Me voilà bien embêtée au moment de déposer quelques mots sur ma découverte de "
Grimoire Noir" parce que je crois qu'au fond, ma lecture m'a un peu déçue... et je trouve -je sais, c'est paradoxal!- que c'est un ouvrage si beau, si pleins de qualités que ça me fait vraiment de la peine de ressentir ne serait-ce qu'une once de déception. Enfin, puisque le vin est tiré...
"
Grimoire Noire" se présente comme un roman graphique destiné aux adolescents, les éditions Glénat le font même figurer dans cette catégorie "young adult" dont je trouve toujours les contours un peu flous, hybrides (et d'ailleurs, peut-être est-ce de là que naît mon sentiment de déconvenue...) et c'est une merveille, vraiment, de la couverture à la toute dernière page. Les graphismes de Yana Bogatch -dont le style est pourtant très loin de ce qui je recherche et aime habituellement- sont absolument magnifiques. J'en ai aimé le trait, la sensibilité, le romantisme, la poésie. J'en ai aimé la précision et la vivacité. La douceur et la noirceur aussi. J'en ai aimé la mise en couleurs très sombre, mélancolique jusqu'à la tristesse. "
Grimoire noir" m'a eue, happée, ravie par la force de ses dessins, par l'univers et la "patte" qui s'en dégage. Cette couverture... C'est une amie qui possédant le livre me l'avait montré et c'est en pensant à la couverture qui me hantait encore que j'ai fini par craquer. Je suis faible, je sais.
Quant au résumé de l'intrigue, lui aussi m'attirait follement, et puis avec son histoire de sorcellerie, ses promesses de brumes, il était de saison. Je me suis donc plongée à corps perdu dans le grimoire, mais l'enchantement que j'espérais n'a pas eu la force escomptée et le sort a fini par se lever, comme la brume. La magie parfois ne dure qu'un instant et c'est déjà un beau cadeau.
Blackwell, Etats-Unis, à une époque qui ressemble furieusement aux années cinquante d'Humphrey Bogart et
Lauren Bacall.
Il pleut. Depuis des jours, des trombes d'eau s'abattent sur la petite ville, transformant les chemins en torrents de boue et le centre-ville en petite Venise américaine.
Il pleut parce qu'une femme pleure, littéralement et il pleuvra tant que sa peine ne s'apaisera pas.
Cette femme, tout comme ses concitoyennes est une sorcière, une magicienne et Blackwell est la seule ville du pays qui autorise l'usage de la magie et qui permette à celles qui la pratiquent de vivre en paix. Ainsi, ici, elles sont les bienvenues et vivent en famille auprès des leurs. Les hommes qui partagent leurs vies n'ont en revanche aucun pouvoir, mais personne ne semble s'en offusquer. C'est ainsi.
Si la ville menace d'être engloutie sous des trombes d'eau, c'est parce qu'une enfant a disparu. La petite fille de la pauvre mère qui ne parvient pas à calmer son chagrin et son inquiétude et du shérif de la ville dont l'enquête piétine. le fils aîné de ce couple rongé par l'inquiétude, Bucky Orson, quinze ou seize ans décide alors de prendre les choses en main et de mener sa propre enquête. Pour cela, il renoue avec son amie d'enfance, Chamomile, adolescente mystérieuse et écorchée vive qui accepte d'aider le jeune homme. Les deux enquêteurs en herbe se lancent alors à la recherche de la petite sans se douter que leur investigation va les mener au plus noir de la ville et de son passé, qu'elle va réveiller -tout comme la disparition d'une enfant innocente- d'anciennes querelles et de lourds secrets, raviver des tensions que les habitants pensaient pourtant avoir bien enfouis.
Dans un décor mélancolique dont j'ai déjà écrit toute la beauté et une atmosphère qui n'est pas sans rappeler les films noirs des années cinquante, on progresse pas à pas aux côtés de Bucky dans une ville qui se révèle progressivement. On se rend ainsi vite compte que si Blackwell protège les sorcières, elles les maintient prisonnières également, que la frontière entre domination et protection est bien mince, que le passé est si lourd qu'on ne lui échappe jamais, qu'avoir le choix est un luxe que bien peu peuvent se permettre et que rien n'est simple dans un monde qui prétend le contraire. Il y a quelque chose de très beau qui émane d'ailleurs du livre à ce propos, cette impression qu'on pourrait lire la quête de Bucky comme une fable, la parabole du monde de l'enfance qui s'enfuit irrémédiablement et des déchirements de l'adolescence. C'est peut-être complètement capillotracté mais c'est ce que j'ai ressenti en lisant et cela m'a touchée.
Pour le reste, l'intrigue est séduisante et promettait de grandes choses: la sorcellerie, les fantômes du passé, les traumatismes aussi peut-être laissés dans la culture américaine par les grands procès de 1692, les relations entre hommes et femmes, le propos sur la liberté et le libre arbitre. C'était prometteur d'autant plus que mâtiné de magie et de fantastique et traité comme un roman noir, un thriller presque... Il ne manquait rien, pas même l'émotion ou la sensibilité... Oui mais voilà... c'est là que le bât blesse...
L'intrigue aurait pu être grandiose, aurait dû être génial, mais me voilà contrainte d'écrire au conditionnel... Parce que malgré toutes ses forces, elle ne tient pas ses promesses, pas vraiment... Elle se résout bien trop vite, si vite même qu'elle perd en clarté, elle ouvre une quantité de portes qu'elle ne referme pas mais qu'elle n'exploite pas non plus, nous laissant frustrés avec des pistes inexplorées, inexpliquées... Plus simplement, elle manque de complexité et d'approfondissement surtout.
Alors peut-être est ce parce que le livre est destiné à un public plutôt jeune, adolescent, mais j'ai toujours du mal avec cette idée qu'il ne faille pas offrir à des lecteurs, quelque soit leur âge, la complexité et la profondeur qu'ils méritent...
Enfin, "
Grimoire Noir" n'aurait pas été moins beau ou moins romantique avec une histoire plus creusée, au contraire. Peut-être qu'il y aurait un peu perdu de ce je ne sais quoi d'évanescent qu'il traîne dans son sillage, mais il y aurait tellement gagné!
Quel dommage!
J'étoile quand même ce Grimoire Mélancolique pour sa beauté et sur ce qu'il a su me faire éprouver malgré tout et pour les thèmes qu'il aborde avec une certaine justesse et pas mal de poésie. Je ne suis pas aussi rancunière que j'en ai l'air et la mélancolie fonctionne toujours bien sur moi.