Au départ, il faut bien dire que le titre ne m'emballait pas, d'autant qu'il s'agit vraiment de la traduction du titre original (El corazon helado), je craignais un romanesque à l'eau de rose ou quelque chose de ce genre là. Et, du coup,
le coeur glacé d'
Almudena Grandes est plutôt une bonne surprise.
Alors, évidemment, il faut aimer les sagas, et les sagas conséquentes, puisqu'ici on frôle allègrement les 1500 pages (bonne idée de l'éditeur d'avoir divisé ça en deux tomes, pour des raisons pratiques évidentes, liées notamment au poids conséquent du livre, particulièrement sensible le soir à une heure tardive !). Mais ce roman-fleuve s'avale en rien de temps, la lecture est fluide, par moments haletante, et il est très difficile de lâcher cette belle fresque dès lors qu'on l'a attaquée.
Toutes les composantes de la bonne saga sont là : secrets familiaux sur plusieurs générations, foisonnement de personnages (un peu difficile à maîtriser dans les premières pages, il faut bien le dire), mais des personnages attachants, que l'on a l'impression de connaître à la fin du roman, haines recuites, vengeances, cadavres sortant du placard, trahisons, et histoires d'amour et de passion. Qui plus est, le thème est passionnant. Il ne s'agit pas tant d'un roman sur la guerre d'Espagne (il y en a de bien meilleurs !), mais d'un roman sur la mémoire de la guerre dans la société espagnole, les fantômes de la guerre civile, et sur l'Espagne franquiste, des choses que, pour le coup, on a beaucoup moins l'habitude de lire. L'auteure est géographe (!) et historienne de formation, et son travail s'appuie sur une grosse bibliographie, et le récit du Coeur glacé résonne d'une façon troublante, où rien n'est vrai mais où tout pourrait l'être.
Le roman croise les histoires compliquées de deux familles : les Carrion et les Fernandez, dont le destin s'est irrémédiablement lié durant la guerre d'Espagne, d'une façon assez mystérieuse. L'intrigue tourne autour du fascinant personnage de Julio Carrion, père de famille et époux aimant, brillant entrepreneur autodidacte, qui meurt au début du roman d'un accident cardiaque. A l'enterrement, l'un de ses fils remarque une jeune femme qui se tient à l'écart ; il découvre quelques jours plus tard que cette trentenaire, Raquel Fernandez Perea, a été la conseillère financière de son père octogénaire ... et sans doute bien plus. La vie d'Alvaro, jusque là bien tranquille (professeur d'université, père de famille et mari comblé), bascule alors.
Peu à peu, au travers d'allers et retours entre plusieurs périodes (l'ère républicaine et la guerre d'Espagne dans les années 1930, la Seconde guerre mondiale dans les années 1940, les années 1980 et la fin de la dictature, et la période principale de la narration, dans les années 2000), le fil du récit dévoile des secrets de famille troublants, qui vont transformer les personnages. C'est l'occasion d'une réflexion de grande ampleur sur l'exil et la mémoire, la reconstruction du passé, la filiation, la morale et la justice, ou comment les trois courtes années de la guerre civile ont changé pour toujours le visage de l'Espagne et marqué à jamais les Espagnols, cette mémoire étant toujours vive et douloureuse aujourd'hui encore, avec la génération des petits enfants.
Bref, c'est très très bien, approuvé et vivement recommandé ! (Madle je t'amène ça demain comme promis !)
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