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sur 592 notes
Un tambour férocement felinien qui a la gravité d'une amère et triste introspection à l'échelle d'une nation…mais dont le roulement ne tient pas le rythme et les promesses.

La lecture commune que nous avons faite sur ce livre incroyable de Günter Grass m'a considérablement enrichie et apporté et, en même temps, décortiquant tous ensemble inlassablement, de façon passionnante et minutieuse, cette oeuvre, a relégué mes sensations premières, instinctives, un peu au second plan.
Personnellement, je n'ai pas besoin de tout comprendre d'un livre. J'accepte ses zones d'ombre, et si le livre m'a touchée, interpellée, ces zones floues peuvent même constituer le petit grain de sel, le petit gout de reviens-y, suffisamment excitant, pour être tentée de le relire un jour, le temps permettant d'avoir davantage de recul et de maturité sur l'oeuvre.

Le fait de passer au scalpel ce livre si connu de l'auteur allemand, Prix Nobel de littérature, m'a donné l'impression d'en sortir tous les organes, alors soupesés, passés de mains en mains, coeur, foie, intestins, inspectés telle une mécanique de précision. Je me suis retrouvée avec un ensemble de morceaux triturés, boursouflés, vidés de leur élan vital à force d'être sondés, que je n'ai pas réussi ensuite à remettre correctement en place, ne parvenant plus à les faire contenir dans l'ensemble originel. C'est seulement en laissant décanter que j'ai réussi bon an mal an à recoudre l'oeuvre qui contient à présent une large cicatrice que je caresse de temps à autre pour la lisser. Quelle est la peau première de ce livre pour moi ? L'ai-je aimé ? Pas aimé ? Qu'est-ce que j'en retiens, quelles sont les premières images qui apparaissent lorsque je pense au Tambour ? Les premières sensations ?

Tout d'abord, celle d'une idée de base fabuleuse qui m'avait tant séduite en visionnant l'excellent film, Palme d'or de Cannes en 1979 : un enfant de trois ans, Oscar, décide de s'arrêter de grandir, de stopper sa croissance en maquillant ses intentions en accident le jour même de ses trois ans. Il ne désire alors que taper inlassablement sur son tambour qui devient comme un appendice accroché à lui. Il est par ailleurs doté d'un cri vitricide dès que quelqu'un tente de lui retirer son instrument.
L'interprétation est multiple, riche, mouvante. J'y vois notamment le refus de l'univers des adultes et de leurs bassesses, de leur tromperie dans ce monde où même le noyau familial est une mascarade, où l'école est un moule source officielle de bourrage de crâne, où la population dans sa grande majorité adhère au fascisme ; un attachement viscéral à l'innocence pour cet enfant qui ne sait pas vraiment qui est son père, père putatif et amant de sa mère se côtoyant dans une sorte de ménage à trois. L'instrument est un moyen de communication en lieu et place des mots, si faibles pour décrire la réalité, tambour cependant qui disperse et trouble l'entourage et le cri, animal, sauvage, symbole de détermination et de puissance, de révolte, de colère aussi peut-être tant Günter Grass semble être en colère contre l'époque, contre lui-même. Un cri exutoire qui brise. Qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler, par résonance, la Nuit de Cristal, nuit du pogrom anti-juin du 9 novembre 1938 ;
D'enfant, le personnage deviendra un nain, un gnome, doté d'une bosse, montrant l'impossibilité de rester innocent, les facettes sombres de ce personnage, sans doute à l'image de Günter Grass, ressortent comme ils peuvent, déformant le petit être, le transformant en monstre, atteint de plus d'un délire mystique se prenant pour Jésus. Transformations physiques et délires psychiques mettant à nu l'auteur même. Peut-être. J'aime à le penser, je le ressens tout du moins ainsi. Son cri devient peu à peu un rire hargneux, celui d'un gnome lâche, méprisant les hommes, à la personnalité repoussante. Cet aspect de la psychologie du personnage, trouble et confuse, est fascinant si on établit le parallèle entre Oscar et Günter. Oscar est-il une mise à nu de l'auteur ? Dans toute sa volonté, vaine, de rechercher son innocence en cette période de l'histoire et de n'y trouver que la petitesse ? L'ambivalence de Oscar n'est-elle pas le reflet de cette de G.Grass, qui se voudrait innocent et rebelle, qui n'est que lâche et égoïste ?

Si on veut être plus précis et pragmatique concernant l'histoire, le petit Oscar Matzerath est né en 1924, dans une famille d'épiciers en produits exotiques d'un faubourg de Dantzig. Quand il se met à rédiger ses souvenirs, il a trente ans. Depuis 1945, il a légèrement grandi et mesure 1,21 m. Mais, en contrepartie, il se trouve pourvu de cette bosse dans le dos. Après avoir connu le sort des réfugiés de l'Est, il s'est installé à Dusseldorf. Soupçonné d'avoir participé à un assassinat, il a finalement été transféré dans un asile psychiatrique. C'est là, enfermé, qu'il rédige ses mémoires qui racontent, du haut de sa taille d'enfant de trois ans, sa voix de stentor et son tambour, ses aventures, parfois comiques, parfois abjectes, crapuleuses, démoniaques, sensuelles, épiques.

« Ce dont je ne venais pas à bout avec mon tambour, je le tuais par ma voix. »

Une idée de base très originale donc. A la fois allégorique et symbolique. de l'auteur, du peuple allemand tout entier qui fut en grande majorité nazi. Associée, qui plus est, à une puissance évocatrice foudroyante. le livre contient une foultitude de scènes burlesques, d'images proprement inoubliables et fascinantes, très sensorielles pour certaines, écoeurantes pour d'autres. Prenons en trois. Parmi plein d'autres.
Je pense tout d'abord à la mère d'Oscar, Agnès, qui n'a jamais réussi à choisir entre l'amant attentionné et le bourgeois, entre le Polonais bienveillant et l'Allemand nourricier, entre l'idéalisme et le pragmatisme. Ses hésitations vont la mener au suicide par la nourriture, se servant dans l'échoppe familiale en sardine à l'huile qu'elle englouti avec les doigts, en harengs qu'elle mange crus, elle qui déteste le poisson, dégout qui avait été porté à son comble dans la scène proprement dégoutante des anguilles dans la charogne d'une tête de cheval…
Autre scène d'une sensualité troublante, celle de la poudre effervescente que le petit Oscar dépose dans le nombril d'une jeune femme, Maria, lapant ensuite le petit trou, scène troublante d'un érotisme sombre et gênant, où l'on comprend à demi-mot qu'acte charnel il y eu. Ou encore la scène des furoncles pressés sur le crâne d'un fabricant de pierres tombales, autant de cauchemars éveillés qui sont comme des coups de jus fait au lecteur pour le marquer et l'impressionner.

Et puis, ce livre, corné, annoté de toute part, aux multiples passages soulignés, surlignés, oui, il suffise que je l'ouvre au hasard pour tomber par exemple sur cette description, ce genre de description de personnages dont je raffole tant (je l'ai vraiment ouvert au hasard et je vous donne le passage sur lequel je viens de tomber, une description de la fameuse Maria) :
« de même que la tête de Maria, que l'on pouvait prendre dans une seule main, présentait des joues pleines, des pommettes saillantes, des yeux généreusement découpés de chaque côté du nez installé dans son creux, d'une extrême discrétion, son corps de mensurations plus petites que moyennes était pourvu d'épaules un peu trop larges de seins rebondis qui commençaient déjà sous les bras et d'un postérieur opulent correspondant au bassin, lequel, à son tour, était porté par des jambes trop minces, mais robustes qui, au-dessous de la toison pubienne, laissaient passer le regard.
Peut-être Maria avait-elle à cette époque les jambes légèrement cagneuses. Il me semblait aussi que ses mains toujours rougies, en contraste avec sa silhouette aux proportions adultes et définitives, avaient quelque chose d'enfantin avec leurs doigts boudinés. Elle n'a pu jusqu'ici tout à fait renier ces battoirs. Ses pieds, en revanche, qui se fatiguaient à l'époque dans de gros souliers de marche, un peu plus tard dans les petits escarpins de ma pauvre maman, d'une élégance démodée et qui ne lui allaient pas davantage, ont peu à peu perdu malgré les chaussures malsaines de deuxième main leur rougeur et leur bizarrerie enfantines et se sont adaptés à des modèles récents d'origine ouest-allemande ou même italienne ».


