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Critique de DameOdessa


Putain !! (je tiens à préciser que chez nous dans le Sud, « putain » c'est de la ponctuation, pas un juron. Fermons là la parenthèse culturelle.) Je disais donc « Putain », je déteste décidément la politique d'édition de Bragelonne ! Alors oui, c'est cool de profiter d'ouvrages à 10€ pour célébrer leur 10ème anniversaire, c'est cool de se dire que comme ça on fait des économies et qu'on a une série complète en un tome… c'est beaucoup moins cool d'accrocher au dit récit, d'arriver à la fin, de s'apercevoir que les questions cruciales restent en suspens et de découvrir au final en parcourant internet que Bragelonne n'a traduit et édité que 3 tomes sur les 12 que comptent cette série. Donc putain !!
C'était le coup de gueule de démarrage…

Revenons en donc au Nightside et aux enquêtes de John Taylor.
Quand Sin City rencontre Sigil de Planescape…
Voilà l'impression que j'ai eue lors de ma première plongée dans le Nightside et qui ne s'est jamais démentie au fur et à mesure de la progression des aventures de Taylor.
Le Nightside c'est le lieu où Marylin Monroe (la vraie hein !) joue les coursiers, où un mafieux russe vend des gros calibres à des croisés néo-chrétiens, où le IVème Reich côtoie des bikers de Neandertal et où vous pouvez boire du vrai coca des années 60 pendant que ce qui ne fait que ressembler à des voitures dévore les imprudents qui passent trop près de leur jantes chromées. Bienvenue dans le Nightside où tout est possible et où la logique a depuis longtemps atteint ses limites.
Et vous savez quoi ? En dépit de cet amalgame hasardeux de références, d'époques, d'ambiance, ça marche ! On y croit, on est transporté dans cet univers que l'auteur sait si bien décrire et on se prend à rêver à arpenter les rues éclairées par des néons criards de cette Londres alternative qui se nourrit des vices de ceux qui viennent y chercher leur déchéance. C'est cru, abject parfois, toujours décalé mais au final la lecture nous entraine dans cette perversité morbide où le pire est toujours à venir.

Or ce n'est pas la galerie de personnages tous plus hétéroclites les uns que les autres –mais néanmoins très attachants- qui va être en mesure d'apporter un semblant d'équilibre moral. de John Taylor, héros tourmenté pour qui la fin justifie les moyens, à Eddie le Rasoir, le Dieu punk du meurtre, redoutable et impitoyable qui n'hésite pas à vendre son vieux pote pour se libérer d'une dette, en passant par Suzie la Mitraille, dite Suzie Bang-Bang, alias « Oh mon Dieu, non c'est elle ! Fuyez ! », les romans de Simon R. Greene nous décrivent tout un casting de durs à cuire, sans foi, ni loi (ou plus exactement avec une conception de la loi toute personnelle) qui sont bien loin des habituels héros parés de vertus et de miséricorde. Et ça fait un bien fou ! Car en dépit de leurs petites manies meurtrières, tous ces protagonistes sans exception ont une réelle humanité, un petit truc qui les rend uniques. L'auteur ne joue pas la carte de la facilité en demeurant sur l'impression première qu'il donne de ses personnages, on les découvre au fur et à mesure, on découvre leurs failles, leurs secrets, notre regard évolue en même temps qu'eux et on apprend à les connaitre. de ce fait, l'absurdité crasse, la violence écoeurante du Nightside finissent par apparaitre sous un jour nouveau à la lumière des révélations sur ceux qui le peuplent.

Bien qu'auréolé de tous les mystères, John Taylor ne vampirise pas l'intrigue et les personnages qui gravitent autour de lui sont suffisamment intéressants pour lui ravir plus d'une fois la vedette. John est l'archétype du priva tel qu'on se l'imagine, blasé, cynique, il n'a rien à envier aux héros de Raymond Chandler ou Dashiell Hammett… à la différence près qu'au calibre 12 il préfère son don… qui est aussi sa malédiction. Ce qui est intéressant dans le traitement du personnage c'est que si son histoire personnelle est le fil rouge des récits, elle n'intervient que ça et là, émaille ses enquêtes par des touches plus ou moins subtiles. Taylor est un professionnel qui tente –avec plus ou moins de réussite- de ne jamais laisser ses propres problèmes prendre le pas sur ses enquêtes, même si plus d'une fois il se retrouve malmené par les événements. Hormis cela, il a une façon bien à lui de régler les problèmes –on n'imagine pas tout ce que peuvent faire du sel et du poivre-, en bon fouineur il lui arrive de tomber sur un os –dans ce cas là les siens brisés menus- et il nous rappelle que parfois un ennemi est un bien meilleur allié qu'un ami (le passage avec Confesse est édifiant). A la réflexion, on se demande bien qui est réellement ami avec John Taylor puisque il semblerait que tout le monde ait essayé au moins une fois de le tuer…
C'est aussi ce qui est original dans le traitement des relations des protagonistes ; la franche amitié n'a pas vraiment lieu puisque John risque à tout moment de se faire poignarder dans le dos mais paradoxalement ce sont les salauds magnifiques qui l'entourent qui sont encore les plus dignes de confiance dans leur perversité sadique. Suzie Bang-Bang en est un des exemples le plus représentatifs ; celle qui a visionné au bas mot une centaine de fois Easy Rider et qui ne se complait que dans le carnage répond toujours présente quand il s'agit de lui apporter un petit coup de main providentiel… et noyé sous le plomb. Alors même qu'elle a déjà essayé de le tuer. le personnage qui apparait comme une machine à tuer dépourvue de la moindre étincelle d'humanité et de féminité se révèle au fur et à mesure de plus en plus attachante et admirable. D'autres personnages sont tout aussi succulents tout comme Alex Morrissey, le tenancier du Horla, plus vieux bar du monde, colérique, aigri, grincheux, désabusé, râleur qui maudit John a chacun de ses passages dans son bar… et qui pourtant l'y accueille toujours avec une forme de sympathie bougonne. Et ils seraient nombreux les antihéros que l'on pourrait référencer. J'ai néanmoins eu un petit coup de coeur pour Dead Boy qu'on ne rencontre que tardivement dans le recueil ; gamin de 17 ans mort assassiné que sa rage a maintenu dans un état de conscience au milieu d'un corps mort et qui maintenant accepte les plus sales boulots. Dead Boy a un humour noir, il ne fait pas dans la finesse, se moque du danger –il est déjà mort après tout- rafistole ses blessures avec des agrafes et de la super glu et pourtant il est capable d'une grande empathie tout en étant doué d'un sens de l'observation extraordinaire qui seront la clé de la résolution de l'enquête de Taylor.

