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Jean Amsler (Traducteur)Jean-Pierre Lefebvre (Préfacier, etc.)
EAN : 9782020314305
648 pages
Seuil (19/03/1997)
3.97/5   592 notes
Résumé :
Le jour de ses trois ans, Oscar Matzerath a renoncé à grandir. Témoin désinvolte des événements qui se déroulent à Dantzig de 1924 à 1950, Oscar qui, sous les apparences de l'enfance a la maturité d'un adulte, fait jaillir un univers grotesque et mystérieux, une impitoyable condition humaine ensevelie sous les décombres de l'histoire...
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sur 592 notes
Un tambour férocement felinien qui a la gravité d'une amère et triste introspection à l'échelle d'une nation…mais dont le roulement ne tient pas le rythme et les promesses.

La lecture commune que nous avons faite sur ce livre incroyable de Günter Grass m'a considérablement enrichie et apporté et, en même temps, décortiquant tous ensemble inlassablement, de façon passionnante et minutieuse, cette oeuvre, a relégué mes sensations premières, instinctives, un peu au second plan.
Personnellement, je n'ai pas besoin de tout comprendre d'un livre. J'accepte ses zones d'ombre, et si le livre m'a touchée, interpellée, ces zones floues peuvent même constituer le petit grain de sel, le petit gout de reviens-y, suffisamment excitant, pour être tentée de le relire un jour, le temps permettant d'avoir davantage de recul et de maturité sur l'oeuvre.

Le fait de passer au scalpel ce livre si connu de l'auteur allemand, Prix Nobel de littérature, m'a donné l'impression d'en sortir tous les organes, alors soupesés, passés de mains en mains, coeur, foie, intestins, inspectés telle une mécanique de précision. Je me suis retrouvée avec un ensemble de morceaux triturés, boursouflés, vidés de leur élan vital à force d'être sondés, que je n'ai pas réussi ensuite à remettre correctement en place, ne parvenant plus à les faire contenir dans l'ensemble originel. C'est seulement en laissant décanter que j'ai réussi bon an mal an à recoudre l'oeuvre qui contient à présent une large cicatrice que je caresse de temps à autre pour la lisser. Quelle est la peau première de ce livre pour moi ? L'ai-je aimé ? Pas aimé ? Qu'est-ce que j'en retiens, quelles sont les premières images qui apparaissent lorsque je pense au Tambour ? Les premières sensations ?

Tout d'abord, celle d'une idée de base fabuleuse qui m'avait tant séduite en visionnant l'excellent film, Palme d'or de Cannes en 1979 : un enfant de trois ans, Oscar, décide de s'arrêter de grandir, de stopper sa croissance en maquillant ses intentions en accident le jour même de ses trois ans. Il ne désire alors que taper inlassablement sur son tambour qui devient comme un appendice accroché à lui. Il est par ailleurs doté d'un cri vitricide dès que quelqu'un tente de lui retirer son instrument.
L'interprétation est multiple, riche, mouvante. J'y vois notamment le refus de l'univers des adultes et de leurs bassesses, de leur tromperie dans ce monde où même le noyau familial est une mascarade, où l'école est un moule source officielle de bourrage de crâne, où la population dans sa grande majorité adhère au fascisme ; un attachement viscéral à l'innocence pour cet enfant qui ne sait pas vraiment qui est son père, père putatif et amant de sa mère se côtoyant dans une sorte de ménage à trois. L'instrument est un moyen de communication en lieu et place des mots, si faibles pour décrire la réalité, tambour cependant qui disperse et trouble l'entourage et le cri, animal, sauvage, symbole de détermination et de puissance, de révolte, de colère aussi peut-être tant Günter Grass semble être en colère contre l'époque, contre lui-même. Un cri exutoire qui brise. Qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler, par résonance, la Nuit de Cristal, nuit du pogrom anti-juin du 9 novembre 1938 ;
D'enfant, le personnage deviendra un nain, un gnome, doté d'une bosse, montrant l'impossibilité de rester innocent, les facettes sombres de ce personnage, sans doute à l'image de Günter Grass, ressortent comme ils peuvent, déformant le petit être, le transformant en monstre, atteint de plus d'un délire mystique se prenant pour Jésus. Transformations physiques et délires psychiques mettant à nu l'auteur même. Peut-être. J'aime à le penser, je le ressens tout du moins ainsi. Son cri devient peu à peu un rire hargneux, celui d'un gnome lâche, méprisant les hommes, à la personnalité repoussante. Cet aspect de la psychologie du personnage, trouble et confuse, est fascinant si on établit le parallèle entre Oscar et Günter. Oscar est-il une mise à nu de l'auteur ? Dans toute sa volonté, vaine, de rechercher son innocence en cette période de l'histoire et de n'y trouver que la petitesse ? L'ambivalence de Oscar n'est-elle pas le reflet de cette de G.Grass, qui se voudrait innocent et rebelle, qui n'est que lâche et égoïste ?

Si on veut être plus précis et pragmatique concernant l'histoire, le petit Oscar Matzerath est né en 1924, dans une famille d'épiciers en produits exotiques d'un faubourg de Dantzig. Quand il se met à rédiger ses souvenirs, il a trente ans. Depuis 1945, il a légèrement grandi et mesure 1,21 m. Mais, en contrepartie, il se trouve pourvu de cette bosse dans le dos. Après avoir connu le sort des réfugiés de l'Est, il s'est installé à Dusseldorf. Soupçonné d'avoir participé à un assassinat, il a finalement été transféré dans un asile psychiatrique. C'est là, enfermé, qu'il rédige ses mémoires qui racontent, du haut de sa taille d'enfant de trois ans, sa voix de stentor et son tambour, ses aventures, parfois comiques, parfois abjectes, crapuleuses, démoniaques, sensuelles, épiques.

« Ce dont je ne venais pas à bout avec mon tambour, je le tuais par ma voix. »

Une idée de base très originale donc. A la fois allégorique et symbolique. de l'auteur, du peuple allemand tout entier qui fut en grande majorité nazi. Associée, qui plus est, à une puissance évocatrice foudroyante. le livre contient une foultitude de scènes burlesques, d'images proprement inoubliables et fascinantes, très sensorielles pour certaines, écoeurantes pour d'autres. Prenons en trois. Parmi plein d'autres.
Je pense tout d'abord à la mère d'Oscar, Agnès, qui n'a jamais réussi à choisir entre l'amant attentionné et le bourgeois, entre le Polonais bienveillant et l'Allemand nourricier, entre l'idéalisme et le pragmatisme. Ses hésitations vont la mener au suicide par la nourriture, se servant dans l'échoppe familiale en sardine à l'huile qu'elle englouti avec les doigts, en harengs qu'elle mange crus, elle qui déteste le poisson, dégout qui avait été porté à son comble dans la scène proprement dégoutante des anguilles dans la charogne d'une tête de cheval…
Autre scène d'une sensualité troublante, celle de la poudre effervescente que le petit Oscar dépose dans le nombril d'une jeune femme, Maria, lapant ensuite le petit trou, scène troublante d'un érotisme sombre et gênant, où l'on comprend à demi-mot qu'acte charnel il y eu. Ou encore la scène des furoncles pressés sur le crâne d'un fabricant de pierres tombales, autant de cauchemars éveillés qui sont comme des coups de jus fait au lecteur pour le marquer et l'impressionner.