Scénario original aux multiples interprétations donc, images saisissantes, descriptions étonnantes, je retiens également bien entendu cette tranche d'histoire que nous offre l'auteur. Par truchement autobiographique, le tambour appréhende, avec le regard, les sensations de l'auteur, donc selon un point de vue éminemment singulier et personnel, unique, un demi-siècle d'histoire allemande, de 1900 à 1950. Singulier dans le sens où il nous montre la montée du fascisme en s'appuyant sur une vision d'enfant, et donc teintée d'absurde et de grotesque, voire d'humour, mais noir, très noir, l'humour. du haut de ses 94 centimètres, il observe, caché sous les tables, les tribunes, il est témoin privilégié du désordre du monde, ce d'autant plus qu'on ne fait pas attention à un enfant si jeune. Notons que l'art du camouflage semble être une caractéristique familiale, l'existence même d'Oscar tient au fait que son grand-père, fuyard, se soit caché un jour sous les multiples jupes de sa grand-mère…Ce mélange de la grande Histoire et des tribulations picaresques de la famille est plaisant et donne du rythme et de la coloration au récit.


La structure du livre m'a grandement interpellée également, même si elle est de facture classique car chronologique, mais pourtant ces trois parties m'ont décontenancée et c'est bien là que le bât blesse. Trois parties, trois intérêts totalement différents me concernant. Un descrendo si regrettable.
La première relate l'enfance d'Oskar et la montée du fascisme dans l'entre-deux Guerres jusqu'au pogrom antisémite de novembre 1938, et c'est la partie qui m'a éblouie. A la fin de la lecture de cette partie, je voyais un chef d'oeuvre entre mes mains, un cinq étoiles, haut la main.
La seconde partie décrit la guerre et se termine avec l'entrée des troupes soviétiques à Dantzig en 1945. Si elle est riche, passionnante, avec certaines scènes incroyables (je pense notamment à celle où l'on voit Oscar et sa famille dans un train de la mort), elle comporte quelques longueurs qui déjà ont quelque peu douché mon enthousiasme ressenti avec tant de force lors de la première partie.
Enfin la troisième partie, portant sur l'Allemagne occidentale d'après-guerre et des tentatives d'intégration sociale d'Oscar, m'a décontenancée, la lecture fut une véritable lutte, je m'endormais littéralement dessus, n'arrivant pas à capter mon attention, les images percutantes des deux premières parties n'étant quasiment plus présentes, je n'avais rien pour me raccrocher. C'est bien cette troisième partie qui abaisse considérablement la note que j'attribue à ce livre par ailleurs incroyable.
Oui, le tambour est un monument et mon ressenti s'est hissé à cette hauteur totalement dans le premier livre, un peu moins dans le second livre et pas du tout dans le troisième à côté de laquelle je suis passée.


Quant à la plume, mis à part les longueurs évoquées, elle est d'une belle complexité, alimentée par une alternance entre le « Je » et le « Il » montrant combien le narrateur n'assume pas tout à fait ce qu'il écrit et mettant en valeur toute la complexité d'Oscar. Günter Grass raconte « d'une manière réaliste des choses fantastiques », au moyen d'une plume inventive, torrentielle, crépitant d'images insolites, libre mais qui s'essouffle, mille fois hélas, au fil du roman.

Livre foisonnant, aux interprétations multiples, doté d'une puissance évocatrice incroyable, j'ai vraiment regretté cette troisième partie qui n'apporte pas grand-chose, selon moi, à l'ensemble et qui est venu ternir considérablement mon plaisir de lecture.
C'est le livre des tiraillements d'un être, d'un vociférateur pessimiste, égoïste, dénoué d'humanité, à l'image sans doute des tiraillements de l'auteur, et au-delà des peuples parfois, comme le peuple allemand lors de la guerre et du massacre juif, voire de l'espèce humaine. Nous pourrions aussi, mais mon retour serait encore plus long qu'il ne l'est déjà, faire le focus sur l'analyse psychanalytique qui transparait dans le livre, ne serait-ce par exemple dans la volonté d'Oscar de tuer le père dans la scène si mémorable de l'attaque de la Poste de Dantzig...Cet aspect est passionnant.
Revenir aux sensations premières à froid me permet d'avoir envie de retourner à cette oeuvre qui m'a tant troublée lors de cette lecture commune. La cicatrice, déjà, s'estompe peu à peu, la décantation laissant place essentiellement à ce que j'ai aimé et qui m'a fait grande impression malgré ma déception croissante.
Oui, me concernant, les sensations doivent primer sur l'analyse lors d'une première lecture…Alors, qui est partant alors pour une seconde lecture dans quelque temps, hein, Sonia, Sandrine, Anna, Marie-Caroline, Anne-Sophie, Bernard, Delphine, Jonathan, Patrick, Isabelle ??

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« Je relisais à l'instant le dernier paragraphe. Bien que je n'en sois pas autrement satisfait, ce n'en est pas moins la plume d'Oscar ; en effet elle a réussi à exagérer, sinon à mentir, avec concision et cohérence, à présenter, des choses, un rapport volontairement concis et cohérent, de temps à autre. »
C'est Oscar, le narrateur, qui parle, et rien que l'alternance du Je et du Il d'un paragraphe à l'autre, d'une phrase à l'autre ou, parfois, comme c'est le cas ici, au sein d'une même phrase, a de quoi dérouter. Mais si j'ai placé cet extrait, dans lequel Oscar parle de la plume d'Oscar, en ouverture de mon billet, c'est parce qu'il me paraît assez bien s'appliquer à la plume de Günter Grass telle que je l'ai perçue. Une plume qui exagère, qui n'hésite pas à mentir, à travestir la réalité, à se cacher, et qui ne se soucie guère d'être concise et cohérente. Je n'attends pas d'un romancier qu'il soit particulièrement concis. Parmi mes auteurs de prédilection figurent Proust, Céline, Simon, qui ne sont pas franchement réputés pour leur concision, mais, et je remercie au passage la plume de Grass pour m'avoir éclairée, il y a une chose à laquelle je suis manifestement très attachée : la cohérence. Or, l'auteur se fiche comme d'une guigne de nous présenter un récit cohérent, un récit qui ait du sens, ce sens fût-il de nous dire que rien n'a de sens. Il nous noie à plaisir sous un déluge verbal le plus souvent indigeste, aligne des scènes dont la puissance d'évocation est très fluctuante, ne cherche nullement à bâtir une intrigue, multipliant les ellipses, les allusions furtives, les associations d'images les plus incongrues, aboutissant à un magma opaque duquel je me suis littéralement épuisée à extraire du sens, réduite, tel en enquêteur aveugle et fourbu à glaner deux ou trois indices ici ou là qui, mis bout à bout ne m'ont menée nulle part, me laissant pour finir avec un monceau de questions sans réponses.

