle de s'émouvoir, s'était dissous dans la férocité de quatre nécessités de base : mâcher et avaler un quignon de pain noir et dur quand il y en avait,  boire sans regarder, ôter les pierres d'un coin de terre pour s'asseoir ou, avec de la chance, s'allonger pour dormir, et avoir toujours sa couverture avec lui pour qu'on ne la lui vole pas.


*Au camp de concentration franquiste d’Albatera (Province d'Alicante) 
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Les derniers jours de l'été tout le monde était triste, à tel point que Raquel n'avait pas l'impression qu'ils rentraient mais plutôt qu'ils abandonnaient les lieux, s'exilaient des bougainvillées et des lauriers-roses, des orangers et des oliviers, de l'odeur de la mer et des bateaux du port, des palissades et des maisons blanchies à la chaux, des fenêtres fleuries et de l'ombre des treilles, de l'or de l'huile, de l'argent des sardines, des subtils mystères du safran et de la cannelle, de leur propre langue et de la couleur, du soleil, de la lumière, du bleu. Pour eux, rentrer n'était pas revenir à la maison, car on ne pouvait rentrer qu'en Espagne, même si personne n'osait jamais prononcer ce mot.
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Raquel avait souvent entendu cette histoire, et elle avait vu sa grand-mère heureuse, dans sa maison de Torre del Mar, la radio à fond, écoutant des chansons populaires et des rumbas en dansant seule dans la cuisine. Son sourire était semblable à celui qui illuminait le visage de grand-mère Anita quand celle-ci ouvrait le paquet qu'on lui rapportait d'Espagne tous les mois de septembre, et une demi-douzaine de boîtes d'anchois et un chapelet de piments devenaient bien plus importants qu'une demi-douzaine de boîtes d'anchois et un chapelet de piments. Comme si tout un pays, l'air, la terre, les montagnes, les arbres, les sierras, les plaines,  les villes, les villages,  les mots et les personnes, s'était installé dans les interstices d'une boîte en carton, en réservant son essence la plus pure, la meilleure, à la peau violacée des aubergines que la grand-mère caressait, année après année, comme ses petits-enfants, avec une sorte de révérence émue au bout des doigts et une allégresse tachée de nostalgie tremblante dans les paroles.
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«[...] Chaque famille a une armoire fermée, pleine à craquer de péchés mortels.»
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De quatre ans plus jeune de Julio, j'assistais en silence à ces luttes dont mon frère sortait convaincu que notre père avait été un héros [dans la division Azul, aux côtés des Allemands sur le front russe]. Un samedi soir, après avoir vu un film sur la guerre du Pacifique, j'osai poser mes propres questions.
- Et toi, pourquoi est-ce que tu étais avec les méchants, papa?
Il me regarda d'un air alarmé qui fondit en un sourire devant cet interlocuteur d'un douzaine d'années.
- Qui t'a dit que c'étaient eux, les méchants? me demanda-t-il à son tour.
- Eh bien, ils jouent les méchants dans tous les films, non? Et puis ils ont perdu. À la fin, ce sont toujours les bons qui gagnent, non?
- Non, me répondit-il. Ceux qui gagnent à la fin, ce sont les plus forts, pas forcément les bons. Ils gagnent, ça va mieux pour eux, ils ont plus d'argent et ils le dépensent pour faire des films, et comme ce sont eux qui les font, eh bien les méchants sont toujours les autres.
- Oui, mais il y a aussi les juifs, insistai-je.
- Oui, tu as raison, acquiesca-t-il. Il y a les juifs mais nous n'avons rien à voir avec ça. Et beaucoup d'Allemands aux côtés desquels nous avons combattus, non plus.
- Alors les nazis n'étaient pas mauvais?
- Si, bien sûr. Mais les autres aussi. Et pourtant, il y avait des bons des deux côtés, des gens bien. Alors il est très compliqué de savoir qui étaient vraiment les méchants et qui étaient les moins méchants, tu comprends?
- Non, répondis-je avec sincérité. Je ne crois pas.
- C'est parce que tu es tout petit, Alvaro. Tu comprendras plus tard.
Mais je ne compris pas.
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La guerre est capricieuse.
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Un homme qui aurait pu mourir souvent et qui avait préservé sa vie pour fêter la mort de son ennemi en dansant un paso doble avec sa femme sur une place du Quartier latin, bougeant à peine, par un froid terrible et devant une bande d'innocents. Ignacio Fernandez Munoz, alias l'Avocat, défenseur de Madrid, capitaine de l'Armée populaire de la République, combattant antifasciste de la Seconde guerre mondiale, rouge, espagnol, deux fois décoré pour avoir libéré la France, et propriétaire d'une peine noire, profonde et souriante, que sa petite-fille n'oublierait jamais, pas plus qu'elle n'oublierait l'après-midi où elle l'avait vu pleurer, plus seul, plus angoissé, plus vaincu que jamais, incapable de retenir plus longtemps toutes les larmes qu'il avait gardées quand il toréait la mort à ses risques et périls, pendant qu'il s'évadait des prisons, des camps, des trains, et qu'il fuyait ceux qui voulaient le tuer seulement parce que c'était lui.
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Chaque famille a une armoire fermée pleine à craquer de péchés mortels.
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J’étais devenu une sorte de cobaye, une souris de laboratoire qui devait savoir ce qui l’attend au bout du tunnel et qui ne pouvait résister à l’impulsion d’avancer dedans, comme un jeune taureau toréé ne résiste pas à la tentation de charger une cape même s’il a pu constater auparavant la feinte, la tromperie et sa propre infériorité.
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La trahison, c’est la loi, pensa-t-il alors, la trahison c’est le destin, l’horizon, la norme de notre vie, de ma vie, une fois, une autre, encore une autre. Je vis, je survis, je respire juste pour être trahi, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Espagne, par les amis et par les ennemis, de face et dans le dos, quand je dors ou quand je suis éveillé. La trahison, c’est la loi, l’unique réalité à ma portée, pensa-t-il alors.
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    Le coeur glacé

    Quelle boisson manque tant au grand père Ignacio habitant à Paris ?

    Champagne
    rhum
    vermout
    aucune

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    2 lecteurs ont répondu
    Thème : Le Coeur glacé, tome 1 de Almudena GrandesCréer un quiz sur ce livre

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