Et puis, ce livre, corné, annoté de toute part, aux multiples passages soulignés, surlignés, oui, il suffise que je l'ouvre au hasard pour tomber par exemple sur cette description, ce genre de description de personnages dont je raffole tant (je l'ai vraiment ouvert au hasard et je vous donne le passage sur lequel je viens de tomber, une description de la fameuse Maria) :
« de même que la tête de Maria, que l'on pouvait prendre dans une seule main, présentait des joues pleines, des pommettes saillantes, des yeux généreusement découpés de chaque côté du nez installé dans son creux, d'une extrême discrétion, son corps de mensurations plus petites que moyennes était pourvu d'épaules un peu trop larges de seins rebondis qui commençaient déjà sous les bras et d'un postérieur opulent correspondant au bassin, lequel, à son tour, était porté par des jambes trop minces, mais robustes qui, au-dessous de la toison pubienne, laissaient passer le regard.
Peut-être Maria avait-elle à cette époque les jambes légèrement cagneuses. Il me semblait aussi que ses mains toujours rougies, en contraste avec sa silhouette aux proportions adultes et définitives, avaient quelque chose d'enfantin avec leurs doigts boudinés. Elle n'a pu jusqu'ici tout à fait renier ces battoirs. Ses pieds, en revanche, qui se fatiguaient à l'époque dans de gros souliers de marche, un peu plus tard dans les petits escarpins de ma pauvre maman, d'une élégance démodée et qui ne lui allaient pas davantage, ont peu à peu perdu malgré les chaussures malsaines de deuxième main leur rougeur et leur bizarrerie enfantines et se sont adaptés à des modèles récents d'origine ouest-allemande ou même italienne ».


Scénario original aux multiples interprétations donc, images saisissantes, descriptions étonnantes, je retiens également bien entendu cette tranche d'histoire que nous offre l'auteur. Par truchement autobiographique, le tambour appréhende, avec le regard, les sensations de l'auteur, donc selon un point de vue éminemment singulier et personnel, unique, un demi-siècle d'histoire allemande, de 1900 à 1950. Singulier dans le sens où il nous montre la montée du fascisme en s'appuyant sur une vision d'enfant, et donc teintée d'absurde et de grotesque, voire d'humour, mais noir, très noir, l'humour. du haut de ses 94 centimètres, il observe, caché sous les tables, les tribunes, il est témoin privilégié du désordre du monde, ce d'autant plus qu'on ne fait pas attention à un enfant si jeune. Notons que l'art du camouflage semble être une caractéristique familiale, l'existence même d'Oscar tient au fait que son grand-père, fuyard, se soit caché un jour sous les multiples jupes de sa grand-mère…Ce mélange de la grande Histoire et des tribulations picaresques de la famille est plaisant et donne du rythme et de la coloration au récit.


La structure du livre m'a grandement interpellée également, même si elle est de facture classique car chronologique, mais pourtant ces trois parties m'ont décontenancée et c'est bien là que le bât blesse. Trois parties, trois intérêts totalement différents me concernant. Un descrendo si regrettable.
La première relate l'enfance d'Oskar et la montée du fascisme dans l'entre-deux Guerres jusqu'au pogrom antisémite de novembre 1938, et c'est la partie qui m'a éblouie. A la fin de la lecture de cette partie, je voyais un chef d'oeuvre entre mes mains, un cinq étoiles, haut la main.
La seconde partie décrit la guerre et se termine avec l'entrée des troupes soviétiques à Dantzig en 1945. Si elle est riche, passionnante, avec certaines scènes incroyables (je pense notamment à celle où l'on voit Oscar et sa famille dans un train de la mort), elle comporte quelques longueurs qui déjà ont quelque peu douché mon enthousiasme ressenti avec tant de force lors de la première partie.
Enfin la troisième partie, portant sur l'Allemagne occidentale d'après-guerre et des tentatives d'intégration sociale d'Oscar, m'a décontenancée, la lecture fut une véritable lutte, je m'endormais littéralement dessus, n'arrivant pas à capter mon attention, les images percutantes des deux premières parties n'étant quasiment plus présentes, je n'avais rien pour me raccrocher. C'est bien cette troisième partie qui abaisse considérablement la note que j'attribue à ce livre par ailleurs incroyable.
Oui, le tambour est un monument et mon ressenti s'est hissé à cette hauteur totalement dans le premier livre, un peu moins dans le second livre et pas du tout dans le troisième à côté de laquelle je suis passée.


Quant à la plume, mis à part les longueurs évoquées, elle est d'une belle complexité, alimentée par une alternance entre le « Je » et le « Il » montrant combien le narrateur n'assume pas tout à fait ce qu'il écrit et mettant en valeur toute la complexité d'Oscar. Günter Grass raconte « d'une manière réaliste des choses fantastiques », au moyen d'une plume inventive, torrentielle, crépitant d'images insolites, libre mais qui s'essouffle, mille fois hélas, au fil du roman.

Livre foisonnant, aux interprétations multiples, doté d'une puissance évocatrice incroyable, j'ai vraiment regretté cette troisième partie qui n'apporte pas grand-chose, selon moi, à l'ensemble et qui est venu ternir considérablement mon plaisir de lecture.
C'est le livre des tiraillements d'un être, d'un vociférateur pessimiste, égoïste, dénoué d'humanité, à l'image sans doute des tiraillements de l'auteur, et au-delà des peuples parfois, comme le peuple allemand lors de la guerre et du massacre juif, voire de l'espèce humaine. Nous pourrions aussi, mais mon retour serait encore plus long qu'il ne l'est déjà, faire le focus sur l'analyse psychanalytique qui transparait dans le livre, ne serait-ce par exemple dans la volonté d'Oscar de tuer le père dans la scène si mémorable de l'attaque de la Poste de Dantzig...Cet aspect est passionnant.
Revenir aux sensations premières à froid me permet d'avoir envie de retourner à cette oeuvre qui m'a tant troublée lors de cette lecture commune. La cicatrice, déjà, s'estompe peu à peu, la décantation laissant place essentiellement à ce que j'ai aimé et qui m'a fait grande impression malgré ma déception croissante.
Oui, me concernant, les sensations doivent primer sur l'analyse lors d'une première lecture…Alors, qui est partant alors pour une seconde lecture dans quelque temps, hein, Sonia, Sandrine, Anna, Marie-Caroline, Anne-Sophie, Bernard, Delphine, Jonathan, Patrick, Isabelle ??