Je suis donc incapable de vous dire ce que l'auteur allemand, récipiendaire du prix Nobel de littérature en 1999 « pour avoir dépeint le visage oublié de l'Histoire dans des fables d'une gaieté noire », a voulu exprimer dans ce récit se déployant sur près de cinquante ans, de l'aube du XXème siècle aux immédiates années d'après-guerre. Je suis bien en peine de vous parler d'Oscar, né en 1924 à Dantzig sous deux ampoules de soixante watts battues par les ailes d'un papillon de nuit, bien en peine de vous dire pourquoi il se jette volontairement dans l'escalier de la cave à l'âge de trois ans afin de s'arrêter de grandir.
« Là je dis, là je me décidai, là je résolus de n'être en aucun cas politicien comme Adolf et encore bien moins négociant en produits exotiques, mais de mettre un point c'est tout, de rester comme ça – et je restai comme ça, je m'en tins à cette taille, à cet équipement, de nombreuses années durant. »
Là, l'auteur semble nous dire que placé devant l'alternative de devenir Adolf Hitler ou de reprendre le commerce familial, le petit Oscar préfère s'arrêter de grandir. C'est une interprétation possible, même si Grass en suggère d'autres, comme le fait que sa mère et son beau-père n'ayant pas le don de le comprendre, il « perdit le goût de la vie avant même que cette vie commença ». On peut aussi avancer une explication psychanalytique : le petit Oscar, par ce geste suicidaire, récupère l'amour et l'attention de sa mère tout en rejetant la faute sur son beau-père, accusé de n'avoir pas refermé la trappe d'accès à la cave.
Pour corser l'affaire, ce « arrêter de grandir » revêt des significations différentes au fil du livre : Oscar reste-t-il un enfant qui refuse de grandir, autrement dit qui refuse de devenir adulte? Ou bien Oscar devient-il adulte dans un corps d'enfant? Ou bien encore Oscar est-il un nain, un gnome, un nabot ?
Ce qui est sûr, c'est qu'Oscar se met à jouer du tambour après sa chute, après sa décision d'arrêter de grandir. Mais quant à vous dire ce que représente cet instrument sur lequel il frappe sans discontinuer… Son tambour est-il sa voix, sa plume? Représente-t-il l'enfance, l'innocence? Est-il un rempart contre le monde des adultes, contre ce monde étriqué, petit-bourgeois, banalement antisémite dans lequel on va, en famille, voir brûler les synagogues comme on se rendrait au cirque ou au Guignol ? le tambour d'Oscar est-il un antidote au mal et à la violence ordinaires qui sournoisement s'emparent de tout un peuple à l'aube des années trente ?
Il y a également une chose très troublante (s'il n'y en avait qu'une!), c'est qu'Oscar, lorsqu'il est empêché de frapper son satané tambour, se met aussitôt à pousser un cri strident qui a le pouvoir de briser le verre, un cri « vitricide », dont je n'ai cessé tout au long du récit de me demander s'il figurait une allusion à la Nuit de cristal, question qui restera, hélas, comme les autres, définitivement sans réponse.

Plus troublante encore est pour moi la dimension messianique d'Oscar, qui apparaît très tôt dans le roman :
« Cependant – et ici Oscar doit admettre qu'il s'est développé – quelque chose grandissait, et pas toujours pour mon bien, acquérait pour finir une grandeur messianique. »
L'idée d'un Oscar appelé à incarner un nouveau Jésus revient à plusieurs reprises dans le récit. Ainsi, alors qu'enfant, accompagnant sa mère à l'église du Sacré-Coeur, il a l'idée de passer la sangle de son tambour autour du cou d'un Jésus de plâtre, attendant en vain que celui-ci se mette à jouer :
« (…) jouera-t-il, ou bien ne sait-il pas, ou bien n'a-t-il pas le droit ? Jouera, ou bien c'est pas un vrai Jésus. C'est Oscar le vrai Jésus plutôt que celui-là, si celui-là ne joue pas du tambour. »
Ou lorsqu'au sortir de l'adolescence, devenu le chef charismatique d'une bande de délinquants, les Tanneurs, qui se livrent à des actes de violence (allusion à l'incorporation de Grass dans les Waffen SS à l'âge de 16 ans?), il se fait appeler Jésus et s'adonne à une sorte de rite initiatique et blasphématoire dans l'église du Sacré-Coeur :
« Jésus leva l'index comme une institutrice primaire et me donna une mission : « Tu es Oscar, le roc, et sur ce roc je bâtirai mon Église. Sois mon successeur !»
Oscar est-il LE rédempteur, sorte de version parodique et grimaçante de Jésus Christ, celui qui rachète les fautes du peuple allemand? Possible… sauf que l'auteur compare à plusieurs reprises Oscar à Judas, insistant (bien que le terme « insister » chez Grass, qui procède de façon allusive et cryptée, soit très abusif) sur sa faute :
« Était-ce à dire que les myopes y voient plus clair ; que Weluhn, que j'appelle le plus souvent le pauvre Victor, avait lu mes gestes en silhouette noire sur fond blanc, discerné mon acte de Judas, et emporté avec lui dans sa fuite et dans le monde entier le secret et la faute d'Oscar ? »

Il y a aussi les transformations du corps d'Oscar, là encore très troublantes. L'enfant innocent qui s'est arrêté de grandir se mue après la guerre en un homme au corps nanifié, tordu, déformé comme un bonsaï, enlaidi par une bosse qui, là encore, semble devoir revêtir une signification particulière bien qu'à peine suggérée :
« Il avait eu une femme dont la jambe de bois, la gauche je crois, pouvait se détacher ; c'était un peu comme ma bosse, bien qu'on ne pût détacher mon compteur à gaz. »
L'analogie entre la bosse d'Oscar et son compteur à gaz renvoie à n'en pas douter aux chambres à gaz, d'autant que plus tôt dans le roman Grass compare Hitler à l'employé du gaz — « Tout un peuple crédule croyait au Père Noël. Mais le Père Noël était en réalité l'employé du gaz ».
La bosse d'Oscar, excroissance monstrueuse visible à l'oeil nu, symbolise-t-elle la faute de tout un peuple? La faute de Grass seul? Renvoie-t-elle à la question plus vaste du péché originel et de l'expiation ?
« Alors je lui conseillai de voir en moi la faute et en Ulla l'expiation ; ma faute était visible à l'oeil nu ; l'expiation pouvait être costumée en infirmière. »

Je sors de cette lecture avec un profond sentiment d'insatisfaction. Non, insatisfaction est trop faible pour qualifier ce que je ressens. Frustration me semble plus juste. Je ne crois pas avoir jamais lu un texte qui m'ait fait un tel effet. Je l'aurais d'ailleurs abandonné s'il n'y avait eu l'émulation de notre petit groupe. Aussi je tiens à remercier Patrick, à l'initiative de cette lecture commune, Sonia, dont l'entêtement à comprendre un récit qui se dérobe à l'interprétation m'a aiguillonnée tout du long, les consultantes Isa et Mouche, notre germaniste, les fidèles compagnons de lecture Anne-So, Bernard, Chrystèle, Sandrine, ainsi que Marie-Caro et Jonathan.
Nos discussions à bâtons rompus pendant quatre semaines ont conféré à cette lecture languissante un tonus qui m'a permis de tenir, la sauvant ainsi, du moins en ce qui me concerne, du complet naufrage.
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Qui ne connait ce titre, sinon le livre au moins le film qui en a été tiré. Un film dont j'avais gardé un vague souvenir, mais assez marquant pour me donner envie de découvrir le livre. Quand Patounet (Patlancien) a proposé une lecture commune, j'ai sauté sur l'occasion. Bien m'en a pris, C'est LE LIVRE à lire en lecture commune, tellement il est compliqué de comprendre ce que l'auteur a cherché à nous transmettre par ce livre, que voulait-il partager avec son lecteur si tant est qu'il ait désiré partager quelque chose. Toutes ces questions ont généré de nombreux échanges (imaginez, plus de 1200 messages échangés dans le groupe) : beaucoup d'opinions, de suggestions qui se sont confrontées pour mon bonheur et ont grandement enrichi cette lecture.

Oscar, tout jeune, décide d'arrêter de grandir. Cela arrivera pour l'anniversaire de ses trois ans, anniversaire qui sera pour lui l'occasion de recevoir son premier tambour, premier d'une longue série ; je croyais me souvenir, qu'il ne voulait pas grandir à cause de la montée du nazisme, mais non, c'est parce qu'il ne veut pas prendre la suite de son père et tenir le magasin de celui-ci, rejoindre le monde des adultes.
L'auteur nous raconte la vie de la famille d'Oscar, sa grand-mère, sa mère puis Oscar lui-même ainsi que les nombreux personnages qui apparaitront dans son entourage Il parcourt ainsi l'histoire de l'Allemagne pendant la montée du nazisme, la guerre et après, vue et racontée par Oscar, avec toutes les équivoques, les non-dits, les ambivalences, les obscurités induites par l'état d'Oscar, enfant puis homme dans un corps qui reste de la taille de celui d'un enfant.
En alternance avec des passages dans une clinique pour fous, où Oscar est enfermé alors qu'il s'apprête à fêter ses trente ans. Il a toujours son tambour qu'il frappe pour réveiller ses souvenirs et continuer à nous raconter.

