Encore une fois avec ce livre reçu en échange d'une critique, je découvre un nouvel auteur et un nouvel éditeur. Je suis à chaque fois ébahie par la prolificité des éditeurs, par les projets qu'ils ont et la richesse du catalogue qu'ils mettent ainsi à notre disposition. Je mesure la chance que l'on a, en tant que lecteurs francophones, d'avoir à notre disposition un tel foisonnement. Et quand ce que l'on découvre c'est un livre aussi chouette que celui-là, c'est encore mieux !
Nitassinan, c'est un bout de terre, d'abord territoire du peuple innu, maintenant incorporé à la région du Québec. Ce que se propose ce livre, ce n'est pas moins que retracer les changements subis par cette région depuis l'arrivée des premiers Européens sur ses rivages. Les éditeurs parlent d'un roman à la croisée du roman historique et du nature writing. C'est plutôt une bonne description, sauf que je ne dirais pas que c'est un roman. Pour moi, il s'agit de 9 nouvelles, certes toutes situées au même endroit et classées par ordre chronologique. Il y a donc une vraie unité dans ce recueil qu'il faut absolument lire en entier et dans l'ordre, mais on ne peut pas vraiment parler de roman.
Mais cela n'enlève rien à ce livre, qui m'a entraînée dans des lieux qui me font souvent rêver, mais qui ne sont pas pour moi qui admire et déteste le froid en même temps.
Julien Gravelle, Franc-comtois d'origine, connaît bien cette zone, qu'elle a choisie pour y vivre, et c'est donc un livre très personnel, qui rend hommage à un territoire, au mode de vie qu'il a engendré et à ceux qui l'ont habité.
Les nouvelles sont diverses, mais sont toutes plutôt sombres. Elles montrent les changements de mode de vie par toute une foule de détails, que ce soit les changements d'armes pour la chasse et le travail des carcasses, les changements de langue, de prénoms… Les croyances et la religion tiennent une grande place tout au long du livre, et c'est normal puisqu'elle est l'essence d'une culture, sa partie la plus visible et souvent la colonne vertébrale d'une société. La façon dont la rencontre entre les croyances traditionnelles et celle du dieu unique sont exposées est très intéressante, avec une prise en compte de toutes les incompréhensions de part et d'autre. Puis ensuite, quand la religion chrétienne domine sans contexte, j'ai bien aimé que cette opposition soit remplacée par une réflexion sur la religion d'Abel et celle de Caïn, qui fait d'ailleurs écho à la citation de Jacques Cartier citée en exergue de ce livre : « C'est certainement là, la terre que Dieu donna en héritage à Caïn. » Belle et intéressante analyse menée avec délicatesse tout au long du livre.
Et à chaque fois,
Julien Gravelle se concentre sur les hommes qui sont en harmonie avec leur milieu, ou qui la cherche, il s'intéresse aux perdants, ceux qui n'ont pas écrit l'histoire, ceux qui ont vu leur mode de vie mourir avec eux. Ce sont les renoncements quotidiens qui sont décrits ici. Et dire cela, ce n'est pas dire que ce livre est triste. Tous ces personnages sont libres et vivent de cette liberté qu'ils respirent, ils ne sont même pas tous amers face aux changements, et ils voient le monde s'y adapter, ils prennent acte. La vie au bois a changé, mais elle est toujours possible et la dernière nouvelle m'a d'ailleurs surprise avec la conclusion (provisoire) qu'elle apporte à cette histoire d'un lieu.
Et puisque le lieu est bien le personnage principal du roman, un lieu que l'on habite, que l'on aime, que l'on prend en grippe, que l'on abîme aussi, mais un lieu qui est autant par ceux qui le peuplent que par lui-même, alors peut-être qu'il s'agit bien d'un roman plutôt que d'une suite de nouvelles. Un roman qui mérite que l'on fasse rentrer le froid dans son cocon de lecture, pour découvrir ce lieu, ces habitants, et un roman que j'ai pris un très grand plaisir à lire.