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« Je relisais à l'instant le dernier paragraphe. Bien que je n'en sois pas autrement satisfait, ce n'en est pas moins la plume d'Oscar ; en effet elle a réussi à exagérer, sinon à mentir, avec concision et cohérence, à présenter, des choses, un rapport volontairement concis et cohérent, de temps à autre. »
C'est Oscar, le narrateur, qui parle, et rien que l'alternance du Je et du Il d'un paragraphe à l'autre, d'une phrase à l'autre ou, parfois, comme c'est le cas ici, au sein d'une même phrase, a de quoi dérouter. Mais si j'ai placé cet extrait, dans lequel Oscar parle de la plume d'Oscar, en ouverture de mon billet, c'est parce qu'il me paraît assez bien s'appliquer à la plume de Günter Grass telle que je l'ai perçue. Une plume qui exagère, qui n'hésite pas à mentir, à travestir la réalité, à se cacher, et qui ne se soucie guère d'être concise et cohérente. Je n'attends pas d'un romancier qu'il soit particulièrement concis. Parmi mes auteurs de prédilection figurent Proust, Céline, Simon, qui ne sont pas franchement réputés pour leur concision, mais, et je remercie au passage la plume de Grass pour m'avoir éclairée, il y a une chose à laquelle je suis manifestement très attachée : la cohérence. Or, l'auteur se fiche comme d'une guigne de nous présenter un récit cohérent, un récit qui ait du sens, ce sens fût-il de nous dire que rien n'a de sens. Il nous noie à plaisir sous un déluge verbal le plus souvent indigeste, aligne des scènes dont la puissance d'évocation est très fluctuante, ne cherche nullement à bâtir une intrigue, multipliant les ellipses, les allusions furtives, les associations d'images les plus incongrues, aboutissant à un magma opaque duquel je me suis littéralement épuisée à extraire du sens, réduite, tel en enquêteur aveugle et fourbu à glaner deux ou trois indices ici ou là qui, mis bout à bout ne m'ont menée nulle part, me laissant pour finir avec un monceau de questions sans réponses.

Je suis donc incapable de vous dire ce que l'auteur allemand, récipiendaire du prix Nobel de littérature en 1999 « pour avoir dépeint le visage oublié de l'Histoire dans des fables d'une gaieté noire », a voulu exprimer dans ce récit se déployant sur près de cinquante ans, de l'aube du XXème siècle aux immédiates années d'après-guerre. Je suis bien en peine de vous parler d'Oscar, né en 1924 à Dantzig sous deux ampoules de soixante watts battues par les ailes d'un papillon de nuit, bien en peine de vous dire pourquoi il se jette volontairement dans l'escalier de la cave à l'âge de trois ans afin de s'arrêter de grandir.
« Là je dis, là je me décidai, là je résolus de n'être en aucun cas politicien comme Adolf et encore bien moins négociant en produits exotiques, mais de mettre un point c'est tout, de rester comme ça – et je restai comme ça, je m'en tins à cette taille, à cet équipement, de nombreuses années durant. »
Là, l'auteur semble nous dire que placé devant l'alternative de devenir Adolf Hitler ou de reprendre le commerce familial, le petit Oscar préfère s'arrêter de grandir. C'est une interprétation possible, même si Grass en suggère d'autres, comme le fait que sa mère et son beau-père n'ayant pas le don de le comprendre, il « perdit le goût de la vie avant même que cette vie commença ». On peut aussi avancer une explication psychanalytique : le petit Oscar, par ce geste suicidaire, récupère l'amour et l'attention de sa mère tout en rejetant la faute sur son beau-père, accusé de n'avoir pas refermé la trappe d'accès à la cave.
Pour corser l'affaire, ce « arrêter de grandir » revêt des significations différentes au fil du livre : Oscar reste-t-il un enfant qui refuse de grandir, autrement dit qui refuse de devenir adulte? Ou bien Oscar devient-il adulte dans un corps d'enfant? Ou bien encore Oscar est-il un nain, un gnome, un nabot ?
Ce qui est sûr, c'est qu'Oscar se met à jouer du tambour après sa chute, après sa décision d'arrêter de grandir. Mais quant à vous dire ce que représente cet instrument sur lequel il frappe sans discontinuer… Son tambour est-il sa voix, sa plume? Représente-t-il l'enfance, l'innocence? Est-il un rempart contre le monde des adultes, contre ce monde étriqué, petit-bourgeois, banalement antisémite dans lequel on va, en famille, voir brûler les synagogues comme on se rendrait au cirque ou au Guignol ? le tambour d'Oscar est-il un antidote au mal et à la violence ordinaires qui sournoisement s'emparent de tout un peuple à l'aube des années trente ?
Il y a également une chose très troublante (s'il n'y en avait qu'une!), c'est qu'Oscar, lorsqu'il est empêché de frapper son satané tambour, se met aussitôt à pousser un cri strident qui a le pouvoir de briser le verre, un cri « vitricide », dont je n'ai cessé tout au long du récit de me demander s'il figurait une allusion à la Nuit de cristal, question qui restera, hélas, comme les autres, définitivement sans réponse.

