Un monde idéal

A la porte, Catherine, en adepte de la formation continue, explique que le serrement de main, à l’origine, permettait de vérifier qu’on n’était pas armé. C’est une marque de confiance.

Elle vérifie d’un coup d’oeil qu’elle n’oublie rien et, ignorant le détenu, se dirige vers la sortie d’un pas décidé. Le prisonnier reste impassible, mais son bras lui échappe et jaillit pour la retenir. La manche courte de son tee-shirt dévoile un tatouage étrange au-dessus de son coude : deux serpents autour d’un bâton. On dirait le caducée médical. Encore une victime de cette mode inexplicable en progression exponentielle. Marqueur d’appartenance à un groupe ou au contraire d’individualité revendiquée ?

Il a viré brutalement de l’ultragauche à la religion mais il y avait gagné une forme de sérénité, comme si sa colère était mieux canalisée. Et puis, en août 2015, il est parti, on ne s’y attendait pas. Il était majeur, la police ne pouvait pas intervenir. Par un ami, j’ai eu un contact à la DCRI. Ils disent ne l’avoir jamais repéré ni en Turquie, ni en Irak, ni en Syrie. C’est comme s’il s’était volatilisé. Aline, ma femme, fait comme si ça n’existait pas, sa façon de tenir je pense. Quant à Emilie … c’était son grand frère idolâtré. On pense que sa conversion n’est qu’une manière de rester proche de lui.

-Vous ne me serrez pas la main parce que vous êtes mal élevé ou parce que je suis une femme ? – Par respect pour les femmes, corrige-t-il, sentencieux. – Par peur des femmes, mépris pour les femmes … Catherine égrène tranquillement les hypothèses tout en récupérant son sac où elle glisse son carnet. – Vous auriez du choisir l’Arabie saoudite ou le Qatar. Mais pas la France. On est pour l’égalité des sexes ici. Vous ne sentez pas cette odeur nauséabonde ? C’est celle du mépris, le vôtre.

Si c’est les petites culottes propres ou sales qui m’intéressent, j’ai Facebook pour ça et franchement, il n’y a rien de plus répétitif et lassant que l’étalage des sentiments. Heureux ou malheureux, on s’en fiche, dans le domaine sentimental, tout le monde se ressemble. Je t’ai mis en place le même protocole de sécurité sur tes deux bécanes.

Son mépris instinctif pour ses parents la guidait sur la bonne voie, c’est maintenant établi. Sa mère, esclave de la mode, du Botox, de la jeunesse éternelle, tellement superficielle, prête à tout pour plaire à tous. Si elle pouvait se blanchir la peau, elle le ferait. Dès qu’elle parle de ses propres parents, c’est pour s’enorgueillir qu’ils ne sont, bien sûr, pas du tout religieux, rien de rétrograde, qu’elle-même a été élevée dans l’émancipation des femmes et la liberté de pensée.

Il n’imagine pas le futur sans elle, ils sont liés pour toujours et il sait qu’à eux deux ils vont accomplir l’impossible, que Dieu est grand et qu’Il sera fier d’eux.
La grandeur annoncée l’intimide, elle s’en sent indigne et elle corrige doucement :
– Inch’Allah.
Achfaï n’est pas facile tous les jours mais qui a dit qu’un maître devait être facile ? Elle interprète sans peine son silence après qu’elle a affiché sa molle incertitude plutôt que le oui qui engage.

La confiance n’est jamais si bien placée qu’en Dieu qui sait le pourquoi des événements invisible aux humains.

Il suffit d’un petit pas en arrière et c’est retour à la préhistoire ! Bienvenue dans le monde des bonobos ! Non, mais tu t’entends ! Avocate en plus ! Tu as besoin d’une sacrée reprise en main, excuse-moi. Logiquement, tu devrais porter plainte.

Un coffre-fort avec cadenas, rien d’extravagant. Apparemment, c’était pour stocker des informations qu’il ne voulait pas voir tomber entre n’importe quelles mains. Enfin, j’imagine. On a tous des secrets.