Le Tambour est un roman très dense, les chapitres se suivent sans saut de page, il y a très peu de dialogues pour aérer le texte, et si certains épisodes, drôles, vivants, m'ont interpelée, ravie, d'autres m'ont paru très longs. Notamment le livre III qui se passe après la guerre.

L'auteur dans tout le livre raconte par la voix d'Oscar, Il alterne entre le discours à la première personne, Oscar parle en disant je, et à d'autres moments il dit Oscar. Il ne m'a pas été facile de comprendre cette distinction, même si la plupart du temps, elle m'a paru naturelle, et elle aura donné lieu à beaucoup de discussions dans notre groupe.
Les chapitres se suivent, l'histoire fait enfin son apparition à la fin du livre I, et le livre m'a pour la première fois émue, dans son évocation de la nuit de cristal et de la violence et de la tyrannie du nazisme.

Oscar est un personnage difficile à cerner, il garde sa petite taille, mais il vieillit quand même, et son comportement par moments reflète l'âge qu'il a indépendamment de sa taille, parfois il réagit comme un enfant. Là encore, je n'ai pas bien compris ce qu'il signifie pour l'auteur ce personnage qui ne grandit pas. C'est très troublant. Un personnage en plus fortement autocentré, le monde peut s'écrouler autour de lui, ce qui lui importe c'est lui et son tambour.

Il est difficile d'écrire sur ce livre tellement singulier. Il me reste certains passages en tête, des images très fortes par moments. C'est une oeuvre dense, fulgurante par moments, ennuyeuse à d'autres, levant plein de questions, ne donnant pas les réponses. Des personnages auxquels je ne me suis pas attachée, les considérant avec étonnement, incrédulité, sourire parfois mais pas souvent ...

Ce que je retiendrai avant tout de cette lecture ce sont les échanges auxquels elle a donné lieu. Merci à tous mes compagnons sur cette LC : Anna (@AnnaCan), Berni (@berni_29), Chrystèle (@LaHordeDuContrevent), Isa (@Isacom), Jonathan (@JonathanLecuyer), Marie-Caro (@mcd30), Sandrine (@HundredDreams), Sonia (@indimoon) et Delphine (@Mouche307) qui s'est munie de la VO pour nous en partager des extraits.
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« Quand on garde dans le formol le doigt de sa chérie qui vient d'être assassinée, avec une bague enfilée dessus, on ne doit pas être étonné de se retrouver condamné par la justice et enfermé dans un hôpital psychiatrique surtout si on s'appelle Oscar Matzerath.»

C'est à partir du récit autobiographique d'un nain que le Tambour nous déroule un demi-siècle d'histoire allemande. Son auteur Günter Grass, nous brosse l'histoire d'Oscar qui ayant décidé de ne plus grandir à l'âge de trois ans, sera le témoin malgré lui d'une société qui verra naître le nazisme et son corollaire la deuxième guerre mondiale. Cette vision infantile va permettre à l'auteur d'aborder tous les sujets d'histoire, de philosophie, de religion et de société avec beaucoup d'ironie, de sarcasme voire d'être blasphématoire pour nos yeux d'adultes. La taille du narrateur (exploité dans le film de Volker Schlöndorff sorti en 1979) l'aidera à se glisser sous les lits, les tables, le podium des tribunes et d'être ainsi aux premières loges du désordre civilisationnel mondial.

En s'appuyant sur une chronologie linéaire, le roman de 650 pages avec ses 46 chapitres regroupés en trois livres nous embarque dans une fresque historique et familiale qui débute des années 1900 pour finir à celles de 1950 avec la division de l'Allemagne en deux blocs séparés par le fameux mur dit de la honte. Avec beaucoup d'humour noir et d'ironie sans oublier une bonne part de sacrilège, Günter Grass aborde sans fioriture la montée du nazisme dans son pays avec une part de culpabilité autant qu'une volonté d'expiation collective qui sera nécessaire au grand nettoyage des consciences de l'après-guerre. Sorti en 1960, traduit par Jean Amsler, professeur agrégé d'allemand et spécialiste de l'auteur, le roman possède un style et une écriture qui lui sont propres. En effet, les mots se bousculent et se télescopent au point de noyer le lecteur. Si les personnages sont nombreux, ils apparaissent dans chaque chapitre comme des gens simples, de la vie de tous les jours. Avec Günter Grass, on est plus proche du roman picaresque que des envolées lyriques du romantisme classique allemand. (Eh oui Oscar/Günter n'est pas Goethe qui veut).

Chez Oscar, il existe une dualité constante entre réalité et fiction. L'auteur mélange volontairement ces deux aspects dans l'univers de son personnage principal. Cette antinomie est accentuée dans l'écriture du roman par un Oscar qui utilise à fois le je / il pour s'exprimer ou se désigner. Cela donne l'impression d'assister à une histoire à la fois subjective et objective. Oscar devient l'acteur et l'observateur de sa propre vie, de sa propre expérience. Il peut ainsi prendre de la hauteur sur ses décisions et ses actes. le vrai se mêle au faux en devenant une sorte de thérapie nécessaire à cette expiation qu'il recherche contre ses propres dérives comme celles du peuple allemand avec le nazisme. Ce besoin de repentance ira jusqu' à confier sa plume à son infirmier Bruno ou à son meilleur ami Vintlar afin de mieux préserver une certaine objectivité au risque de brouiller les cartes de la réalité.

La famille a aussi une place importante dans le roman de Günter Grass. C'est son refus de grandir et sa volonté de rester dans le noyau familial qui donne à Oscar cet amour immodéré et malsain. Il faut se rendre à l'évidence, Oscar en mettant sa « pauvre » maman Agnès sur un véritable piédestal, donne au texte sa forme de roman familial. le tambour qu'elle lui offre à ses 3 ans, sera comme un prolongement de cette filiation maternelle qu'elle est d'ailleurs la seule à comprendre et à reproduire à l'infini par des achats compulsifs et répétés. Ce tambour sera pour longtemps, son seul moyen de communication avec le monde extérieur car chez Oscar la voix n'est qu'un cri, un cri « vitricide». Si les figures maternelles sont importantes dans le roman de Günter, les représentations paternelles (le père naturel comme le putatif) sont caricaturées et même vouées à la destruction. Comme un Oedipe moderne qu'il est, il n'aura de cesse de vouloir leur mort.

Chez Günter, l'absolution du peuple allemand qui doit permettre la renaissance d'une Allemagne moderne et démocratique, passe par la grande histoire collective (Ein Reich) et la petite histoire familiale (Ein Volk). Mais pour permettre une rédemption salutaire et définitive, une troisième voie était nécessaire : celle de la Religion (Ein Führer). C'est encore par l'intermédiaire d'Oscar que va s'inscrire cette approche divine et messianique. Oscar en s'identifiant au Christ, va usurper son rôle et devenir un faux Jésus. Il s'appuiera sur une bande de voyous devenus les apôtres embrigadés d'une fausse religion. En jouant avec la symbolique chrétienne, Oscar/Günter va utiliser celle-ci pour réaliser et assouvir ses propres désirs de destruction et de mort. L'amalgame est vite fait avec le diable en chemise brume. Cet homme quelconque, petit bourgeois, transfiguré par sa ténébreuse mission qui deviendra Adolf Hitler : le rêve de 60 millions d'hommes avant de devenir leur pire cauchemar.

Grâce au Tambour, on apprend que l'important est de se remémorer les détails les plus insignifiants de sa vie, de son passé car c'est uniquement grâce à ces souvenir qu'on arrive à oublier son passé, à le purger de ses démons, à le maîtriser pour l'empêcher enfin d'interférer dans son présent. Comme le Phoenix ressuscitant de ses cendres, Günter nous invite à vaincre sa fameuse Sorcière noire comme les allemands ont vaincu le nazisme. Cette analyse psychiatrique reste au goût du jour et fait du Tambour un roman d'actualité. En ces débuts agités du XXI siècle, il demeure une lecture qui reste avant-gardiste et pleine de promesses pour l'avenir. C'est une LC qui a permis de nous poser beaucoup de questions et pour laquelle je remercie les Indy, Sandrine, AnnaC, MarieC, AnneSo, Berni, Delphine, Jonathan, Chrystèle et Isa de m'avoir accompagné tambour battant.