Plus troublante encore est pour moi la dimension messianique d'Oscar, qui apparaît très tôt dans le roman :
« Cependant – et ici Oscar doit admettre qu'il s'est développé – quelque chose grandissait, et pas toujours pour mon bien, acquérait pour finir une grandeur messianique. »
L'idée d'un Oscar appelé à incarner un nouveau Jésus revient à plusieurs reprises dans le récit. Ainsi, alors qu'enfant, accompagnant sa mère à l'église du Sacré-Coeur, il a l'idée de passer la sangle de son tambour autour du cou d'un Jésus de plâtre, attendant en vain que celui-ci se mette à jouer :
« (…) jouera-t-il, ou bien ne sait-il pas, ou bien n'a-t-il pas le droit ? Jouera, ou bien c'est pas un vrai Jésus. C'est Oscar le vrai Jésus plutôt que celui-là, si celui-là ne joue pas du tambour. »
Ou lorsqu'au sortir de l'adolescence, devenu le chef charismatique d'une bande de délinquants, les Tanneurs, qui se livrent à des actes de violence (allusion à l'incorporation de Grass dans les Waffen SS à l'âge de 16 ans?), il se fait appeler Jésus et s'adonne à une sorte de rite initiatique et blasphématoire dans l'église du Sacré-Coeur :
« Jésus leva l'index comme une institutrice primaire et me donna une mission : « Tu es Oscar, le roc, et sur ce roc je bâtirai mon Église. Sois mon successeur !»
Oscar est-il LE rédempteur, sorte de version parodique et grimaçante de Jésus Christ, celui qui rachète les fautes du peuple allemand? Possible… sauf que l'auteur compare à plusieurs reprises Oscar à Judas, insistant (bien que le terme « insister » chez Grass, qui procède de façon allusive et cryptée, soit très abusif) sur sa faute :
« Était-ce à dire que les myopes y voient plus clair ; que Weluhn, que j'appelle le plus souvent le pauvre Victor, avait lu mes gestes en silhouette noire sur fond blanc, discerné mon acte de Judas, et emporté avec lui dans sa fuite et dans le monde entier le secret et la faute d'Oscar ? »

Il y a aussi les transformations du corps d'Oscar, là encore très troublantes. L'enfant innocent qui s'est arrêté de grandir se mue après la guerre en un homme au corps nanifié, tordu, déformé comme un bonsaï, enlaidi par une bosse qui, là encore, semble devoir revêtir une signification particulière bien qu'à peine suggérée :
« Il avait eu une femme dont la jambe de bois, la gauche je crois, pouvait se détacher ; c'était un peu comme ma bosse, bien qu'on ne pût détacher mon compteur à gaz. »
L'analogie entre la bosse d'Oscar et son compteur à gaz renvoie à n'en pas douter aux chambres à gaz, d'autant que plus tôt dans le roman Grass compare Hitler à l'employé du gaz — « Tout un peuple crédule croyait au Père Noël. Mais le Père Noël était en réalité l'employé du gaz ».
La bosse d'Oscar, excroissance monstrueuse visible à l'oeil nu, symbolise-t-elle la faute de tout un peuple? La faute de Grass seul? Renvoie-t-elle à la question plus vaste du péché originel et de l'expiation ?
« Alors je lui conseillai de voir en moi la faute et en Ulla l'expiation ; ma faute était visible à l'oeil nu ; l'expiation pouvait être costumée en infirmière. »

Je sors de cette lecture avec un profond sentiment d'insatisfaction. Non, insatisfaction est trop faible pour qualifier ce que je ressens. Frustration me semble plus juste. Je ne crois pas avoir jamais lu un texte qui m'ait fait un tel effet. Je l'aurais d'ailleurs abandonné s'il n'y avait eu l'émulation de notre petit groupe. Aussi je tiens à remercier Patrick, à l'initiative de cette lecture commune, Sonia, dont l'entêtement à comprendre un récit qui se dérobe à l'interprétation m'a aiguillonnée tout du long, les consultantes Isa et Mouche, notre germaniste, les fidèles compagnons de lecture Anne-So, Bernard, Chrystèle, Sandrine, ainsi que Marie-Caro et Jonathan.
Nos discussions à bâtons rompus pendant quatre semaines ont conféré à cette lecture languissante un tonus qui m'a permis de tenir, la sauvant ainsi, du moins en ce qui me concerne, du complet naufrage.
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« Quand on garde dans le formol le doigt de sa chérie qui vient d'être assassinée, avec une bague enfilée dessus, on ne doit pas être étonné de se retrouver condamné par la justice et enfermé dans un hôpital psychiatrique surtout si on s'appelle Oscar Matzerath.»

C'est à partir du récit autobiographique d'un nain que le Tambour nous déroule un demi-siècle d'histoire allemande. Son auteur Günter Grass, nous brosse l'histoire d'Oscar qui ayant décidé de ne plus grandir à l'âge de trois ans, sera le témoin malgré lui d'une société qui verra naître le nazisme et son corollaire la deuxième guerre mondiale. Cette vision infantile va permettre à l'auteur d'aborder tous les sujets d'histoire, de philosophie, de religion et de société avec beaucoup d'ironie, de sarcasme voire d'être blasphématoire pour nos yeux d'adultes. La taille du narrateur (exploité dans le film de Volker Schlöndorff sorti en 1979) l'aidera à se glisser sous les lits, les tables, le podium des tribunes et d'être ainsi aux premières loges du désordre civilisationnel mondial.

En s'appuyant sur une chronologie linéaire, le roman de 650 pages avec ses 46 chapitres regroupés en trois livres nous embarque dans une fresque historique et familiale qui débute des années 1900 pour finir à celles de 1950 avec la division de l'Allemagne en deux blocs séparés par le fameux mur dit de la honte. Avec beaucoup d'humour noir et d'ironie sans oublier une bonne part de sacrilège, Günter Grass aborde sans fioriture la montée du nazisme dans son pays avec une part de culpabilité autant qu'une volonté d'expiation collective qui sera nécessaire au grand nettoyage des consciences de l'après-guerre. Sorti en 1960, traduit par Jean Amsler, professeur agrégé d'allemand et spécialiste de l'auteur, le roman possède un style et une écriture qui lui sont propres. En effet, les mots se bousculent et se télescopent au point de noyer le lecteur. Si les personnages sont nombreux, ils apparaissent dans chaque chapitre comme des gens simples, de la vie de tous les jours. Avec Günter Grass, on est plus proche du roman picaresque que des envolées lyriques du romantisme classique allemand. (Eh oui Oscar/Günter n'est pas Goethe qui veut).

Chez Oscar, il existe une dualité constante entre réalité et fiction. L'auteur mélange volontairement ces deux aspects dans l'univers de son personnage principal. Cette antinomie est accentuée dans l'écriture du roman par un Oscar qui utilise à fois le je / il pour s'exprimer ou se désigner. Cela donne l'impression d'assister à une histoire à la fois subjective et objective. Oscar devient l'acteur et l'observateur de sa propre vie, de sa propre expérience. Il peut ainsi prendre de la hauteur sur ses décisions et ses actes. le vrai se mêle au faux en devenant une sorte de thérapie nécessaire à cette expiation qu'il recherche contre ses propres dérives comme celles du peuple allemand avec le nazisme. Ce besoin de repentance ira jusqu' à confier sa plume à son infirmier Bruno ou à son meilleur ami Vintlar afin de mieux préserver une certaine objectivité au risque de brouiller les cartes de la réalité.

