Achille Talon, tome 18 : Achille Talon et le coquin de sort

Ça y est, la team Talon remet ça !

On reprend un peu les mêmes ingrédients que dans le trésor de Virgule. La bande se déplace jusque-z-en une nation prétendument du monde tiers, voire tangentant théoriquement encore le sauvage, et se retrouve dans un pays qui a très bien compris les ressorts du capitalisme mondial et met à profit son folklore pour, justement, faire du profit.

Le prétexte ? Ben c'est Papa Talon qui file un mauvais coton. Il a des absences violentes, surtout envers la maréchaussée (vous me direz, ça change pas du commun des jours, mais quand même en général il y met plus de subtilité). Et un passage auprès de médecins conventionnés en suppositoires et ensorcèlements, prouve qu'il a été marabouté. Donc direction la source : le Doduduba !

C'est donc l'Afrique, ses militaires hargneux, ses animaux sauvages affamés, ses villages refusant les apports civilationnistes non-mais-sans-blague. Les shows hypnotisés de Papa Talon font fureur.

Malgré un démarrage en douceur diesel, l'album m'a bien fait marrer. Les recettes classiques sont les meilleures.

Coquin de sort !
La raison d'Alambic-Dieudonné-Corydon Talon vacille.
Elle bat la breloque.
Le docteur Maissètriste est dubitatif.
Si, si.
Mais le docteur Monongan Seduguano, spécialiste des maladies tropicales, lui, est formel.
Ressurgissant du fond des âges et des ténèbres de l'obscurantisme, le spectre invincible de la magie noire se dresse à nouveau !
Papa Talon est victime d'un envoûtement à distance ...
Un mal-élevé lointain parvient à lui dicter des choses dans un jargon qu'il ne connaît même pas.
Coquin de sort !
Ce dix-huitième album est une véritable réussite.
L'Afrique envoûtante et mystérieuse sera la prochaine destination d'Achille Talon.
La jeune république de Doduduba risque de ne pas s'en relever !
D'autant que deux indélicats, Jean-Philippe et Lucien-Louis, ont décidé, quitte à ce que leur séjour en liberté soit plus court que d'habitude, d'être les grains de sable qui bloquent les rouages.
Coquin de sort !
La "troudair" a un vol direct pour Bongogo, ce soir même ...
Cette "grande aventure africaine" est parue, en juillet 1977, dans les pages, anciennes mais toujours excellentes, du "Nouveau Tintin".
Elle y a été annoncée, dans son 95ème numéro, par une "dévorante" couverture.
Rien n'a filtré , dans la presse mondiale, de toute cette sombre affaire de sorcellerie.
Pourtant Greg écrit. Greg dessine. Greg s'amuse.
Un véritable plaisir !
Mais on ne m'ôtera pas de l'idée que tout n'est pas parfaitement moral dans cette histoire ...
Drôle, oui mais moral, non !

Bon, c'est vrai, notre vieil ami Achille a quelques idées un peu datées sur l' Afrique et les africains.
Mais quand son papa à lui est victime d'un sort jeté par un sorcier du Doduduba, il doit bien aller voir sur place voir de quoi il retourne.

Sa découverte du continent africain lui réserve quelques surprises, le Doduduba, pays imaginaire de l'Afrique francophone, se partage entre une modernité qui épate le pourtant flegmatique Achille, et d'anciennes traditions tribales.
Dans son périple, il est bien sûr flanqué de son irritant voisin Hilarion, et de deux escrocs au language étonnamment soutenu.

Tout finira bien, Papa Talon guéri ne risquera pas de prendre la bière en horreur...

Nous voilà rassurés !

Toujours à lire les trucs d'Achille Talon que j'avais jamais pu trouver plus tôt ! Greg nous pond enfin un scénario complexe pour ses aventures, avec différentes intrigues à mystère qui ne se dévoilent que dans les 10 dernières pages et un fond assez ardu à analyser au premier coup d'oeil. L'idée principale, Papa Talon envoûté par un sorcier africain, n'est malgré tout qu'un prétexte pour aller faire une parodie des récits d'aventure coloniale des siècle derniers. L'occasion au passage de démystifier une BD franco-belge qui avait trop souffert de l'époque "Tintin au Congo". Et village africain traditionnel oblige, c'est peut-être la première fois qu'on croisera la nudité dans l'une d'elles...
Pêle-mêle : Alambic Dieudonné-Corydon met le bazar à chaque sortilège, mais les grimaces et faits prodigieux durant sa transe sont si improbables qu'ils quittent le grotesque et l'effrayant pour devenir du burlesque cartoon ; des remèdes contre la sorcellerie sont disponibles en suppositoires ; on a droit à l'habituelle séance de lions et crocodiles, vaincus de manière insolite ; et la clé de l'histoire est si improbable que je vous laisse la découvrir...
Mais c'est aussi l'occasion pour l'auteur de développer une satire de l'Afrique moderne. le Dododuba, un pays de "brousse mal peignée", tente de faire une percée dans le monde des affaires, de manière plus ou moins démocratique avec un ministre omnipotent et qui tente d'étouffer la culture de son pays à tout prix. Les Africains parlent le même langage châtié et convoluté que les Blancs et possèdent déjà toute leur civilisation (jusqu'aux tonneaux de bière Glops) ; ce qu'on prend en Europe pour de la superstition est ici considéré comme de la "parapsychologie appliquée" ; les coups d'État menacent à tout moment même si on est loin du délire gore que constituait le Zôtrland... Et Greg arrive malgré tout à pondre une happy end dans l'esprit du reste. Donc forcément saugrenue.
Pourtant, on ne dit rien de la pauvreté et la criminalité qui peuvent régner dans ce genre de pays. Vestiges peut-être d'une époque plus insouciante, mais qui deviennent plus graves quand on considère que le McGuffin du ministre est de faire rameuter des industriels sino-américains, et qu'il y parvient sans alarmer personne. À notre époque où l'on commence à comprendre tout juste les dérives de l'exploitation des PeD et la gravité du néo-colonialisme, il y a de quoi garder un goût amer dans la bouche... Enfin, un défaut récurrent chez l'auteur dont je n'ai toujours pas parlé, c'est de mettre des gags en fin de page pour les prolonger sur la suivante quand le mieux aurait été de faire une ellipse, même brève... On se retrouve au final avec un très bon album, mais dont on se dit qu'il aurait pu être encore bien mieux.