C'est la première fois qu'elle voit un cadavre en vrai et son corps se révolte. Il veut faire demi-tour dans l'entrée étroite, sortir en courant dans la neige et ne plus jamais revenir. Mais elle s'oblige à se tenir immobile. Elle inspire profondément, compte lentement jusqu'à trois et expire.
Un, deux, trois. Respire.
Un , deux, trois. Respire.
Tout tourne en rond. L'histoire se répète.
C'est simplement que nous ne le voyons pas.
Mais les années savent ce qu'ignorent les jours.
Elles sont bien toutes les deux, Tove et elle. Elle n'a pas besoin d'homme dans sa vie ni de père pour sa fille.
Les hommes ne servent à rien, elle l'a appris très tôt. Si sa mère l'avait compris, bien des malheurs auraient pu être évités.
[Les étoiles] sont de minuscules orifices à travers lesquels on aperçoit l'éclat du paradis.
La main serre délicatement sa jambe.
C'est insidieux. Le toucher est lèger et la main placée exactement au bon endroit, juste au-dessus du genou, pas trop haut sur la cuisse. C'est osé, mais ce n'est pas vraiment une faute. Cela pourrait être un geste amical entre collègues.
Pourtant, elle SAIT, et cette prise de conscience creuse entre eux un abîme qui ne se refermera jamais.
Son visage est parsemé de taches de rousseur de toutes tailles, comme des îles jetées au hasard dans un océan. L'une d'elles, bien plus grosse, plantée à la racine de son nez, rappelle à Britt-Marie un des continents sur un planisphère, mais elle ne parvient pas à déterminer lequel.
La géographie n'a jamais été son fort.
Les gens font souvent des enfants par égoïsme, comme une sorte de réalisation de soi plutôt qu'un projet altruiste.
N'est-il pas absurde que, dans notre société moderne, certaines personnes ne soient pas libérées de la croyance millénaire que la valeur d'une femme dépend de sa capacité à mettre au monde des nourrissons replets à intervalles réguliers ?
Quand on y pense, l'idéal de la famille nucléaire est extrêmement réactionnaire.
- Vous savez ce qui est le plus dur ?
Sans attendre leur réponse, elle continue :
- Le pire, c'est de ne pas savoir qui il est. Ça pourrait être n'importe qui. Le vieux monsieur qui promène son basset boiteux sur la place Nyortget, un voisin, un collègue. L'homme assis en face de moi dans le métro avec un livre ou le type qui appelle pour vendre des abonnements à des journaux. Vous voyez ce que je veux dire ? Tous les hommes sont l'Assassin des bas-fonds, bien que je sache que ce n'est pas le cas.
- Je comprends, répond Linda.
Yvonne esquisse un sourire indulgent et pose sa tasse.
- Non, ma chère, vous ne pouvez pas comprendre.
Tout événement a des conséquences et toute fin est le début d’une nouvelle histoire.
" Nolite te salopardes exterminorum.
Ne laissez pas les salauds vous tyranniser."
Margaret Atwood, La Servante écarlate