La famille a aussi une place importante dans le roman de Günter Grass. C'est son refus de grandir et sa volonté de rester dans le noyau familial qui donne à Oscar cet amour immodéré et malsain. Il faut se rendre à l'évidence, Oscar en mettant sa « pauvre » maman Agnès sur un véritable piédestal, donne au texte sa forme de roman familial. le tambour qu'elle lui offre à ses 3 ans, sera comme un prolongement de cette filiation maternelle qu'elle est d'ailleurs la seule à comprendre et à reproduire à l'infini par des achats compulsifs et répétés. Ce tambour sera pour longtemps, son seul moyen de communication avec le monde extérieur car chez Oscar la voix n'est qu'un cri, un cri « vitricide». Si les figures maternelles sont importantes dans le roman de Günter, les représentations paternelles (le père naturel comme le putatif) sont caricaturées et même vouées à la destruction. Comme un Oedipe moderne qu'il est, il n'aura de cesse de vouloir leur mort.

Chez Günter, l'absolution du peuple allemand qui doit permettre la renaissance d'une Allemagne moderne et démocratique, passe par la grande histoire collective (Ein Reich) et la petite histoire familiale (Ein Volk). Mais pour permettre une rédemption salutaire et définitive, une troisième voie était nécessaire : celle de la Religion (Ein Führer). C'est encore par l'intermédiaire d'Oscar que va s'inscrire cette approche divine et messianique. Oscar en s'identifiant au Christ, va usurper son rôle et devenir un faux Jésus. Il s'appuiera sur une bande de voyous devenus les apôtres embrigadés d'une fausse religion. En jouant avec la symbolique chrétienne, Oscar/Günter va utiliser celle-ci pour réaliser et assouvir ses propres désirs de destruction et de mort. L'amalgame est vite fait avec le diable en chemise brume. Cet homme quelconque, petit bourgeois, transfiguré par sa ténébreuse mission qui deviendra Adolf Hitler : le rêve de 60 millions d'hommes avant de devenir leur pire cauchemar.

Grâce au Tambour, on apprend que l'important est de se remémorer les détails les plus insignifiants de sa vie, de son passé car c'est uniquement grâce à ces souvenir qu'on arrive à oublier son passé, à le purger de ses démons, à le maîtriser pour l'empêcher enfin d'interférer dans son présent. Comme le Phoenix ressuscitant de ses cendres, Günter nous invite à vaincre sa fameuse Sorcière noire comme les allemands ont vaincu le nazisme. Cette analyse psychiatrique reste au goût du jour et fait du Tambour un roman d'actualité. En ces débuts agités du XXI siècle, il demeure une lecture qui reste avant-gardiste et pleine de promesses pour l'avenir. C'est une LC qui a permis de nous poser beaucoup de questions et pour laquelle je remercie les Indy, Sandrine, AnnaC, MarieC, AnneSo, Berni, Delphine, Jonathan, Chrystèle et Isa de m'avoir accompagné tambour battant.

Le livre de Günter Grass restera pour moi un « Jumanji » de la littérature car même refermé et déposé sur son étagère, ce pavé continue, si on tend bien l'oreille, à faire entendre encore et encore, les roulements incessants de l'instrument musical d'Oscar pour nous rappeler constamment que rien n'est encore acquis pour nos jeunes démocraties modernes…

« Que dire encore : Né sous lampes électriques, croissance délibérément interrompue âge de trois ans, reçu cadeau tambour, massacré verre, flairé vanille, toussé dans églises, donné sandwiches Lucie, observé fourmis, décidé grandir, enseveli tambour, émigré vers Ouest, perdu Est, appris métier marbrier, posé Académie, retrouvé tambour et inspecté béton, gagné grosse galette et gardé le doigt, donné doigt et pris fuite, traqué à tort, escalator, arrestation, condamnation, internement, puis acquittement ; or voici que je fête mon trentième anniversaire et j'ai toujours peur de la Sorcière Noire. – Amen. »
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Qui ne connait ce titre, sinon le livre au moins le film qui en a été tiré. Un film dont j'avais gardé un vague souvenir, mais assez marquant pour me donner envie de découvrir le livre. Quand Patounet (Patlancien) a proposé une lecture commune, j'ai sauté sur l'occasion. Bien m'en a pris, C'est LE LIVRE à lire en lecture commune, tellement il est compliqué de comprendre ce que l'auteur a cherché à nous transmettre par ce livre, que voulait-il partager avec son lecteur si tant est qu'il ait désiré partager quelque chose. Toutes ces questions ont généré de nombreux échanges (imaginez, plus de 1200 messages échangés dans le groupe) : beaucoup d'opinions, de suggestions qui se sont confrontées pour mon bonheur et ont grandement enrichi cette lecture.

Oscar, tout jeune, décide d'arrêter de grandir. Cela arrivera pour l'anniversaire de ses trois ans, anniversaire qui sera pour lui l'occasion de recevoir son premier tambour, premier d'une longue série ; je croyais me souvenir, qu'il ne voulait pas grandir à cause de la montée du nazisme, mais non, c'est parce qu'il ne veut pas prendre la suite de son père et tenir le magasin de celui-ci, rejoindre le monde des adultes.
L'auteur nous raconte la vie de la famille d'Oscar, sa grand-mère, sa mère puis Oscar lui-même ainsi que les nombreux personnages qui apparaitront dans son entourage Il parcourt ainsi l'histoire de l'Allemagne pendant la montée du nazisme, la guerre et après, vue et racontée par Oscar, avec toutes les équivoques, les non-dits, les ambivalences, les obscurités induites par l'état d'Oscar, enfant puis homme dans un corps qui reste de la taille de celui d'un enfant.
En alternance avec des passages dans une clinique pour fous, où Oscar est enfermé alors qu'il s'apprête à fêter ses trente ans. Il a toujours son tambour qu'il frappe pour réveiller ses souvenirs et continuer à nous raconter.

Le Tambour est un roman très dense, les chapitres se suivent sans saut de page, il y a très peu de dialogues pour aérer le texte, et si certains épisodes, drôles, vivants, m'ont interpelée, ravie, d'autres m'ont paru très longs. Notamment le livre III qui se passe après la guerre.

L'auteur dans tout le livre raconte par la voix d'Oscar, Il alterne entre le discours à la première personne, Oscar parle en disant je, et à d'autres moments il dit Oscar. Il ne m'a pas été facile de comprendre cette distinction, même si la plupart du temps, elle m'a paru naturelle, et elle aura donné lieu à beaucoup de discussions dans notre groupe.
Les chapitres se suivent, l'histoire fait enfin son apparition à la fin du livre I, et le livre m'a pour la première fois émue, dans son évocation de la nuit de cristal et de la violence et de la tyrannie du nazisme.

