Véritable lex vel constitutio, l'ordonnance royale d'août 1374 fixant la majorité des rois de France à l'entrée dans la quatorzième année (c'est-à-dire à partir de treize ans et un jour), paradoxalement rédigée en latin alors que
Charles V le Sage veillait généralement à légiférer en français, formait un tout avec les ordonnances sur la régence, sur la tutelle et sur les apanages, écrites quant à elles dans notre langue en octobre de la même année. Ce texte que l'un des biographes de
Charles V le Sage,
Roland Delachenal, regardait comme enrobé dans un latin "prétentieux et amphigourique" et dont la seule utilité lui semblait être d'avoir fixé l'âge légal de prise de possession du pouvoir royal assorti au sacre si le roi régnant était décédé avant la quatorzième année de son successeur nécessitait la mise en place d'un conseil de régence et la prise en main des enfants royaux par leur mère (pourvu qu'elle vécût encore, ce qui ne fut pas le cas de Jeanne de Bourbon, épouse de
Charles V le Sage) , mais aussi la désignation d'un régent (et ce fut Louis d'Anjou, ce qui allait faire des jaloux). On croyait avoir tout dit sur ce texte normatif, que l'on pensait difficile d'accès et de compréhension, quand un talentueux chercheur du CNRS,
Benoît Grévin, découvrant dans les archives municipales d'Amiens, une version française de ce texte, datée de 1378, antérieure à celle plus connue mais aussi plus fautive de 1392, entreprit d'en faire pour les chercheurs et un lectorat curieux une relecture de détail et d'ensemble sous différents angles : juridique, intellectuel, philosophique, philologique, historique, rhétorique, littéraire, etc., en démontrant que sa conception et sa rédaction initiale en latin portait trace de l'influence de penseurs (par ailleurs conseillers de
Charles V) comme Nicolas Oresme, Évrart de Trémaugon,
Philippe de Mézières (précepteur du futur Charles VI), mais aussi celle d'un notaire et secrétaire du roi,
Pierre Blanchet, et du chancelier et aussi chroniqueur du règne,
Pierre d'Orgemont.
On ne saurait comprendre les ordonnances royales que nous évoquons ici sans évoquer le fait que
Charles V le Sage ne vécut guère longtemps (de 1338 à 1380) et qu'il ne régna que de 1364 à 1380, qu'il était au moment où l'acte fut enregistré par le Parlement de Paris en 1375 en plein dans le mouvement de la reconquête sur les Anglais des territoires qui leur avaient été cédés à la suite des traités de Brétigny et de Calais et qu'il y avait à ses yeux urgence à organiser légalement sa propre succession dès lors qu'il devinait qu'il ne ferait pas de vieux os, sa fragile santé lui indiquant que le temps lui était compté pour agir.
Je ne dévoilerai pas tout ce qu'a le mérite de nous apprendre ce maître-ouvrage de
Benoît Grévin, dont le travail guide aussi en partie le mien, du moins en ce qui concerne l'analyse de ce texte de loi fondamental, qui devait acquérir une grande importance tout en restant, aux yeux de certains, incompréhensible, à force de références à des textes anciens ou contemporains de
Charles V le Sage.
François Sarindar, auteur de
Charles V le Sage, Dauphin, duc et régent (1338-1358), ouvrage publié en 2019