Quid desdites enquêtes alors ?
L'« intégrale » (le mot m'écorche la bouche, désolée) se compose de trois enquêtes bien distinctes qui peuvent être lues séparément même si l'élément fil rouge de l'histoire de Taylor est toujours présent pour nous guider à travers la complexité du Nightside.
« De Vieux Démons », la première partie, pose réellement les bases de l'histoire et de l'univers. Avec le personnage de Joanna qui est propulsé au milieu de ce monde à part, on découvre peu à peu cette réalité distordue et ses règles, guidé par Taylor qui, tout en connaissant quasiment tout de la face obscure de Londres, ne révèle qu'au compte-gouttes ses spécificités. C'est aussi lors de cette enquête au cours de laquelle Taylor a été engagé pour retrouver une jeune fugueuse que l'on fait la connaissance de la plupart des personnages clé de cet univers, Suzie, Eddie, Alex et les Équarrisseurs, les monstres qui poursuivent John depuis sa plus « tendre » enfance. A mon sens, si ce premier tome a le mérite de nous faire découvrir le Nightside, c'est également le moins abouti, il lui manque un certain rythme et certains détails sont trop rapidement effleurés comme si l'auteur n'avait pas pu –voulu ?- prendre le temps de nous en apprendre plus sur sa création. Certains rebondissements sont également aussi hélas prévisibles. Néanmoins ça se laisse lire et l'univers est assez original pour nous entrainer dans sa folie et nous inciter à découvrir la suite.
La deuxième enquête « L'Envers vaut l'Endroit » est pour moi indubitablement la meilleure ! J'ai été complètement happée par ce récit qui se déroule sans temps morts mais qui surtout est un délice tant dans les péripéties des héros, que les révélations qu'il renferme ou même l'ambiance d'Apocalypse. C'est réellement une histoire où les frontières du Bien et du Mal s'effondrent, où les Anges sont des psychopathes fanatiques qui n'ont rien à envier leur contrepartie ténébreuse et où même un monde aussi corrompu que le Nightside n'est pas loin de se voir anéanti par la guerre qui fait rage entre forces des Ténèbres et de la Lumière. Cette atmosphère de fin du monde, ce suspens permanent qui entoure le devenir incertain de ce monde à part, cette absence totale de repères moraux où sont abolies les règles pourtant chaotiques du Nightside donnent un relief particulier à l'intrigue. Tout à coup, c'est comme si toutes nos certitudes volaient en éclat, qu'il fallait redéfinir un schéma de pensée, plonger en nous afin de revoir nos conceptions étriquées. C'est un fragile équilibre auquel John se retrouve confronté et pour lequel il ne possède aucune solution concrète. C'est pour cette raison que la révélation qui intervient à la toute fin de l'histoire au travers du personnage de Jude est dans son ambigüité saisissante et terriblement émouvante…
Quant à la troisième enquête, on a une impression de déjà-vu avec l'histoire d'un père qui engage Taylor pour retrouver sa fille disparue. Néanmoins « La Complainte du Rossignol » s'éloigne bien vite du premier récit et se révèle emplie de mystères insolubles sur lesquels l'auteur ne lève le voile que durant la toute dernière partie de l'histoire. Ce troisième tome est également différent en cela qu'il introduit de nouveaux personnages, donc une nouvelle manière d'appréhender l'ensemble du récit, mais également qu'il met Taylor dans une situation particulièrement inconfortable, à plusieurs points de vue. Tout en restant purement romancée, l'histoire en elle-même cache une sévère critique du show-business, de l'adoration des fans vis-à-vis de leur idole et d'une certaine manière c'est peut-être le récit qui a le plus de prises avec le monde réels et donc nous laisse un goût particulièrement amer une fois l'historie terminée.
Amère et frustrant ! Car à moins d'acquérir les livres en anglais, ce que je compte faire, il n'y a aucune fin réelle aux aventures de Taylor et les nouvelles découvertes, les nouveaux personnages et avec eux les nouvelles perspectives qui s'ouvraient sont définitivement étouffés par les lois de l'édition.
Non exempte de quelques menus défauts, la série Nightside est néanmoins un univers particulièrement original à découvrir et à savourer que je recommande vivement. Pour les plus rôlistes d'entre vous, elle constitue une excellente base de travail pour des scénarios facilement adaptables et transposables à des aventures pleines de panache et de délicieux chaos !
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