Oscar est un personnage difficile à cerner, il garde sa petite taille, mais il vieillit quand même, et son comportement par moments reflète l'âge qu'il a indépendamment de sa taille, parfois il réagit comme un enfant. Là encore, je n'ai pas bien compris ce qu'il signifie pour l'auteur ce personnage qui ne grandit pas. C'est très troublant. Un personnage en plus fortement autocentré, le monde peut s'écrouler autour de lui, ce qui lui importe c'est lui et son tambour.

Il est difficile d'écrire sur ce livre tellement singulier. Il me reste certains passages en tête, des images très fortes par moments. C'est une oeuvre dense, fulgurante par moments, ennuyeuse à d'autres, levant plein de questions, ne donnant pas les réponses. Des personnages auxquels je ne me suis pas attachée, les considérant avec étonnement, incrédulité, sourire parfois mais pas souvent ...

Ce que je retiendrai avant tout de cette lecture ce sont les échanges auxquels elle a donné lieu. Merci à tous mes compagnons sur cette LC : Anna (@AnnaCan), Berni (@berni_29), Chrystèle (@LaHordeDuContrevent), Isa (@Isacom), Jonathan (@JonathanLecuyer), Marie-Caro (@mcd30), Sandrine (@HundredDreams), Sonia (@indimoon) et Delphine (@Mouche307) qui s'est munie de la VO pour nous en partager des extraits.
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J'ai lu « le tambour » de l'écrivain allemand Günter Grass, prix Nobel de littérature, grâce à l'invitation de Patrick (@Palancien) à le rejoindre dans une lecture commune. Sans cela, il est vraisemblable que je n'aurais jamais lu cet énorme pavé toute seule et si par hasard, je l'avais ouvert, il est vraisemblable que j'aurais eu du mal à aller jusqu'au bout sans le dynamisme et la motivation du groupe. Alors merci à tous pour cette lecture riche de la multiplicité de nos regards.

Ce roman est-il si mauvais à ce point ?
Et bien non, justement, et c'est cela qui est étrange, voire paradoxal. le nom de lecture commune n'a jamais aussi bien porté son nom. Après avoir franchi la barre des mille messages tant cette lecture est singulière et particulièrement riche de réflexions et de questionnements, il reste encore beaucoup d'interrogations après avoir refermé le livre.
Par certains côtés, j'ai trouvé ce roman excessivement intéressant, instructif, prenant, mais par d'autres, je l'ai trouvé long et ennuyeux, impénétrable par les multiples interprétations et même parfois inaccessible par manque personnel de références ou par la volonté de l'auteur de rester évasif.

*
A ce propos, alors que Günter Grass s'engage volontairement dans la Waffen-SS à l'âge de 17 ans, Oscar, quant à lui, lui refuse de grandir et de voir le monde extérieur tel qu'il évolue et devient. Troublant.

Le jour de ses trois ans, Oscar décide d'arrêter de grandir pour ne pas ressembler aux adultes. Au rythme du tambour en fer-blanc, il égrène les événements de sa vie pris dans le mouvement de l'histoire allemande.
Ainsi, il raconte les origines de sa famille et retrace, sur environ un demi-siècle d'histoire, une époque effroyable : l'entre-deux-guerres, l'arrivée au pouvoir du régime nazi, la nuit de cristal, les exactions envers les juifs, la défense de la poste polonaise, le seconde guerre mondiale jusqu'à l'entrée des troupes soviétiques à Dantzig, l'Allemagne d'après-guerre jusqu'aux années 50.

De ces pages, me resteront la force évocatrice de certaines images accompagnées d'odeurs entêtantes, persistantes, agressives, qui rendent la lecture immersive : la rencontre insolite de ses grands-parents maternels dans un champ de pommes de terre sous une pluie froide d'octobre ; un papillon de nuit, témoin de l'étrange naissance d'Oscar sous l'éclairage de deux ampoules de soixante watts ; son cri vitricide le premier jour de la rentrée des classes ; la pêche à l'anguille un vendredi Saint ; l'histoire de Niobée, une figure de proue ensorcelée ; l'érotisme déconcertant de la poudre effervescente de son premier amour.

*
Qui est Oscar ?
Je me suis posée la question tout du long de ces presque 800 pages. Jamais un personnage n'aura été dessiné de manière aussi flou et imprécise. Pourtant tout le récit tourne autour de lui, mais l'auteur l'a voulu ainsi, c'est indéniable.
Oscar paraît vouloir se livrer mais en même temps, se cachant derrière les non-dits, des imprécisions qui entretiennent sans cesse le doute et la perplexité. Ce voile, pour moi, ne s'est jamais levé et je suis restée rivée à ce personnage étrange, peu sympathique et malaisant qui se défile comme une anguille quant à sa vie et à cette période sombre de l'histoire allemande.

« … qui parmi les adultes pouvait à cette époque comprendre le mystère d'Oscar, de ses trois ans à perpétuité, de son tambour de fer ? »

Est-il un enfant, un adolescent, un nain, un bossu adulte ?
Est-il un enfant avec des réflexions d'adulte ou un adulte avec un regard d'enfant ?
Est-il resté enfant toute sa vie ou est-il né déjà adulte, porteur d'un regard froid, obsessionnel et distant sur son monde ?
Est-il un simple observateur qui ne prend pas parti, qui ne juge pas ? Est-il un homme qui ne vit que pour lui et se moque du sort d'autrui ? Ou est-il un déséquilibré, un malade mental, un monstre sans émotions ni sens moral, sans empathie ni compassion, un personnage indifférent et insensible à la souffrance et à la mort d'autrui, à la cruauté et à l'inhumanité de la guerre et des hommes ?
Est-il violent, pervers, immoral, sournois, manipulateur ? Ou bien ce détachement est-il sa façon de se défendre, de se protéger de cette époque si violente et barbare ?
Oscar est-il une allégorie ? Et, en ce sens, porte-t-il le fardeau de la responsabilité collective allemande des actes nazis ? Cela pourrait-il expliquer pourquoi Oscar décide de succéder au Christ et de se faire appeler Jésus dans une partie du roman ?
Sûrement est-il tout cela à la fois, un homme aux multiples visages.

« Oscar, c'est-à-dire moi, exprimait expressivement l'image détruite de l'homme, accusatrice, provocante, extra-temporelle, et cependant en communion expresse avec la folie de notre siècle. »

Malgré sa personnalité complexe et son caractère ambigu, Oscar est un personnage fascinant, mystérieux que j'ai adoré suivre dans la première partie du roman. Pourtant, peu à peu, mon intérêt pour lui s'est émoussé, mon attention s'est relâchée, comprenant qu'il me resterait inaccessible, que l'auteur ne me révèlerais pas le fond de sa pensée.