Le livre de Günter Grass restera pour moi un « Jumanji » de la littérature car même refermé et déposé sur son étagère, ce pavé continue, si on tend bien l'oreille, à faire entendre encore et encore, les roulements incessants de l'instrument musical d'Oscar pour nous rappeler constamment que rien n'est encore acquis pour nos jeunes démocraties modernes…

« Que dire encore : Né sous lampes électriques, croissance délibérément interrompue âge de trois ans, reçu cadeau tambour, massacré verre, flairé vanille, toussé dans églises, donné sandwiches Lucie, observé fourmis, décidé grandir, enseveli tambour, émigré vers Ouest, perdu Est, appris métier marbrier, posé Académie, retrouvé tambour et inspecté béton, gagné grosse galette et gardé le doigt, donné doigt et pris fuite, traqué à tort, escalator, arrestation, condamnation, internement, puis acquittement ; or voici que je fête mon trentième anniversaire et j'ai toujours peur de la Sorcière Noire. – Amen. »
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J'ai lu « le tambour » de l'écrivain allemand Günter Grass, prix Nobel de littérature, grâce à l'invitation de Patrick (@Palancien) à le rejoindre dans une lecture commune. Sans cela, il est vraisemblable que je n'aurais jamais lu cet énorme pavé toute seule et si par hasard, je l'avais ouvert, il est vraisemblable que j'aurais eu du mal à aller jusqu'au bout sans le dynamisme et la motivation du groupe. Alors merci à tous pour cette lecture riche de la multiplicité de nos regards.

Ce roman est-il si mauvais à ce point ?
Et bien non, justement, et c'est cela qui est étrange, voire paradoxal. le nom de lecture commune n'a jamais aussi bien porté son nom. Après avoir franchi la barre des mille messages tant cette lecture est singulière et particulièrement riche de réflexions et de questionnements, il reste encore beaucoup d'interrogations après avoir refermé le livre.
Par certains côtés, j'ai trouvé ce roman excessivement intéressant, instructif, prenant, mais par d'autres, je l'ai trouvé long et ennuyeux, impénétrable par les multiples interprétations et même parfois inaccessible par manque personnel de références ou par la volonté de l'auteur de rester évasif.

*
A ce propos, alors que Günter Grass s'engage volontairement dans la Waffen-SS à l'âge de 17 ans, Oscar, quant à lui, lui refuse de grandir et de voir le monde extérieur tel qu'il évolue et devient. Troublant.

Le jour de ses trois ans, Oscar décide d'arrêter de grandir pour ne pas ressembler aux adultes. Au rythme du tambour en fer-blanc, il égrène les événements de sa vie pris dans le mouvement de l'histoire allemande.
Ainsi, il raconte les origines de sa famille et retrace, sur environ un demi-siècle d'histoire, une époque effroyable : l'entre-deux-guerres, l'arrivée au pouvoir du régime nazi, la nuit de cristal, les exactions envers les juifs, la défense de la poste polonaise, le seconde guerre mondiale jusqu'à l'entrée des troupes soviétiques à Dantzig, l'Allemagne d'après-guerre jusqu'aux années 50.

De ces pages, me resteront la force évocatrice de certaines images accompagnées d'odeurs entêtantes, persistantes, agressives, qui rendent la lecture immersive : la rencontre insolite de ses grands-parents maternels dans un champ de pommes de terre sous une pluie froide d'octobre ; un papillon de nuit, témoin de l'étrange naissance d'Oscar sous l'éclairage de deux ampoules de soixante watts ; son cri vitricide le premier jour de la rentrée des classes ; la pêche à l'anguille un vendredi Saint ; l'histoire de Niobée, une figure de proue ensorcelée ; l'érotisme déconcertant de la poudre effervescente de son premier amour.

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Qui est Oscar ?
Je me suis posée la question tout du long de ces presque 800 pages. Jamais un personnage n'aura été dessiné de manière aussi flou et imprécise. Pourtant tout le récit tourne autour de lui, mais l'auteur l'a voulu ainsi, c'est indéniable.
Oscar paraît vouloir se livrer mais en même temps, se cachant derrière les non-dits, des imprécisions qui entretiennent sans cesse le doute et la perplexité. Ce voile, pour moi, ne s'est jamais levé et je suis restée rivée à ce personnage étrange, peu sympathique et malaisant qui se défile comme une anguille quant à sa vie et à cette période sombre de l'histoire allemande.

« … qui parmi les adultes pouvait à cette époque comprendre le mystère d'Oscar, de ses trois ans à perpétuité, de son tambour de fer ? »

Est-il un enfant, un adolescent, un nain, un bossu adulte ?
Est-il un enfant avec des réflexions d'adulte ou un adulte avec un regard d'enfant ?
Est-il resté enfant toute sa vie ou est-il né déjà adulte, porteur d'un regard froid, obsessionnel et distant sur son monde ?
Est-il un simple observateur qui ne prend pas parti, qui ne juge pas ? Est-il un homme qui ne vit que pour lui et se moque du sort d'autrui ? Ou est-il un déséquilibré, un malade mental, un monstre sans émotions ni sens moral, sans empathie ni compassion, un personnage indifférent et insensible à la souffrance et à la mort d'autrui, à la cruauté et à l'inhumanité de la guerre et des hommes ?
Est-il violent, pervers, immoral, sournois, manipulateur ? Ou bien ce détachement est-il sa façon de se défendre, de se protéger de cette époque si violente et barbare ?
Oscar est-il une allégorie ? Et, en ce sens, porte-t-il le fardeau de la responsabilité collective allemande des actes nazis ? Cela pourrait-il expliquer pourquoi Oscar décide de succéder au Christ et de se faire appeler Jésus dans une partie du roman ?
Sûrement est-il tout cela à la fois, un homme aux multiples visages.

« Oscar, c'est-à-dire moi, exprimait expressivement l'image détruite de l'homme, accusatrice, provocante, extra-temporelle, et cependant en communion expresse avec la folie de notre siècle. »

Malgré sa personnalité complexe et son caractère ambigu, Oscar est un personnage fascinant, mystérieux que j'ai adoré suivre dans la première partie du roman. Pourtant, peu à peu, mon intérêt pour lui s'est émoussé, mon attention s'est relâchée, comprenant qu'il me resterait inaccessible, que l'auteur ne me révèlerais pas le fond de sa pensée.

*
Günter Grass entretient également la confusion dans son style, alternant une narration à la première et troisième personne du singulier. J'avoue être restée perplexe sur ce procédé : le changement de point de vue du narrateur donne l'impression qu'Oscar se désolidarise, se dissocie en deux entités, chacune ayant sa propre façon de penser et de se souvenir d'elle-même et de sa vie.
Je me suis même demandée si parfois, le Oscar-adulte ne parlait pas à travers le Oscar-enfant, ce qui aurait pu expliquer pourquoi cet enfant présentait une maturité intellectuelle, langagière et sexuelle.

Après de nombreux échanges dans le groupe, l'explication de l'historien Thomas Serrier m'a convaincue : il y voit un « procédé d'esquive bien connu de Freud et des psychanalystes », le "je" se défaussant constamment sur le "il'' du texte.

Cet éclaircissement, indispensable pour y voir un peu plus clair dans la narration, m'a aussi permis de comprendre mes difficultés à cerner Oscar, d'autant plus qu'est très présent un ton ironique et grotesque, enfantin et faussement naïf qui brouille la ligne de démarcation entre la réalité et la fiction, le vrai et le faux, la religion et le blasphème, l'amour et la haine, l'innocence et la noirceur de l'âme.

