– Tu es flic. Tu sais comme moi que les faits ne collent pas toujours avec la logique ni la chronologie. Malgré ces incohérences, n’y a-t-il pas de fortes chances pour que cette gamine ait été tuée par le meurtrier qui avait déjà frappé six fois selon la même technique ?
Il était parti pour le Katanga sans savoir ce qui l’attendait. Parfois, il soupçonnait son père d’avoir couvert le véritable assassin de Catherine Fontana. D’autres fois, il pensait que le Vieux était de bonne foi et qu’il avait cru, comme tout le monde, à la culpabilité de Thierry Pharabot. En vérité, il avait du mal à imaginer ce qu’avait pu être cette enquête sans équipe ni soutien technique, sans indice ni témoin.
– On va dans la même direction : profite de mon vol.
– Non. Je veux rester autonome.
Grégoire s’esclaffa :
– Tu vas pas m’accuser de corruption de fonctionnaire, j’espère !
Erwan observa son interlocuteur dont la carrure se découpait sur la piscine illuminée. Une nuée de moustiques voletaient au-dessus de l’eau turquoise, lui dessinant une sorte d’auréole vibrionnante.
– Je ne veux pas t’avoir dans les pattes, asséna-t-il. Je dois obtenir mes infos seul. Être indépendant. Objectif.
– Tu parles comme un journaliste.
– Exhumer une affaire vieille de quarante ans, c’est plutôt un boulot d’historien.
Ce voyage serait son dernier mensonge.
Si tout s’était passé comme prévu – ce qui était impossible en Afrique –, les mines à mille kilomètres au nord étaient creusées et une route défrichée jusqu’à la piste d’atterrissage à quelque vingt kilomètres des gisements. Les camions permettraient de transporter les premières tonnes de coltan jusqu’à l’avion, ce qui donnerait le coup d’envoi à une exploitation éclair. Il trafiquerait plusieurs mois avec le Rwanda puis, les poches pleines, préviendrait enfin ses partenaires : autorités katangaises, actionnaires congolais, associés européens… Alors seulement, il partagerait le pactole restant.
Grégoire empoigna un FAMAS et actionna la culasse d’un coup sec. Ce simple geste lui fit remonter la bile des souvenirs. Années de combats, de conquêtes, de violence au fond de cette Afrique à la fois chérie et détestée.
Selon lui, Grégoire avait commis une erreur : la septième victime présumée de l’Homme-Clou, Catherine Fontana, avait été tuée par quelqu’un d’autre. Mais qu’en sais-tu, nom de dieu ?
Ils voyageaient ensemble mais pas pour les mêmes raisons. Erwan voulait tisonner les cendres du passé. Remonter, dans le détail, l’enquête que Morvan lui-même avait menée quarante ans auparavant sur un tueur en série qui s’attaquait aux filles blanches de Lontano, une ville minière du Nord-Katanga.
L’avion avait été peint à la va-vite. L’odeur de kérosène empoisonnait l’air. Au pied de l’appareil, une pagaille d’hommes noirs et de ballots blancs. Des cris. Des gesticulations. Des boubous. Des cartons. Devait-on voir dans cette lutte une simple tradition locale ? Ou un stupéfiant exemple de régression sociale ?
A ÉROPORT DE LUBUMBASHI, Congo-Kinshasa. L’embarquement avait des allures de foire d’empoigne.