*
Günter Grass entretient également la confusion dans son style, alternant une narration à la première et troisième personne du singulier. J'avoue être restée perplexe sur ce procédé : le changement de point de vue du narrateur donne l'impression qu'Oscar se désolidarise, se dissocie en deux entités, chacune ayant sa propre façon de penser et de se souvenir d'elle-même et de sa vie.
Je me suis même demandée si parfois, le Oscar-adulte ne parlait pas à travers le Oscar-enfant, ce qui aurait pu expliquer pourquoi cet enfant présentait une maturité intellectuelle, langagière et sexuelle.

Après de nombreux échanges dans le groupe, l'explication de l'historien Thomas Serrier m'a convaincue : il y voit un « procédé d'esquive bien connu de Freud et des psychanalystes », le "je" se défaussant constamment sur le "il'' du texte.

Cet éclaircissement, indispensable pour y voir un peu plus clair dans la narration, m'a aussi permis de comprendre mes difficultés à cerner Oscar, d'autant plus qu'est très présent un ton ironique et grotesque, enfantin et faussement naïf qui brouille la ligne de démarcation entre la réalité et la fiction, le vrai et le faux, la religion et le blasphème, l'amour et la haine, l'innocence et la noirceur de l'âme.

Il reste la question du tambour car alors qu'Oscar louvoie entre deux voix / deux voies, il ne fait qu'un avec son tambour. Cette musique rythmée, il m'a semblé l'entendre dans l'écriture scandée de l'auteur, dans ses longues phrases enchaînées par juxtaposition. le tambour semble un prolongement de son corps, c'est sa voix, l'instrument qui lui permet de communiquer.

*
C'est un livre dense, très riche, qui se lit lentement pour sonder le passé d'Oscar, pour en apprécier la langue (ou la traduction), le style verbeux presque suranné, l'écriture distante presque désincarnée, les situations tragicomiques illustrées par des images envahissantes, les odeurs prégnantes, les couleurs qui s'imposent au regard, les sensations fluctuantes.

*
Assez éloigné de mes goûts livresques, moi qui aime les romans plus courts et surtout qui ne me laissent pas avec une impression d'inachevé et de questions laissées en suspens, je dois tout de même avouer que j'ai vécu une incroyable expérience littéraire avec cette lecture commune.
« le Tambour » a été un roman difficile à lire : certains passages m'ont impressionnée par leur puissance visuelle et sensorielle, en particulier dans la première moitié du livre. Son réalisme magique et sa valeur historique auraient pu me séduire, mais mon intérêt a eu du mal à se fixer sur l'ensemble des chapitres.
Un roman singulier, étrange, dérangeant, qui fait réfléchir et ne laisse pas indifférent, mais qui amène de trop nombreuses questions sans réponse.