Il reste la question du tambour car alors qu'Oscar louvoie entre deux voix / deux voies, il ne fait qu'un avec son tambour. Cette musique rythmée, il m'a semblé l'entendre dans l'écriture scandée de l'auteur, dans ses longues phrases enchaînées par juxtaposition. le tambour semble un prolongement de son corps, c'est sa voix, l'instrument qui lui permet de communiquer.

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C'est un livre dense, très riche, qui se lit lentement pour sonder le passé d'Oscar, pour en apprécier la langue (ou la traduction), le style verbeux presque suranné, l'écriture distante presque désincarnée, les situations tragicomiques illustrées par des images envahissantes, les odeurs prégnantes, les couleurs qui s'imposent au regard, les sensations fluctuantes.

*
Assez éloigné de mes goûts livresques, moi qui aime les romans plus courts et surtout qui ne me laissent pas avec une impression d'inachevé et de questions laissées en suspens, je dois tout de même avouer que j'ai vécu une incroyable expérience littéraire avec cette lecture commune.
« le Tambour » a été un roman difficile à lire : certains passages m'ont impressionnée par leur puissance visuelle et sensorielle, en particulier dans la première moitié du livre. Son réalisme magique et sa valeur historique auraient pu me séduire, mais mon intérêt a eu du mal à se fixer sur l'ensemble des chapitres.
Un roman singulier, étrange, dérangeant, qui fait réfléchir et ne laisse pas indifférent, mais qui amène de trop nombreuses questions sans réponse.

*
Encore un grand merci à tous mes compagnons de lecture sur cette formidable LC : Anna (@AnnaCan), Sonia (@indimoon), Chrystèle (@HordeDuContrevent), Isabelle (@Isacom), Marie-Caroline (@mcd30), Anne-So (@dannso), Delphine (@Mouche307), Bernard (@berni_29), Jonathan (@JonathanLecuyer), et Patrick (@Patlancien). Rien que pour tous nos échanges, cette lecture valait vraiment le coup.
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Il m'aura fallu attendre plusieurs jours pour poser ces quelques mots sur cet immense roman qu'est le tambour.
Avec ce recul, je ne sais toujours pas comment l'appréhender dans son étrange ambivalence.
J'ai eu le sentiment tout au long de ma lecture de tenir dans les mains un monument, mais qu'à regret mon ressenti ne parvenait jamais à se hisser à cette hauteur.
Ce livre m'est tombé des mains non pas tout de suite mais plus tard, presque au-delà du tiers du texte.
Structuré en trois livres, le roman est d'une densité incroyable ; si j'ai été subjugué par la lecture du livre I, les choses ont commencé à se gâter à l'entame du livre II, s'agissant du livre III n'en parlons pas, je n'étais plus dans le récit…
Ce que j'aime découvrir dans un roman, - l'étonnement, le souffle, le rythme, les respirations entre les personnages, la capacité qu'a l'écrivain de créer un pouvoir d'évocation -, me semblaient bien présents dès les premières pages.
Le reste de ma lecture fut pour moi un profond ennui, percevant la puissance narrative du texte mais ne sachant vraiment jamais où Günter Grass voulait m'entraîner.
Tout avait pourtant bien commencé, lorsque la grand-mère du narrateur, jeune paysanne, fait la connaissance de manière insolite avec celui qui deviendra le mari de celle-ci, par conséquent le futur grand-père, celui-ci poursuivi par la maréchaussée trouvant son salut en se réfugiant sous les jupes amples de la jeune femme. Je crois bien que pour ma lecture il m'a manqué un tel salut…
Il me restera pourtant longtemps encore en mémoire des scènes, des images, des odeurs inoubliables…
Je me suis demandé tout au long de ma lecture qui était vraiment Oskar Matzerath, ce petit garçon qui hérite d'un tambour offert par sa mère à l'âge de trois ans et qui le même jour décide de ne plus grandir pour ne pas ressembler aux adultes. Oskar Matzerath devient alors le narrateur d'une histoire autobiographique confuse, témoin lucide et cynique de la folie, figure christique traversant le récit dans les convulsions qui emportent l'humanité.
Ce texte est obscène comme la guerre peut l'être, comme peut l'être le régime qui a engendré la seconde guerre mondiale. Ce roman dit cela, de manière picaresque et truculente, la montée du nazisme, son apogée, sa chute, l'innommable, la barbarie humaine, à partir de scènes de la vie ordinaire d'une ville de Pologne et de ses faubourgs, Danzig…
Je ressors de cette lecture avec bien des interrogations ? Même si je ne cours pas après les récits lisses de certitudes, - j'adore volontiers me perdre sans boussole dans les méandres, les digressions et les malentendus d'un récit -, ici j'aurais tout de même aimé savoir à quel endroit j'étais parvenu.
L'écriture singulière du roman qui est sans nulle doute sa force est-elle issue de la folie ?
Faut-il voir en Oscar Matzerath un personnage aliéné, cela expliquerait l'alternance des pronoms personnels entre le JE et le IL, parfois dans la même phrase ? Cela produit un perpétuel balancement entre le sujet et l'objet du récit, cela crée une double impression entre récit subjectif et objectif. Est-il témoin de l'Histoire, récusant tous les autres témoignages ? Mais le fait qu'Oscar Matzerath se défausse sans cesse du texte qu'il écrit lui-même pourrait expliquer l'aliénation du personnage, rendant impossible la manière de distinguer le vrai du faux.
Oscar Matzerath serait-il par analogie la représentation du peuple allemand se défaussant sur une tentative de lucidité, incapable d'assumer son Histoire, son destin solennel ?
Cette schizophrénie de l'écriture figurerait-elle donc celle d'un peuple allemand à la fois complice du pire totalitarisme qu'est connu le XXème siècle et sidéré de découvrir l'innommable au lendemain de la guerre, incapable de poser des mots, à la manière de ces habitants qui vivaient tranquillement à la périphérie des camps de concentration sans se poser la moindre question ? Il faut alors inventer une écriture à la démesure de cette sidération et ce fut Günter Grass, lui-même déchiré durant toute sa vie par cette ambivalence, qui s'y attela.
Alors Oscar Matzerath se donne la liberté de se mettre en retrait du monde, en décidant de ne plus grandir dès l'âge de trois ans, rythmant au son des roulements de tambour, dans un jeu musical et cynique, la montée du national-socialisme, l'adhésion presque unanime d'un peuple aux valeurs de ce régime, qu'il décrit dans la banalité et la candeur ironique et cruelle qui font le quotidien des peuples qui se mettent docilement à genoux devant leur tyran, révélant des-dessous peu reluisants d'une société qui s'en arrange bien, les ambitions malsaines, le silence, l'allégeance, la complicité, plus tard la culpabilité.
Et si Oscar Matzerath ne nous racontait rien d'autre qu'une scène d'une tragédie shakespearienne ?
« La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s'agite durant son heure sur la scène et qu'ensuite on n'entend plus. C'est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. »
Dans ce récit qui prend parfois l'allure d'un mythe, j'aurais aimé être renversé dans le vertige de ce désastre, comme je le fus dans Voyage au bout de la nuit.
Il y a en effet dans le parcours initiatique d'Oscar Matzerath, ce personnage qui se confond peu à peu avec son jouet, l'obsession d'un tambourinage qui devient sa bouche, sa parole, ses gestes et rythme son parcours, dépassant le simple récit autobiographique.
Tout ceci aurait pu rendre ma lecture vertigineuse et incandescente… J'ai cherché en vain à revenir dans l'inspiration des jupes de la grand-mère mais le vent les avait déjà emportées dans la folie humaine.