*
Encore un grand merci à tous mes compagnons de lecture sur cette formidable LC : Anna (@AnnaCan), Sonia (@indimoon), Chrystèle (@HordeDuContrevent), Isabelle (@Isacom), Marie-Caroline (@mcd30), Anne-So (@dannso), Delphine (@Mouche307), Bernard (@berni_29), Jonathan (@JonathanLecuyer), et Patrick (@Patlancien). Rien que pour tous nos échanges, cette lecture valait vraiment le coup.
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Citations et extraits (107) Voir plus Ajouter une citation
Vinrent d'abord les Rugiens, puis les Goths et les Gépides, ensuite les dont Oscar descend en ligne directe. Peu de temps après, les Polonais envoyèrent Adalbert de Prague. Il vint avec la croix, et les Kachoubes ou Borusses l'occirent avec la hache. Cela arriva dans un village de pêcheurs appelé Gyddanyzc. De Gyddanyzc on fit Danczik, Danczik devint Dantzig, qui plus tard s'écrivit Danzig ; et aujourd'hui Danzig s'appelle Gdansk. Mais avant qu'on ait trouvé cette orthographe, après les Kachoubes, ce furent les ducs de Pomérélie qui vinrent à Gyddanyzc. Ils portaient des noms comme Subislaus, Sambor, Mestwin et Swantopolk. Le village devint une petite ville. Puis vinrent, de très loin les Brandebourgeois, et ils détruisirent aussi quelque peu. Boleslav de Pologne voulut en faire autant ; et pareillement l'ordre des chevaliers Teutoniques prit soin que son glaive séculier remît à neuf les dégâts à peine réparés.
Plusieurs siècles durant, un petit jeu de démolition et de reconstruction fut pratiqué par les ducs de Pomérélie, les grands maîtres de l'Ordre, les rois et anti-rois de Pologne, les margraves de Brandebourg et les évêques de Wloclawek. Architectes et démolisseurs s'appelaient : Othon et Waldemar, Bogussa, Henri de Plotzke et Dietrich von Altenberg qui construisit le château de l'Ordre sur les lieux où, au vingtième siècle, sur la place Hévélius, on défendit la poste polonaise.
Vinrent les Hussites ; après avoir mis le feu en quelques endroits. Puis les Teutoniques furent expulsés de la ville, leur château rasé, parce qu'on ne voulait pas de château dans la ville. On se fit Polonais, et ça n'allait pas si mal.
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Ô folle cavalerie ! - Aller à cheval cueillir la brimbelle ! Avec des lances à fanions rouges. Des escadrons de neurasthénie et de tradition. Des charges comme dans les livres d'images. À travers champs devant Lodz et Kutno. A Modlin, en guise de citadelle. Oh ! Quel chic pour galoper ! Toujours toujours dans l'attente du rouge crépuscule. C'est seulement quand le premier plan et l'arrière-plan sont splendides que la cavalerie attaque, car la bataille est pittoresque. La mort sert de modèle aux peintres, debout d'abord, jambe d'appui-jambe libre, puis tout s'effondre, va cueillir la brimbelle, les gratte-cul ; ils culbutent et s'étalent ; ça donne le chatouillis sans lequel ne saurait galoper une cavalerie. Des Uhlans, voici que ça les reprend, ils opèrent une conversion à côté des meules de paille - ça fait encore un tableau -, se reforment derrière un homme qui, en Espagne, s'appelle Don Quichotte ; pourtant c'est un Polonais pur sang, Pan Kiehot, d'une silhouette triste et noble, qui a fait le baisemain à tous ses uhlans à cheval, si bien qu'ils brûlent toujours d'envie de faire le baisemain à la mort, comme à une vieille dame, selon le bon genre ; mais auparavant il faut qu'ils se reforment, le soleil couchant dans le dos, car l'atmosphère leur tient lieu de réserves, les blindés allemands devant eux.Les étalons de l'élevage Krupp von Bolhen et Halbach, on n'a jamais rien chevauché de plus noble. Mais ce dernier chevalier métissé d'Espagnol et de Polonais, présomptueux à en mourir - bien doué Pan Kiehot, trop bien doué ! -, le voilà qui baisse sa lance à fanion, il vous lance sa blanche et rouge invitation au baisemain et crie au couchant, aux cigognes qui claquettent de leur becs blanc et rouge, aux cerises qui crachent leurs noyaux, il crie à la cavalerie : «Nobles Polonais à cheval, ce ne sont pas des blindés d'acier, ce sont seulement des moulins à vent ou des brebis, je vous invite au baisemain ! »
Adonc s'élancèrent escadrons dans le flanc feldgrau de l'acier et donnèrent au couchant matière à se teindre d'encore plus de pourpre.
On voudra bien pardonner à Oscar cette envolée finale et identiquement le côté inspiré de cette description de bataille en rase campagne.
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Le dos était rond, mobile. Des muscles y évoluaient infatigablement. Un paysage rose, semé de tâches de rousseur. Au-dessous des omoplates foisonnaient des poils roux, des deux côtés de la colonne vertébrale incrustée dans la graisse. En allant vers le bas, ils frisaient jusqu'au moment où ils disparaissaient à l'intérieur de ces caleçons que Herbert portait même en été. En allant vers le haut, depuis le bord des caleçons jusqu'aux muscles de la nuque, le dos était couvert de cicatrices gonflées, interrompant la pilosité, effaçant les tâches de rousseur, faisant des plis, siège de démangeaisons quand le temps changeait, riches en couleur, parcourant toutes les nuances entre le bleu foncé et le blanc verdâtre. Ces cicatrices, j'avais le droit de les toucher.
Qu'ai-je eu le droit, moi qui suis dans mon lit, regarde par la fenêtre, depuis des mois contemple sans cependant les voir le moins du monde les bâtiments de service de la maison de santé et, derrière, la forêt d'Oberrath, qu'ai-je eu le droit de toucher jusqu'à ce jour qui fût aussi dur, aussi sensible et aussi troublant que les cicatrices sur le dos de Herbet Truczinski ? Les parties de certaines filles et femmes, mon propre membre, le petit arrosoir en plâtre de l'Enfant Jésus et cet annulaire que le chien m'apporta du champ de seigle il y a tout juste trois ans, qu'il m'était permis de garder l'année dernière encore, dans un bocal à conserves certes, et intouchable, mais si net et si complet que je peux aujourd'hui encore sentir et compter chaque phalange de ce doigt pour peu que je saisisse mes baguettes.
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Disons-le tout de suite : j'étais de ces nourrissons à l'oreille fine dont le développement intellectuel et psychologique est déjà achevé à la naissance et n'a plus besoin ensuite que de confirmation. Autant, à l'état de fœtus, je m'étais soustrait à toutes les influences pour n'écouter que moi et n'estimer que moi en me reflétant dans le liquide amniotique, autant je prêtai une oreille critique aux premières déclarations spontanées que mes parents firent sous les ampoules. Cette oreille était parfaitement éveillée. Bien qu'on dût la dire petite, pliée, collée et en tout cas mignonne, elle conservait chacun des mots d'ordre désormais si importants pour moi parce qu'ils me furent offerts comme premières impressions. Mieux encore : ce que je captai avec l'oreille, je le traitai sur-le-champ dans mon minuscule cerveau et je décidai, après avoir suffisamment médité tout ce que j'avais entendu, de faire ceci ou cela, mais de m'abstenir assurément d'une chose.
"Un garçon, dit ce monsieur Matzerath qui présumait être mon père. Plus tard, il reprendra la boutique. Maintenant, nous savons enfin pourquoi nous nous tuons au travail."
Maman pensait moins à la boutique et davantage au trousseau de son fils : "Ah, j'savais bien que ce s'rait un garçon, même si j'ai dit quelque fois que ce s'rait une petite".
C'est ainsi que je fis prématurément connaissance avec la logique féminine et j'entendis ensuite : "Quand le petit Oscar aura trois ans, on lui donnera un tambour en fer-blanc".
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Comment se faisait-il que Maria, dès qu'elle eut enlevé ses vêtements de dessus, dès que l'odeur d'essence se fut dissipée, eût une odeur agréable et naïvement étourdissante de vanille ? Se frottait-elle de cette plante ? Y avait-il un parfum bon marché qui allât dans cette direction olfactive ? Ou bien cette fragrance lui était-elle propre de la même manière que Mme Kater exhalait l’ammoniac, que ma grand-mère Koljaiczek donnait à sentir sous ses jupes un beurre légèrement rance ? Oscar, qui ne pouvait faire autrement que de chercher l'origine de toute chose, chercha aussi celle de la vanille : Maria ne s'en frottait pas. C'était l'odeur de Maria. Je suis même convaincu aujourd'hui encore qu'elle n'était même pas consciente de cette odeur qui faisait corps avec elle ; car lorsque le dimanche, après le rôti de veau purée de pommes de terre et chou-fleur au beurre noir, un pudding à la vanille tremblotait sur la table parce que je tapais avec ma bottine contre le pied de la table, Maria, qui ne rêvait que de gelée de fruits rouges, n'en prenait qu'une petite quantité et à contrecœur, tandis qu'Oscar est encore aujourd'hui amoureux du plus simple et du plus banal peut-être des puddings.
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Vidéo de Günter Grass
En 1979, une romancière a été nommée présidente du jury. Une première dans l'histoire du Festival de Cannes qui convie les littéraires à siéger dans ce comité exclusivement composé d'hommes et de femmes de cinéma. Françoise Sagan ouvre le bal des délibérations. Pourquoi inviter des romanciers à présider ? Une cérémonie particulièrement symbolique qui a sacré deux films arrivés ex aequo avec "Apocalypse Now" et "Le Tambour" adapté du roman de Günter Grass, grâce à Françoise Sagan. Laurent Delmas et Christine Masson nous révèlent quelques anecdotes peu reluisantes de cette 32ème édition du Festival, théâtre d'une polémique entre la romancière et l'institution du cinéma. 
Georges Simenon, le père des "Maigret", Henry Miller, l'auteur américain le plus impertinents et insolents qui soit… Qui sont ces membres du jury qui ont marqué le Festival de Cannes ? 
François Busnel et ses invités remontent le temps, quand les écrivains et grands noms de la littérature se sont retrouvés au Festival de Cannes.

Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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