Un grand merci à notre ami Pat (@Patlancien) de nous avoir proposé cette lecture commune qui a suscité bien de riches échanges. Merci aux autres aventuriers de l'équipage : Anna (@AnnaCan), Anne-So (@dannso), Chrystèle (@LaHordeDuContrevent), Delphine (@Mouche307), Isa (@Isacom), Jonathan (@JonathanLecuyer), Marie-Caro (@mcd30), Sandrine (@HundredDreams), Sonia (@indimoon) …
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A la naissance d'Oskar Matzerath en Pologne au début des années 30, ses parents lui firent deux promesses, sa mère celle de lui offrir un tambour le jour de ses trois ans et son père celle de le faire hériter de la boutique familiale dès qu'il aura atteint l'âge adulte. Si la première idée l'enchante, la seconde en revanche lui répugne profondément (comme vous l'avez noté, c'est un nourrisson qui cogite déjà beaucoup, l'Oscar…) L'enfant prend alors une grave décision : le jour où on lui confiera son tambour, il cessera de grandir et conservera à jamais l'âge de ses trois ans, afin d'échapper aux écoeurantes responsabilités des adultes et de se consacrer à la seule véritable occupation digne de lui, à savoir jouer du tambour. Et ainsi fera Oscar. Malgré les bouleversements familiaux, les convulsions qui agiteront la Pologne et l'Allemagne et les hurlements délirants des meutes nazis, il ne vieillira, ni ne grandira plus d'un seul pouce. Mais en apparence seulement, car, sous ses faux airs de gamin attardé, Oscar est un véritable génie manipulateur qui prend un malin plaisir à se moquer du monde des adultes, bien à l'abri derrière ses baguettes de tambour.

Ecoutez, amis lecteurs, écoutez ! Oscar va battre pour vous la marche de l'Histoire et des armées ! Il vous jouera les infidélités de sa mère, la mort de ses deux pères, les jupes de sa grand-mère, ses propres multiples aventures sexuelles, la chute de la Poste Polonaise, les trompettes des jeunesses hitlériennes, l'incendie de la boutique de jouets du vieux Markus, l'invasion de Dantzig par les troupes russes, le débarquement américain en Normandie, les dancings et les asiles de Düsseldorf… Mais, tout en écoutant, méfiez-vous, car Oscar n'est pas seulement un manipulateur, mais aussi un sacré petit bonimenteur tout à fait indigne de confiance. Et, si vous tendez assez l'oreille, vous pourrez entendre, dissimulé sous le roulement de son tambour, le ricanement sinistre de la Sorcière Noire, le monstre qui sommeille dans chaque coeur humain et gronde au sein de chaque foule en furie. « La Sorcière Noire est-elle là ? Ja, ja, ja ! »

Pfiouuu… Eh ben, il n'a pas été une mince affaire à finir, ce bouquin ! Non qu'il n'ait pas amplement mérité sa renommée et sa qualité de classique de la littérature du XXe siècle, mais il peut difficilement être taxé de roman « facile ». le tout demande déjà d'avoir un estomac solidement accroché pour supporter la noirceur constante et le cynisme mordant des grinçantes mémoires d'Oscar. Il a de l'humour pourtant, l'horrible petit bonhomme, mais un humour coupant et féroce qui nous fait plus souvent sourire jaune que rire aux éclats.

Le style n'est pas non plus des plus aisés ; touffu, excentrique, frôlant parfois le surréaliste, il demande un constant effort de concentration au lecteur pour être apprécié à sa juste valeur. Et encore… J'avoue que durant certains passages (assez rares heureusement) où le tambour d'Oscar s'emballait, enchaînant métaphore et pirouettes stylistiques, mon pauvre cerveau de lectrice lambda se laissait déborder et je lâchais sagement prise, me laissant porter par le tempo des mots sans chercher à percer leur sens outre-mesure. Je ne regrette pas pour autant d'avoir tenté l'expérience. Aussi complexe et dense soit-il, « le Tambour » reste un sacré moment de lecture et nombreuses sont les scènes qui m'ont marquée par leur puissance et leur force évocatrice. En conclusion, un roman très satisfaisant, mais que je ne relirai pas de sitôt. Ma petite tête n'y survivrait pas…

(Autre petit inconvénient : la chanson « Petit tambour Pa-ra-pam-pam-pam » qui m'a tournée sous le crâne pendant l'intégralité de ma lecture. Ca n'a l'air de rien comme ça, mais je vous jure, qu'au bout de 600 pages, on finit par avoir les nerfs en compote. Argh, argh, argh, j'aurais jamais dû en parler ! Maintenant, je l'ai de nouveau dans la tête, pauvre de moi…)
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A travers le récit autobiographique d'un nain né près de Dantzig, "Le Tambour" jette un regard insolite sur l'histoire allemande, pendant la première moitié du vingtième siècle, . Ce procédé permet à Gunther Grass de s'appuyer sur une vision infantile pour développer un ouvrage étonnant, fourmillant d'humour noir.
Oscar Matzerath, le personnage principal, ayant décidé à l'âge de trois ans de ne plus grandir pour ne pas ressembler aux adultes, raconte ce dont il a été le témoin de sa hauteur de 94 centimètres. Caché sous les tables, les lits, les tribunes, il est un témoin privilégié du désordre du monde. Il est au moment de se souvenir interné dans un établissement psychiatrique.
On voit donc grouiller un univers grotesque et mystérieux dont la logique n'est pas la nôtre, mais qui éclaire le monde et les hommes mieux que les récits auxquels nous sommes habitués.
Portrait de l'Europe pendant la montée du nazisme, cet ouvrage est pour moi fondamental, essentiel, incontournable. Je manque d'ailleurs de qualificatifs pour exprimer véritablement ce que j'en pense. Non seulement ce livre est original, innovant, osé, bien documenté, d'un style carrément nouveau (publié en 1958) mais il est en plus très agréable à lire ( dans ses traductions les plus récentes – Il semblerait que les premières éditions en français n'aient pas été toutes aussi réussies).
Prenez le temps de le lire, (je l'ai fait personnellement deux fois) C'est de la très belle littérature.
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Le monde des adultes est laid du côté de Dantzig dans les années trente, et Oscar décide à trois ans de cesser de grandir. Ce roman est le récit par Oscar de l'histoire de sa famille, depuis la rencontre de ses grands-parents maternels jusqu'à ses trente ans en 1954. Et évidemment à travers ce récit, l'histoire de l'Allemagne. Oscar est un narrateur peu fiable, fantasque, qui parle de lui-même tantôt à la première personne, tantôt à la troisième personne, de façon imprévisible (parfois dans la même phrase). Il culpabilise pour la mort de ses parents alors que son récit ne va pas vraiment dans le sens d'une responsabilité sérieuse. le récit est grosso modo chronologique, mais pas tout à fait linéaire car il y a quelques allers-retours entre le passé et le présent d'Oscar (en 1954 dans un asile). Oscar n'est pas particulièrement attachant, il est trop cynique pour cela, et s'il rejette l'hypocrisie et les compromissions des adultes, il finit par se comporter de manière égoïste et opportuniste. Les autres personnages sont encore moins sympathiques. Mais quel style! Très novateur à l'époque, il a influencé bien des écrivains depuis : Gabriel Garcia Marquez, Michel Tournier, John Irving, Mario Vargas Llosa, Salman Rushdie, .... Pour peindre l'évolution de Dantzig au fil du temps Günter Grass s'est attaché à des petits détails (par exemple le portrait de Beethoven remplacé par celui du Führer dans le salon). Tous les événements historiques sont vus d'en bas, à hauteur d'enfant, d'adolescent ou de petites gens. le roman est plein de scènes extraordinaires, burlesques et mémorables : le début avec sa grand-mère kachoube, la pêche des anguilles, la poudre effervescente, l'attaque de la Poste polonaise, … C'est tout à la fois grotesque, sacarstique, burlesque, baroque, vertigineux ! La seule scène que j'ai peu apprécié est la scène hallucinatoire à connotation biblique où le Jésus d'une statue prend vie, pour moi cette scène frise le ridicule et me laisse perplexe contrairement aux autres. Bref, le style est déroutant jusqu'au bout avec une distorsion du temps, complètement étiré, lors d'une sortie du métro par l'escalator. Dire qu'en plus c'est le premier roman de l'auteur ! Comment se peut-il que ce roman ne figure ni dans les indispensables du Monde ni dans la liste de la BBC ? Pour moi c'est un roman majeur, à lire absolument !
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Il est des objets, bien qu'inanimés et parfaitement immobiles, dégagent un pouvoir à la fois attractif et repoussant ; d'autant plus que dans le cas présent, le premier contact en fut alléchant et instaura un climat de confiance, qui bien que surfant sur mon enthousiaste naïveté, m'accrocha en me promettant de belles choses.
Il a donc pris place sur le piédestal des objets de confiance, ceux qui t'exfiltrent de l'obscure, parfois fade, nasse qui constitue notre quotidien. Il trônait fièrement sur son trône entouré de coussins et de plaids, lui cette brique d'un blanc polaire. Il aimait attirer les regards, arrogamment, il s'exposait dans son habit éburnéen comme par esprit de contradiction avec son support d'ébène.
Un détail aurait dû éveiller mes soupçons, car vous le pressentez, ce ne fut pas la parfaite histoire d'amour. Sur le plus grand de ses côtés exposés, sa virginité colorimétrique était entachée d'une balafre, une balafre faite de triangles blancs imbriqués dans d'autres triangles, eux rouges : comme un sourire carnassier criant qu'il allait me dévorer, moi l'outrecuidant lecteur qui pensait comprendre les mystères de ce pavé.

Car oui, c'est de ce pavé édité chez Points dont je vais vous parler, le Tambour de Monsieur Grass.
Que cette lecture fut ardue, elle a éveillée en moi des sentiments que je n'avais jamais rencontré en lisant. Je fais partie de ceux qui aiment, quand le support est adapté, chercher le sens des images et des messages cachés par l'auteur et souvent travesti par sa plume, comme un jeu de piste en filigrane de l'intrigue. Et avec le tambour, j'ai douté de moi, de mes facultés à comprendre ce que je lisais. Faisant naître par endroit un désintérêt pour le livre, comme vexé. J'ai mis trente jours pour le lire, attention, je ne suis pas le lecteur le plus vorace, mais je pense que cela constitue un record. Je suis également monomaniaque, je lis un livre à la fois et bien pour la première fois, j'ai entrecoupé ma lecture à deux reprises… Je ne concevais pas l'abandon, je n'y suis pas coutumier et surtout que j'avais été invité par Chrystèle @HordeDuContrevent à participé à une lecture commune. Chrystèle, envoyé comme une apôtre de Patrick @Patlancien, à l'origine de cette machiavélique LC. Je crois bien que cette LC fut une planche de salut, comme un exutoire où tous pouvions échanger nos questions. Car ce livre laisse plus de questions qu'il n'amène de réponse.

Le tambour, c'est l'histoire d'Oscar jusqu'à ses trente ans, raconté par Oscar lui-même depuis son lit d'hôpital dont on ne sait pas réellement la nature ; s'agit-il dans un hôpital classique ou bien d'un établissement psychiatrique ? Après avoir lu le livre, je pencherais pour la seconde option.

Oscar est un narrateur auquel il est difficile de s'attacher, tout d'abord à cause d'un point particulier que je n'ai pas réussi à clarifier, il utilise en alternance la première et la troisième personne du singulier pour parler de lui. Cela m'a perturbé, je ne comprenais pas pourquoi cette alternance, et je n'ai pas compris au final. Pourtant, tout débutait bien, Oscar racontait son histoire non pas depuis sa naissance, mais depuis la rencontre entre ses grands-parents le jour de la conception de sa mère. Ce premier chapitre était comme une première dose qui était faite pour me rendre accro, une histoire burlesque racontée comme un conte. Je me souviens même au début avoir trouvé une ressemblance avec « cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez, dans le ton et le style. Une quantité de détails parfois inutiles, mais qui confine au grotesque et assoit ce côté conte.

Puis le sentiment s'est estompé, au fil des chapitres, ou toujours en quête de trouver un sens, je me perdais dans mes réflexions. Au moment où je pensais avoir trouvé un sens à ma lecture, aussitôt le chapitre d'après, toutes mes certitudes s'effilochaient, retour au point de départ : où veut me mener l'auteur ? Puis vint le temps de la reddition, je m'avouais vaincu, je me contentais de lire ce que j'avais sous les yeux, des fois perdus dans mes pensées. Par moments, un chapitre me choppait, pour des raisons variées, le thème, les personnages, la péripétie.
Car au final, j'ai eu presque le sentiment de lire chaque chapitre comme une nouvelle inscrite sur une ligne temporelle chronologique.
Et dans le Tambour, vous allez en croiser des personnages, une foultitude, bigarré, comique, caricaturaux, loufoque, excentrique, mais jamais lisse. Même dans la mort, il y a toujours quelque chose de grotesque.
Je m'égare un peu, je vous disais qu'il était difficile de s'attacher à Oscar, pas seulement pour ce que j'ai évoqué plus haut, également pour le personnage en lui-même, une sorte d'anti-héros. Il n'a pas une moralité des plus saines notre tambourin, loin de là. Au cours de son histoire, il rencontrera un personnage nommé Bebra, tout comme Oscar un nain, il le considérera comme son maître. Ils se croiseront à plusieurs reprises et à la dernière ce fameux Bebra adressera à Oscar une diatribe, que j'ai trouvé particulièrement acerbe récapitulant ces méfaits majeurs. Ça faisait presque plaisir de le voir se faire tancer, lui qui n'a jamais voulu grandir, se réfugiant dans une sorte de jeunesse éternelle pour ne pas faire face à ce qui le dérangeait.

Bien évidemment, vous ne l'ignorez pas, c'est inscrit sur la quatrième de couverture, Oscar à refusé de grandir pour ne pas devenir adulte et se confronter aux problèmes ; il est resté physiquement un enfant de 3 ans. Mais il grandira à un moment donné, comme s'il avait enfin décidé qu'il était temps de vivre sa vie d'adulte. Cependant, il gardera des séquelles sous forme d'une bosse, comme un fardeau.

Il aura une vie riche en événement, des échecs, des réussites. Il ne faut pas oublier que le roman se déroule à l'époque de la Seconde Guerre mondiale et son après. Gardons à l'esprit que l'auteur est allemand et contemporain de l'époque, sans doute donc une vision bien différente de la nôtre français.
D'ailleurs, la transformation physique d'Oscar, sa croissance éclair interviens après la fin de la guerre, comme un symbole du nouveau départ de l'Allemagne, mais qui garderas des traces : la bosse. Il y a certaines images fortes et des thèmes qui sont chers à l'auteur, notamment la religion qui en prend pour son grade, c'est de ce côté où j'ai trouvé certains angles intéressants.

Puis le chapitre qui m'a aidé à considérer que notre Oscar était un poil fabulateur sur les bords et le chapitre écrit pas Bruno. L'ensemble du livre est écrit depuis le pdv d'Oscar sauf un unique chapitre ou parce qu'il a les doigts gonflés ce jour-là, c'est Bruno qui couche sur papier les souvenirs d'Oscar. Son infirmier amène ses propres commentaires au récit et on comprend qu'Oscar, enjolive, ment, omet et parfois par méconnaissance se trompe dans ses souvenirs. Un coup de pied dans le château de cartes en somme, ou tu comprends qu'au final que ton narrateur te mène en bateau.

Au final, beaucoup de frustration avec cette lecture, mes camarades ont produit des critiques beaucoup plus éloquentes que la mienne et je vous invite à aller les lires. Je suis ressorti lessivé, ou comme je le disais ce matin au groupe de la LC, desséché ! Cependant, je tiens à souligner la qualité du travail de l'auteur, car écrire un tel pavé aussi riche d'informations est prodigieux, le tout souligné par une plume fantasque.

Cette chronique vient clore une lecture que je ne suis pas prêt d'oublier, pas pour les mêmes raisons qu'un coup de coeur, mais c'est une lecture qui laisse des séquelles, tout comme la bosse d'Oscar, j'aurais désormais cette bosse dans ma bibliothèque. Puis cette lecture fut ma toute première lecture commune ce qui fera de ce livre un événement dans ma vie de lecteur.

Je remercie donc mes camarades, en plus de Chrystèle et Pat nommés plus haut, Anna (@AnnaCan), Anne-So (@dannso), Bernard (@berni_29), Delphine (@Mouche307), Isa (@Isacom), Marie-Caro (@mcd30), Sandrine (@HundredDreams), Sonia (@indimoon).
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